Avant même sa prise de fonction à la Maison Blanche, Donald Trump multiplie les moqueries contre le Canada. Même s'ils sont énoncés sur le ton de la plaisanterie, les propos du président américain élu sont peu appréciés de l'autre côté de la frontière. Entre la menace d'augmenter les droits de douane ou celle d'annexer leur pays, les Canadiens ont-ils vraiment le choix ?
Capture-écran du compte de Donald Trump sur son réseau social Truth Social.
C'est l'arme favorite de Donald Trump : le président américain élu compte augmenter de 25% les droits de douane à la frontière canadienne, comme mexicaine. Le motif : obliger ces deux pays à lutter contre l'immigration clandestine mais aussi contre le trafic de fentanyl, drogue qui fait des ravages aux États-Unis. À l'instar du Mexique, le Canada est devenu, malgré lui, un pays producteur de cette drogue de synthèse et exportateur vers son voisin américain.
L'affaire est prise au sérieux à Ottawa. Quelques jours après l'annonce faite par le futur locataire de la Maison Blanche, le Premier ministre canadien s'est rendu à Mar-a-Lago, le 29 novembre, pour une rencontre surprise avec Donald Trump lors d'un souper. L'occasion d'aborder tous les sujets mais aussi pour Trump de lancer quelques boutades, dont la chaîne conservatrice américaine Fox News a fait le récit.
(Re)voir La rencontre entre Justin Trudeau et Donald Trump
Quand le Premier ministre, Justin Trudeau, lui a fait savoir que l'économie du Canada ne supporterait pas une augmentation de 25% des droits de douane, Donald Trump a proposé de faire du Canada le 51e État américain et de son Premier ministre un gouverneur. Pas mécontent de l'effet produit sur l'auditoire attablé, Trump a en outre suggéré de diviser ce nouveau territoire en deux États, l'un libéral, l'autre conservateur...
Blague à part, Donald Trump s'alerte aussi du déficit commercial américain avec son voisin canadien qui s'élèverait à 100 milliards de dollars US.
Dans certaines provinces canadiennes, les moqueries de Trump ont eu l'effet d'un électrochoc.
Les autorités de l'Alberta ont annoncé jeudi 12 décembre la création d'une nouvelle unité chargée de lutter contre le trafic de drogue et le passage de migrants clandestins à la frontière avec les États-Unis, jugée trop poreuse par Donald Trump.
La province a dégagé un budget de 29 millions de dollars canadiens (19,5 millions d'euros) pour cette unité. Elle sera composée de 51 gardes-frontières, quatre chiens spécialisés dans la lutte antidrogue et 10 drones, et aura pour mission de surveiller les 300 km de la frontière avec l'Etat américain du Montana.
Trois autres provinces canadiennes, le Québec, l'Ontario et le Manitoba, envisagent des initiatives similaires le long de leur propre frontière avec les États-Unis, a souligné la Première ministre de l'Alberta, Danielle Smith.
Nous empêcherons que les criminels cherchant à agir dans les deux pays n'y trouvent refugeDanielle Smith, Première ministre de l'Alberta
Ces provinces travailleront de concert avec l'État fédéral, qui prévoit aussi de renforcer les mesures de contrôle de la frontière et doit partager son plan avec l'équipe du président élu américain dans les prochaines semaines.
"Ensemble avec les forces de l'ordre fédérales, nous nous assurerons que notre partie de la frontière avec les États-Unis soit bien protégée", a déclaré Mme Smith lors d'une conférence de presse.
"Nous empêcherons que les criminels cherchant à agir dans les deux pays n'y trouvent refuge", a déclaré Mme Smith. "Et si nous y parvenons (...), je pense que nous aurons une relation très solide avec les États-Unis."
Une source gouvernementale a indiqué à l'AFP que le gouvernement fédéral continuait à travailler sur son plan pour la frontière, dont le coût s'élèverait à 1 milliard de dollars (700 millions d'euros) selon les médias canadiens.
D'autres responsables politiques canadiens se montrent moins conciliants devant les coups de pression de Donald Trump. Ainsi, l'ex-Premier ministre du Québec, Jean Charest, a sèchement prévenu Donald Trump de "réfléchir à deux fois avant d'envahir le Canada".
Ce dernier a même fait allusion à la guerre de 1812 entre les deux pays, lorsque les avancées américaines sur le territoire canadien se sont soldées par une défaite – et l'incendie de la Maison Blanche.
Lors d'une réunion le 10 décembre entre le Premier ministre fédéral, Justin Trudeau, et les représentants des autres provinces, "un certain nombre de Premiers ministres" provinciaux s'étaient exprimés "avec force en faveur d'une réponse canadienne ferme aux droits de douane injustifiés", a rapporté la vice-première ministre canadienne, Chrystia Freeland.
(Re)voir Canada : face à Trump, Trudeau resserre les rangs
À l'issue de cette réunion, Doug Ford, le Premier ministre de l'Ontario, la province canadienne la plus peuplée, s'est dit prêt à cesser ses exportations d'électricité vers les États-Unis si les menaces de hausses de droits de douane sont mises à exécution.
En revanche, la Première ministre de l'Alberta Danielle Smith a affirmé qu'en "aucun cas", l'Alberta n'accepterait de "cesser ses exportations de pétrole et gaz", le Canada exportant 4 millions de barils de pétrole par jour vers les États-Unis, en provenance majoritairement de l'Alberta.
Sur le plan économique, la mise en place de nouveaux droits de douane par les États-Unis "serait à la fois problématique pour le Canada et pour de nombreux États américains", a prévenu Laurel Broten, la PDG d'Investir au Canada, de passage à Paris.
"Du point de vue des entreprises, personne n'en sortira gagnant", a souligné à l'AFP la dirigeante de l'agence publique de promotion des investissements étrangers au Canada.
Les économies des États-Unis et du Canada sont extrêmement imbriquées, rappelle Laurel Broten, que ce soit dans le domaine énergétique ou le secteur automobile.
À titre d'exemple, "une pièce pour un véhicule peut traverser six ou sept fois la frontière au cours de la fabrication de la voiture", dit-elle. "Aucun constructeur automobile en Amérique du Nord ne souhaite voir des droits de douane imposés sept fois sur les pièces de ses véhicules lorsqu'elles traversent la frontière", explique Mme Broten.
"Nous avons entretenu de bonnes relations de travail, de gouvernement à gouvernement, avec l'administration Trump précédente. Nous avons pu renégocier l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis au cours de ce mandat. Et je sais que le gouvernement est déterminé à s'engager directement dans ce dossier, afin que les entreprises des deux côtés de la frontière continuent de réussir", poursuit-elle.
Lors du premier mandat de Donald Trump (2017-2021), les États-Unis avaient imposé des tarifs douaniers de 25% sur les importations d'acier et de 10% sur celles d'aluminium, auxquels Ottawa avait répondu en ciblant certains produits.
Sur un plan politique, les réflexions de Trump représentent une escalade par rapport à sa menace d'augmenter les taxes douanières, selon Laura Stephenson, professeure de sciences politiques à l'Université Western.
"C'est un autre monde. Parler d'annexion n'est pas la même chose que de dire 'je vais nuire à votre industrie'", affirme la chercheuse.
Si une confrontation directe avec les États-Unis lui semble impensable, elle estime toutefois que de telles moqueries sont "humiliantes" pour les Canadiens. D'autant plus que, selon la professeure, de nombreux Canadiens se définissent par opposition aux Américains et que les piques de Donald Trump "ont toutes sortes d'implications pour l'identité canadienne".
Au Canada, un sondage réalisé cette semaine par l'institut Leger montre que 13% des Canadiens souhaiteraient que leur pays devienne un État des États-Unis.