Naplouse ce 11 décembre 2023
En 20 ans de prise en charge des victimes de traumatisme, la directrice du service psychiatrique qui soigne à Tel-Aviv des otages israéliens libérés par le Hamas dit n'avoir "jamais rien vu de pareil".
Yaffa Adar, une otage de 85 ans transportée dans une voiturette de golf par des militants du Hamas depuis Nir Oz, vers la bande de Gaza, le 7 octobre 2023. Capture d'écran vidéo
"Qu'ils soient physiques, sexuels, mentaux ou psychologiques, les sévices subis par ceux qui sont revenus sont tout simplement terribles", lâche Renana Eitan, du centre hospitalier Sourasky-Ichilov.
Sur les quelques 240 otages emmenés de force à Gaza lors de l'attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, 80 - Israéliens ou binationaux - ont été libérés, dont 14 sont traités dans cet hôpital. Certains déclarent avoir été drogués et les médecins pensent que leurs ravisseurs leur ont fait prendre des benzodiazépines, des médicaments qui ralentissent l'activité cérébrale et ont un effet calmant.
"Il est parfois difficile de gérer de jeunes enfants ou des adolescents et ils savaient qu'en les droguant, ils se tiendraient tranquilles", explique Renana Eitan à des journalistes, dont l'AFP.
Sigal Zamir et son mari Avi se tiennent par la main lors d'une veillée de prières pour Judith Raanan et sa fille Natalie le 12 octobre 2023 à Evanston, dans l'Illinois. Judith et Natalie ont été enlevées alors qu'elles se trouvaient à Nahal Oz pour la fête de Simchat Torah. Sigal est la tante paternelle de Natalie.
"Pendant quelques semaines, une petite fille a même reçu de la kétamine", un puissant anesthésique qui produit un effet de dissociation entre le corps et l'esprit. "Faire ça a un enfant, c'est impensable", s'indigne-t-elle.
D'anciens otages continuent de souffrir d'états dissociatifs: "Ils savent qu'ils sont ici au centre médical et l'instant d'après, ils pensent être à nouveau avec le Hamas".
Leurs geôliers ont soumis certains otages à des pressions psychologiques, faisant par exemple croire à l'un d'entre eux que sa femme était morte, alors qu'elle était toujours vivante en Israël.
Des mineurs ont été séparés de leur famille et ont dû regarder des vidéos très violentes. Une femme affirme avoir été maintenue dans une obscurité totale avec d'autres personnes quatre jours durant.
"Ils sont devenus psychotiques, ont eu des hallucinations", détaille Mme Eitan.
Des cas d'automutilation ont été signalés et certains rapatriés ont des pensées suicidaires. "Mais c'est là notre mission: veiller à ce que de telles choses ne se produisent pas", dit-elle.
Irena Tati tenant une photo de son petit fils Alexander retenu en otage par le Hamas lors d'une manifestation sur la place des Otages devant le musée d'Art de Tel Aviv le 2 décembre 2023. Alexander Troufanov, 28 ans, a été kidnappé dans le domicile de ses parents dans le Kibboutz de Nir Oz le 7 octobre avec sa pertite amie, sa mère et sa grand-mère. Irena et la mère d'Alexander, Lena Troufanov, ont été récemment libérées lors d'un échange avec des prisonniers palestiniens.
Le caractère exceptionnel de la situation place les équipes devant un dilemme. D'ordinaire, les professionnels évitent de confronter immédiatement leurs patients à leurs traumatismes.
Mais ils sont parfois les seuls à connaître l'état de santé des otages toujours retenus à Gaza, dont les autorités israéliennes estiment le nombre à 137: il faut donc les faire parler, reconstituer le décor infernal de leur captivité et décrire les violences, encore et encore.
Les 80 otages ou binationaux ayant recouvré la liberté ont été échangés contre 240 Palestiniens détenus dans des prisons israéliennes à l'occasion d'une trêve d'une semaine qui s'est achevée le 1er décembre. En outre, 25 otages étrangers ont été relâchés.
Le choc national provoqué par l'attaque du 7 octobre est tel qu'un centre spécifique de traitement des troubles de stress post-traumatique doit être créé.
5% de la population israélienne, soit 400.000 personnes, nécessiteraient une prise en charge, d'après Dr Eitan.
Le centre médical Sourasky-Ichilov soigne aussi des centaines de patients blessés physiquement, qu'il s'agisse de soldats, pouvant être transportés par avion en 15 minutes depuis le champ de bataille, ou de civils.
C'est le cas de Tomer Zadik, 24 ans, admis avec une balle dans le bras reçue lors du festival de musique Supernova, théâtre d'un des plus terribles massacres perpétrés le 7 octobre dans les localités israéliennes situées le long de la frontière nord du territoire palestinien administré par le Hamas.
Il raconte s'être caché pendant des heures avant de réussir à s'échapper.
"Les mots manquent pour décrire les atrocités commises là-bas", dit-il, ajoutant qu'il fait des cauchemars s'atténuant avec le temps.
"Ils voulaient nous briser, pas seulement physiquement. Ils voulaient casser mentalement toute la nation d'Israël", estime-t-il. "Mais on se laissera pas abattre".