Fil d'Ariane
Depuis le 12 juillet, l’euro vaut environ un dollar, et est même brièvement passé sous cette barre le lendemain. Une dépréciation inédite depuis 2002, qui s’accompagne d’inflation et de perte d’attractivité pour la zone.
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Mais cette situation n’a pas des conséquences que pour les pays qui ont comme monnaie l’euro. En Afrique, les quatorze pays qui utilisent le franc CFA sont aussi touchés par la dépréciation. Le franc CFA est en effet directement indexé sur l’euro, à parité fixe.
« Les pays de la zone CFA subissent donc de plein fouet les variations de l’euro. Toutes les conséquences que connaissent les pays européens sont aussi subies dans cette zone. Et la nature du régime de change aggrave un peu plus la situation. Toute l’économie est basée sur le maintien de la parité de change, ce qui crée une faiblesse énorme dans des périodes compliquées », décrit Carl Grekou, économiste au CEPII (Centre d'Études Prospectives et d'Informations Internationales) qui a travaillé sur la zone.
La première conséquence a trait au commerce. Les importations vont devenir plus chères, surtout lorsqu’elles sont libellées en dollars comme c’est le cas de l’énergie. Pour les pays très dépendants de ces importations, la dépréciation s’accompagne donc d’inflation.
« Les prix à la consommation vont augmenter significativement, en raison du manque d’auto-suffisance alimentaire dans la zone, développe l’économiste. Par exemple, la Côte d’Ivoire importe beaucoup d’aliments de base comme le riz et l’huile. Elle pourra donc être fortement impacté, contrairement à des pays plus autonomes au niveau de l’agriculture et de l’industrie. Plus il y a d’auto-suffisance, moins il y a d’inflation ».
L’inflation peut aggraver la situation économique globale des pays. « Si rien n’est fait pour la juguler, on peut s’attendre à une hausse des taux d’emprunt, donc à une récession et une baisse d’activité ». La dépréciation s'ajoute aux difficultés connues par les pays africains en répercussion de la guerre en Ukraine. L’économiste évoque aussi le risque d’une crise de change, entraînant une perte de valeur de la monnaie.
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Du côté des exportations, les conséquences sont un peu différentes de celles en zone euro, qui exporte dans sa monnaie domestique. En Europe, la monnaie moins chère s’accompagne d’un gain en compétitivité, que les pays africains ne vont pas forcément connaître puisqu’ils exportent très peu en monnaie locale, explique Carl Grekou. Les exports en dollars pourront toutefois leur rapporter davantage que d’habitude, créant un « effet de profitabilité ».
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Pour l’instant, les risques associés à la dette sont secondaires. En effet, si l’euro remonte, comme il est plausible qu’il le fasse, les conséquences à terme seront limitées. Par contre, si il devait rester durablement à un niveau faible, la dette libellée en dollars des pays africains augmenterait dans les mêmes proportions que la dépréciation du taux de change.
La situation pourrait aussi avoir une conséquence marginale sur le tourisme, comme en Europe. Selon Carl Grekou, « pour les touristes en provenance de pays européens, il n’y aura pas de différence. Il peut y avoir un effet bénéfique, notamment pour des touristes américains. Mais les relations touristiques sont assez fixes ds le temps ; un touriste américain qui ne prévoyait pas d’aller au Togo ou au Sénégal ne va pas y aller juste parce qu’il y a une dépréciation ».
En un an, l’euro et son sous-produit le franc CFA ont perdu 19% de leur valeur face au dollar. Dépréciation à la saveur d’une dévaluation : hausse mécanique des revenus d’exportations mais alourdissement de la dette externe et des importations—véhicules, médicaments, champagne… pic.twitter.com/BuXaeS0skl
— Célestin Monga (@CelestinMonga) July 15, 2022
La BCE (Banque Centrale Européenne) devrait pouvoir agir sur la situation en remontant bientôt ses taux d’intérêt : une réunion est prévue ce jeudi 21 juillet. Mais en zone CFA, les banques centrales ont peu de marge de manoeuvre. « Absolument aucune décision ne peut être prise par les banques centrales. Elles ne peuvent rien faire d'autre que suivre scrupuleusement la politique de la BCE. Leur politique doit même être encore plus rigoureuse que la banque européenne, pour maintenir une inflation plus faible qu’en zone euro ».
La dépréciation de l’euro ravive ainsi les débats sur le franc CFA, que ses critiques qualifient de monnaie coloniale. Certains proposent d’indexer le franc CFA sur un panier de devises plus large, incluant notamment le dollar, pour réduire la dépendance unique vis-à-vis de l’euro et du Vieux Continent. Ils arguent que les échanges ne se font pas qu’avec la zone euro, et que le dollar reste la principale valeur refuge à l’échelle mondiale.
Carl Grekou ajoute que la perte de valeur de l’euro pourrait être utile au niveau local. « Il faut profiter de ça pour stimuler, pour relancer une économie locale. C’est ce qui se fait en zone euro, à travers la réflexion sur les conséquences de la mondialisation et les délocalisations ». Il cite par exemple le fait de réduire la part des matières premières destinées à l’exportation, et favoriser la production à destination locale. L’économiste rappelle toutefois que les changements sont plus difficiles à mettre en place en Afrique, où les gouvernements sont soumis à d'importantes contraintes, comme celle du régime de change dans la zone CFA.
Les pays de cette zone pourraient par ailleurs se tourner davantage vers d’autres partenaires commerciaux, comme ceux des autres régions africaines. « Leur pouvoir d’achat a baissé, donc ils pourraient s’orienter vers des pays où la production est moins chère, et les coûts de transport moindres », souligne Carl Grekou. Il fait ainsi référence au Maroc, un des partenaires principaux de l’Afrique de l’Ouest sur le continent, qui n’est pas concerné par l’indexation unique sur l’euro. « Aucun pays africain n’a une politique monétaire autonome, ils subissent tous plus ou moins les mouvements de l’euro », nuance-t-il.