En Afrique subsaharienne, le blé est consommé surtout en milieu urbain au petit déjeuner, en sandwich et plus rarement en accompagnement de plat . Il y a là l’héritage de la colonisation. Le pain y est consommé sous forme de baguette dans les anciennes colonies françaises ou sous forme de pain de mie dans les pays anglophones.
En Afrique du Nord et également au Moyen-Orient, le blé constitue une base alimentaire. Dans les pays de ces régions cela représente beaucoup dans l’apport calorique quotidien. C’est le cas notamment de l’Égypte, de la Tunisie, du Maroc, du Liban, du Yémen. Et ces pays doivent importer une très grande partie de leur consommation de blé. Si les prix du blé flambent ces pays connaissent de réelles difficultés.
D’autres pays ont cependant vu leurs revenus augmenter grâce à la montée des prix du pétrole et du gaz. Par exemple, l’Algérie importe du blé mais exporte du gaz. Ces pays qui exportent des produits pétroliers peuvent plus faire face au surcoût du prix du blé.
Et au sein des pays d'Afrique subsaharienne, il faut distinguer les milieux ruraux et les milieux urbains. Le blé est davantage consommé en milieu urbain. Il est vrai qu' en milieu urbain, les problématiques de vie chère et de montée des prix restent très sensibles politiquement.
Le prix du blé flambe sur les marchés internationaux du fait de la rétention des stocks bloqués dans les ports ukrainiens et de la limitation des exportations russes. Mais est-ce que cela va créer pour autant une famine mondiale ? Je ne le crois pas.
Lire : Vladmir Poutine exerce-t-il un chantage au blé ?
Nicolas Bricas : D’autre pays sont des exportateurs de blé, en dehors de l'Ukraine ou de la Russie. C’est le cas des États-Unis ou l’Argentine. Il y a une tension internationale sur le marché du blé c’est vrai. Mais l’Asie ou l'Afrique subsaharienne consomment du riz bien plus que du blé Il faut du coup surveiller le risque, non automatique,
=de voir la montée du prix du blé contaminer le prix du riz.
Une montée des prix du riz provoquerait de réelles difficultés pour des populations déja appauvries par les augmentations des prix
de l'énergie et de tout ce qui en est très dépendant : transports, etc. Cette tension sur les prix, la vie chère, est vive en milieu urbain.
Une montée des prix du riz provoquerait de réelles difficultés pour des populations déja appauvries par les augmentation des prix du pétrole, de l'énegie et des transports. Cette tension sur les prix, la vie chère, est vive en milieu urbain.
Nicolas Bricas : Le Sénégal est l’un des pays en Afrique où la population consomme du blé en milieu urbain et un peu en milieu rural. Effectivement à Dakar, la situation s’est tendu politiquement. On a une jeunesse qui est de plus en plus contestataire ces derniers mois. Macky Sall a peur que la conjonction de la montée des prix du pétrole et du blé provoque des émeutes urbaines. C’est un cas particulier en Afrique subsaharienne. Existe-il un risque de famine au Sénégal ? Non, pas de famine mais de renchérissement du coût de la vie et mise en difficulté des populations à faible revenus. Le blé représente au Sénégal 10 % des apports caloriques totaux. C’est vrai qu’en milieu urbain ce taux est plus important.
Mais dans les villes sénégalaises, riz surtout et blé représentent un tiers des dépenses alimentaires des ménages, le second tiers sont les produits animaux (poisson, viande, produits laitiers, oeufs) et le troisième tiers tout le reste : légumes, huile, condiments, fruits, boissons, etc. Et les milieux urbains sont plus sensibles politiquement.
TV5MONDE : Est-ce qu’il y a un lien possible entre la montée des prix du blé et le prix du riz ?
Nicolas Bricas : Il y a un lien possible mais il n’est pas automatique. Le prix du riz tend à monter depuis un an mais c’est vrai que depuis que le prix du blé augmente fortement avec la guerre en Ukraine le prix du riz n’a pas suivi cette accélération. Les prix du riz peuvent encore monter si on assiste à une forme de substitution de consommation. Le riz remplaçerait le blé devenu trop cher.
À l’échelle planétaire nous produisons 30% de plus que nos besoins nutritionnels.Nicolas Bricas, chercheur, socio-économiste de l'alimentation
Maintenant il faut rappeler que 50% du blé ou du maïs sert à l’alimentation animale. Il y a là des marges de manœuvre. On peut réduire la part de ces céréales destinée à l’alimentation animale et privilégier les prairies permanentes ce qui est favorable à la biodiversité et à la captation du carbone. Mais celà signifie moins d'animaux, une réduction de la surconsommation de viande, favorable à la santé.. Les Pays Bas ont décidé par exemple de réduire très fortement leur élevage, de réduire le nombre d’animaux sur leur territoire pour des raisons environnementales. On peut jouer sur le nombre d’animaux si on a une trop grande tension sur les céréales.
Ce discours ne fait pas plaisir aux éleveurs. Au sein du monde agricole, les céréaliers gagnent en ce moment beaucoup d'argent et les éleveurs beaucoup moins. Des mécanismes de solidarité pourraient être mis en place entre céréaliers et éleveurs.
TV5MONDE : Comment alors expliquer ce narratif sur une future pénurie alimentaire mondiale ?
Nicolas Bricas : Les Russes développent un narratif où ils veulent montrer qu’ils sont indispensables à de nombreux pays dans l’exportation de blé mais aussi d’engrais. Ils veulent démontrer que le monde a besoin d’eux et se servent de la menace de famine comme d'une arme.
Les acteurs du monde agricole industriel utilisent également cette menace, comme en 2008 et en 2011, pour détourner l'attention des préoccupations environnementales au nom d'une nouvelle priorité de nourrir la planète. Il faut rappeler qu'à l’échelle planétaire nous produisons 30% de plus que nos besoins nutritionnels.
Un troisième type d'acteurs utilise la réthorique de la famine mondiale, ce sont les médias. On joue sur le registre de la peur. On évoque le risque de famine mondiale pour impressionner. Il y a une compétition entre les médias pour capter l’attention du public.
TV5MONDE : La FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et le PAM, deux agences onusiennes, se montrent pourtant très inquiets.
Nicolas Bricas : Le métier du Programme alimentaire mondial c’est l’aide alimentaire. Cela consiste à secourir les populations en difficulté. Il a besoin de soutien, d’attention. Le PAM a toujours du mal à trouver du soutien et de l’argent en cas de crise et de guerre. Le PAM a besoin de mettre en avant les crises pour obtenir plus de soutien financier.
La mission de la FAO consiste à aider les pays à augmenter leur production agricole. Cette institution a aussi besoin d'allerter sur les crises alimentaires pour rappeler le rôle qu’elle peut avoir pour augmenter la production agricole dans les pays qui dépendent trop des importations alimentaires, dans une époque où le développement économique s’occupe moins d’agriculture qu’autrefois. La FAO et le PAM sont des institutions en difficulté face à d’autres enjeux que sont les questions de santé, de pandémie, d’éducation ou d’environnement.