Vladimir Poutine a décidé de déplacer une des icônes les plus vénérées de Russie, "La Trinité" d'Andreï Roublev, du musée Tetriakov où elle se trouve depuis 1929, dans la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou et ensuite au Monastère de la Trinité de Saint-Serge.
Le transfert de cette œuvre d'art, la plus célèbre de Russie, aura lieu ce dimanche, troisième dimanche de la Trinité, tout un symbole qui souligne combien politique et religion s'entremêlent durant cette guerre.
L'icône a été peinte au XVe siècle par Andreï Roublev pour le nouveau monastère de Saint-Serge qui avait été brûlé par les Mongols en 1409. On suppose que le tableau a été peint entre 1420 et 1430. Il représente ce passage de la Genèse, quand Dieu vient annoncer à Abraham et Sarah qu'ils auront un fils, malgré leur âge avancé. La légende raconte que l’inspiration serait venue à Andreï Roublev après avoir jeûné et prié pendant presque quarante jours.
La Trinité de Roublev.
"Poutine a intérêt à garder l'Église à ses côtés dans cette guerre, pour montrer qu'il respecte l'Église", explique Regina Elsner, théologienne et chercheuse de l'Église orthodoxe russe au Centre d'études européennes et internationales de l'Est basé à Berlin. "Poutine doit montrer que la guerre n'est pas son activité militaire personnelle, mais qu'il y a une mission métaphysique supérieure en Russie qu'il essaie de remplir."
En effet, les propagandistes russes ont utilisé le symbolisme chrétien sur la lutte contre le diable et l'antéchrist pour tenter de rallier le soutien à une guerre qui a duré beaucoup plus longtemps que le Kremlin ou l'Occident ne l'avaient prévu. Poutine décrit la guerre comme une bataille pour la survie de la Russie.
Après son séjour à la cathédrale du Christ-Sauveur, l'icône sera transportée à la laure de la Trinité de Saint-Serge - le centre spirituel de l'Église orthodoxe russe à l'extérieur de Moscou - où elle avait déjà été amenée l'année dernière pour des célébrations religieuses séparées.
Cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou, le 21 janvier 2016.
Cette icône du XVe siècle est considérée par les Russes comme leur Joconde, explique l'historienne d'art Ksenia Korobeynikova, qui a une émission sur l'art très populaire sur la chaîne Telegram sur laquelle elle s'est élevée contre son déplacement.
"L'Église (orthodoxe russe) a maintenant un tout nouveau niveau d'autorité. Si l'Église demande quelque chose, il est fort probable qu'elle ne puisse pas être refusée," explique-t-elle. "Les choses ont tellement changé depuis le 24 février (ndlr : jour en 2022 où la Russie a lancé son 'opération militaire spéciale' en Ukraine) et nous avons une coopération étroite toute nouvelle entre l'État et l'Église".
La jeune historienne d'art s'inquiète que le transport abîme irrémédiablement l’œuvre qui est très fragile et surtout que de bonnes conditions pour sa conservation soient réunies dans le monastère où elle va être exposée.
Une inquiétude partagée également par le milieu scientifique russe."Les chefs-d'œuvre de la peinture d'icônes russes et des sanctuaires nationaux ne doivent pas être exposés à des risques injustifiés", ont écrit les membres d'un conseil culturel au sein de l'Académie russe des sciences dans une lettre ouverte à la ministre russe de la Culture Olga Lyubimova.