La BCE augmente ses taux directeurs : quels risques et quelles conséquences ?

Baisse de l’inflation, crédits plus chers, dette plus chère pour les pays les plus endettés... Face à la montée des prix, la Banque Centrale Européenne (BCE) vient d’augmenter ses taux directeurs, une mesure déjà engagée par plusieurs banques mondiales. Que peut-on attendre d’une telle décision ?
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Un homme marche à côté d'une sculpture représentant l'euro, à Francfort en Allemagne, le 11 mars 2021. 
Michael Probst/AP
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C’est inédit depuis onze ans. La Banque centrale européenne augmente ses taux directeurs à 0,5 points, au même titre que d’autres banques centrales dans le monde. En d’autres termes, il sera plus cher pour les banques d’emprunter à l’Europe.

"C’est important de nuancer. Évidemment, on a une hausse des taux", rappelle Anne-Sophie Alsif, docteure en sciences économiques à l'EHESS et professeure d'économie à la Sorbonne. "Mais les taux étaient anormalement bas depuis des années. Avoir des prêts immobiliers à 1% pendant 20 ans n’était pas quelque chose de normal", ajoute-t-elle. Cette mesure intervient dans un contexte exceptionnel d’inflation en lien avec la crise de l’énergie et de l’alimentaire en Ukraine.

Une mesure visant à contrer l’inflation importée de la guerre en Ukraine 

"Dans certains pays de l’Est, l’inflation dépasse les 8%", rappelle l’économiste et cofondateur des Économistes atterrés Henri Sterdyniak. La BCE parle, elle, d’inflation maîtrisée tant que celle-ci ne dépasse pas les 2%. Elle n’avait pas d’autres choix. "Il fallait absolument augmenter les taux d’intérêts au niveau d’inflation."

En Europe, l’inflation est importée de la crise énergétique et alimentaire à cause de la guerre en Ukraine.Anne-Sophie Alsif, professeure d'économie à La Sorbonne

Et pour cause, le taux directeur agit directement sur les prix. Lorsque les taux de la Banque centrale augmentent, cela devient plus cher de s'endetter (pour les entreprises, les particuliers et l’État). Cela diminue la demande en biens et services, et, par effet ricochet, les prix. 

Mais la BCE a tardé à agir, comparé à son homologue américain, la FED. "En Europe, l’inflation est importée de la crise énergétique et alimentaire à cause de la guerre en Ukraine, explique Anne-Sophie Alsif.  Ce n’est pas dû à une surchauffe de nos plans de relance comme c’est le cas aux États-Unis." La crise énergétique et alimentaire ne va pas s’arrêter après la hausse des taux directeurs. La BCE craint donc une stagflation, une inflation conjuguée à une stagnation de la croissance. En effet, la hausse des taux directeurs affecte directement la croissance et l’investissement.

Des crédits plus chers pour les entreprises et les particuliers

La BCE ne voulait pas augmenter les taux directeurs trop vite parce qu’elle avait peur de casser la reprise économique post-Covid-19. "Au lieu d’être à 5% de croissance cette année, on sera à 2,8% de croissance au niveau de la zone euro après la hausse des taux directeurs" prédit l’économiste Anne-Sophie Alsif.

Si vous voulez acheter un appartement et que vous êtes limité, la banque va vous expliquer que vos mensualités sont trop fortes pour votre budget.Henri Sterdyniak, cofondateur des Économistes Atterrés

Quel est le mécanisme en cause ? Avec la hausse des taux, les banques vont devoir payer plus cher pour se refinancer auprès de la BCE. Et elles vont aussi augmenter leurs taux d’intérêts. "Une banque qui accordait des crédits à 2% va maintenant les accorder à 3% ou à 3,5% en prévision de la hausse des taux directeurs, analyse Henri Sterdyniak. On dit que les taux s’alignent."
Par exemple, "si vous voulez acheter un appartement et que vous êtes limité, la banque va vous expliquer que vos mensualités sont trop fortes pour votre budget", poursuit-il pour illustrer son propos. L'investissement diminue.

Tant que les revenus des acteurs économiques suivent le taux d’inflation, cela reste toujours intéressant pour eux de s’endetter.Guillaume Duval, rédacteur en chef d'Alternative Économique

Mais pour l’instant cet effet est limité justement par l’inflation galopante. "Il faut prendre en compte les taux d’intérêts réels, une fois qu’on a déduit les taux d’inflation, estime l’économiste Guillaume Duval. Ces derniers restent faibles." Pour le rédacteur en chef du magasine français Alternative économique, "tant que les revenus des acteurs économiques suivent le taux d’inflation, cela reste toujours intéressant pour eux de s’endetter." La vraie crainte se situe plutôt au niveau des États au sein de l’UE.

Une dette plus chère pour les pays déjà endettés

La hausse des taux directeurs risque de creuser l’écart entre les dettes publiques des États européens.
Les États les plus endettés vont devoir payer plus cher leur dette. "L'une des grosses craintes, c’est que cette période débouche sur une nouvelle crise au sein de la zone euro, avec des écarts croissants entre les pays", alerte l’économiste Guillaume Duval. 
Pour l’instant, on n’observe pas d’écarts significatifs entre les taux d’endettement des ménages et des entreprises italiennes par exemple avec celles et ceux du reste de l’Europe. Mais il risque bel et bien de se creuser. 

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La BCE a adopté un nouvel outil pour lutter contre ce phénomène. "Elle a racheté les titres de dette à certains États et pas à d'autres", détaille Guillaume Duval. D’habitude, quand elle établit son programme de rachat de titres de dette, elle essaye de faire ça équitablement. Est-ce légal ? "Certains acteurs économiques allemands risquent de porter cette question devant la justice allemande et la cour de justice européenne", assure l’économiste. "Mais c’est important que la BCE donne le signal qu’elle veut limiter ces écarts."

La BCE avait prévu de le faire avant que la situation en Italie se complique, elle a simplement choisi de ne pas retarder.Guillaume Duval, rédacteur en chef d'Alternative Économique

D’autant que la mesure intervient conjointement à l’annonce de la démission du Premier ministre italien, Mario Draghi. L'Italie est très endettée et Mario Draghi faisait figure de stabilité pour l'économie du pays. "La BCE avait prévu de le faire avant que la situation en Italie ne se complique, elle a simplement choisi de ne pas retarder", nuance Guillaume Duval.

En outre, "cette mesure permet à la BCE de dire aux marchés financiers que de toute façon, elle défendra l’Italie", analyse l’économiste. "Les marchés financiers mondiaux s’inquiètent du départ de Mario Draghi et de la mauvaise santé financière de l’Italie. Par cette action, la BCE met en place un dispositif pour montrer qu’elle est prête à intervenir."