Après le défaut de paiement du Sri-Lanka, l'archipel du Cap-Vert s'est déclaré en situation d’urgence économique. Plusieurs économistes craignent une réaction en chaîne.
La pandémie de Covid-19, le réchauffement climatique, la guerre en Ukraine… Les contextes de déstabilisation s’enchainent et s’inscrivent dans le temps, amenant avec eux leurs lots d’effets sur l’économique mondiale.
En raison de la pandémie de Covid-19 puis la guerre en Ukraine, l’inflation touche désormais les pays du monde entier et concerne l’ensemble des matières premières, particulièrement les denrées alimentaires et énergétiques.
En mars dernier, les 18,7% d’inflation au Sri-Lanka et une dette de 51 milliards de dollars plongeaient ce pays du sous-continent indien dans sa pire crise économique depuis son indépendance.
Le manque de devises étrangères, causée par une forte baisse des revenus du tourisme et un recul des transferts de fonds envoyés par les Sri-lankais établis à l’étranger, a précipité le gouvernement dans une situation inédite de défaut de paiement. Le Sri Lanka cherche désormais à obtenir auprès du Fonds Monétaire International (FMI) 6 milliards de dollars de prêts pour se maintenir à flot.
Le 20 juin dernier, c’est l’archipel du Cap-Vert qui se déclarait dans une situation d'urgence économique et sociale. L'inflation a atteint 8%, selon les données de mai dernier, alors qu'en 2021 à la même époque, elle était à 1,9%. Avec la perte de pouvoir d'achat, neuf Capverdiens sur 100 sont aujourd’hui menacés d'insécurité alimentaire alors qu'en 2020, en pleine pandémie, ils n'étaient que 2%, a alerté le Premier ministre Ulisses Correia e Silva.
« Les petits pays, très dépendants des importations avec un petit marché intérieur, sont très sensibles aux chocs extérieurs, explique Christine Rifflart, économiste à Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Les effets de la crise sont atténués pour les pays exportateurs nets de matières premières qui engrangent les recettes d’exportation.» Autrement dit, si vous exportez par exemple du pétrole, vous serez en effet mieux à même de pouvoir acheter votre blé.
Toutefois, ces situations de fortes tensions menaceraient dangereusement d’autres États aux économies plus grandes. Selon l'assureur Allianz Trade, 11 États sont particulièrement à risque de voir émerger des conflits sociaux dans les prochaines années de ce fait. Il s'agirait de l'Algérie, la Tunisie, la Bosnie-Herzégovine, l'Egypte, la Jordanie, le Liban, le Nigeria, le Pakistan, les Philippines ou encore la Turquie.
"Le choc sur les prix alimentaires mondiaux représente une inquiétude particulièrement grande pour les pays qui sont importateurs nets d'aliments ou de certains aliments devenus rares en raison de la guerre en Ukraine, à l'instar des grains", écrit l'assureur dans une étude.
Ce choc alimentaire réduit l'accès aux ressources "et pourrait même entraîner la chute de certains gouvernements comme lors des printemps arabes", prévient-il. L’une des principales composantes de ces mouvements de contestations populaires qui ont provoqué la chute de plusieurs régimes au tournant des années 2010, était la misère sociale.
Afin de lutter contre les crises, il est courant d’augmenter la dette, soit d’emprunter pour faire face temporairement à la conjoncture. Problème : la dette a déjà atteint des niveaux très hauts dans le monde, les pays profitant ces dix dernières années d’un taux d’intérêt au plancher. Aujourd’hui, la dette publique est proche de 120% du PIB au sein des pays avancés selon le FMI et elle a « significativement augmenté » parmi les pays émergents et en développement.
Or, avec l’inflation, les taux d'intérêt remontent progressivement, poussant le FMI à s'interroger sur des risques de futures «crises des dettes.» La Fed (banque centrale américaine) a dernièrement relevé ses taux directeurs entre 1,5 % et 1,75 %, ce qui pourrait avoir de lourdes conséquences sur les pays émergents alerte Thomas Grjebine, économiste au Centre d’études prospectives et d'informations internationales (Cepii).
« Ces dix dernières années, il y a eu une augmentation de la dette en devise étrangère dans les pays en développement, fait remarquer l’économiste. Or, il se trouve que si votre dette est en dollars, il n’y a que la Fed pour vous en fournir. Et si ses taux sont trop élevés et que vous ne pouvez pas emprunter, vous vous retrouvez dans une impasse. »
Le risque à moyen terme qui pèse sur l’avenir de ces pays est alors un appauvrissement des populations. Un schéma qui n’est pas sans rappeler celui de « la décennie perdue » qui avait particulièrement touché les pays d’Amérique latine par des taux d'inflation excessivement élevés dans les années 1980 et avait provoqué une érosion des revenus de la population.
Un constat que relève déjà la Banque Mondiale après deux ans de pandémie. Selon un rapport de mars 2022, deux tiers au moins des ménages avec enfants ont perdu des revenus depuis l’irruption de la pandémie de Covid-19. Dans un quart des ménages avec enfants, la perte de revenus résultant de la pandémie a contraint les adultes à se priver de nourriture pendant un ou plusieurs jours.
Depuis la guerre en Ukraine, la question de l’approvisionnement en blé est devenue centrale dans la gestion des greniers du monde. En Egypte par exemple, plus de 80% du blé provenait jusqu’aujourd’hui de Russie et d’Ukraine. En un an, son prix sur Euronext, la principale place boursière de la zone euro, avait flambé de 60% à 70%. Des proportions similaires pour le maïs, largement consommé en Afrique.
Le Cap-Vert en appelle dernièrement à la communauté internationale pour pouvoir continuer à financer les mesures de protection des familles et des entreprises. « Dans une moindre mesure, les problèmes sur la dette touchent aussi les pays occidentaux, observe Thomas Grjebine. » Le 9 juin, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé une hausse de son taux d’intérêt, ce qui n’était jamais arrivé depuis onze ans. « Dans ces moments, chaque pays tend à se replier sur sa zone et la générosité devient plus compliquée. » ajoute-t-il.