Emmanuel Macron en Chine : que va faire le président français à Pékin ?

Le président français Emmanuel Macron entame ce mercredi 5 avril une visite d'Etat de trois jours en Chine. Il est accompagné d'une importante délégation de chefs d'entreprises, mais aussi de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. La guerre en Ukraine sera au centre des discussions.
Image
Macron et Xi en novembre 2019 à Pékin
Le président français Emmanuel Macron et le numéro un chinois Xi Jinping en novembre 2019 à Pékin.
© AP Photo/Mark Schiefelbein
Partager6 minutes de lecture

"La Chine est le seul pays au monde en mesure d'avoir un impact immédiat et radical sur le conflit, dans un sens ou dans l'autre". Fin mars, l'Élysée présente à la presse la prochaine visite en Chine du président français. Et cette seule phrase résume l'enjeu du déplacement. La nécessité, aussi, d'entretenir le fil du dialogue avec Pékin.
Pendant trois jours, la guerre en Ukraine devrait ainsi être au coeur des discussions entre Emmanuel Macron et le pouvoir chinois. 

L'image de Xi Jinping, le président chinois, en visite à Moscou a, semble-t-il, marqué les esprits du côté de Paris.
Le 21 mars, il apportait un soutien inconditionnel à son homologue Vladimir Poutine, souhaitant sa réélection à la tête de la Russie l'an prochain, tout en proposant une médiation chinoise dans le dossier ukrainien...
Une position chinoise à l'égard de la Russie analysée comme une alliance contre un ennemi commun : les États-Unis.

Entre la France et la Chine, quelles relations économiques ?

Selon les données du ministère français de l'économie, "la part de marché de la France en Chine est en baisse en 2022 (1,3 %, contre 1,5 % en 2021 et 1,6 % en 2019), loin derrière celle de l’Allemagne (4,1 %, en baisse également)".
Les secteurs dans lesquels la France intéresse la Chine sont le vin et des spiritueux (1er fournisseur), l’aéronautique (2e derrière les États-Unis), les cosmétiques (2e derrière le Japon) et les produits pharmaceutiques (4e derrière l’Allemagne, l’Irlande, et les États-Unis).
Selon les données du gouvernement français, "2085 entreprises françaises, essentiellement des grands groupes, étaient présentes en Chine en 2020, employant près de 307 000 personnes". 
La France est le premier investisseur européen en termes de nombre d’entreprises, mais l’Allemagne occupe la première position en termes de chiffre d’affaires.

En se rendant à Pékin cette semaine, Emmanuel Macron tente donc de s'immiscer dans un couloir diplomatique étroit consistant à s'appuyer sur la Chine tout en ne froissant pas les Américains. Ce que l'Elysée qualifie d'"espace de dialogue". Cet "espace" devrait consister à trouver des "initiatives" afin de "soutenir la population civile ukrainienne" mais aussi à "identifier un chemin à moyen terme pour une issue au conflit", explique la présidence française.

L'Agence France-Presse rappelle qu'il y a peu, Paris espérait encore convaincre le président chinois s'exercer son "influence" sur son homologue russe, voire qu'il joue "un rôle de médiation". Attentes revues nettement à la baisse après la visite de Xi Jinping à Moscou.

Pourquoi la France a-t-elle des ambitions dans la région Indo-Pacifique ? 

"Le centre névralgique de la planète (...) s'est largement déplacé vers la zone indo-pacifique", résume auprès de l'AFP Cédric Perrin, sénateur du parti Les Républicains et coauteur d'un rapport sur la stratégie française dans cette région. "Cette zone est le futur nouveau monde", renchérit le sénateur socialiste Rachid Temal, coauteur du rapport. 
En 2040, "l'Indo-Pacifique", qui regroupera 75% de la population mondiale, produira plus de la moitié des richesses mondiales et les trois quarts des réserves de matières premières critiques, selon leur étude. 

Dans cette région, les territoires français s'étendent des côtes orientales de l'Afrique aux côtes occidentales des Amériques avec notamment Mayotte, l'île de la Réunion, la Nouvelle-Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie française ou encore des territoires antarctiques et subantarctiques.  
"Quelque 1,6 million de citoyens français vivent dans ces territoires" éloignés de la métropole, souligne Rachid Temal. 

Sur le plan militaire, plus de 7.000 soldats français y sont stationnés, une dizaine de frégates sont opérationnelles et quelques avions assurent la surveillance de la zone. "La France entend peser de tout son poids diplomatique et stratégique dans ce vaste espace", souligne Isabelle Saint-Mézard, chercheuse au Centre Asie de l'Institut français des relations internationales (Ifri).  Car la France, "certes une puissance moyenne", estime qu'elle peut avoir une "influence globale", explique-t-elle.  
Face aux risques d'une nouvelle guerre froide entre la Chine et les Etats-Unis, Paris se positionne comme "alternative" à Pékin ou Washington. 

Poutine et Xi à Moscou AP
Xi Jinping, le président chinois, en visite à Moscou le 21 mars 2023, lors d'une rencontre avec son homologue Vladimir Poutine.
© Vladimir Astapkovich, Sputnik, Kremlin Pool Photo via AP

Alors que la présidence se dit "très lucide", Emmanuel Macron devrait, en outre, présenter la position française quant à la crainte d'un soutien militaire de Pékin à la Russie. Un tel soutien serait une "décision funeste" qui aurait "un effet stratégique majeur sur le conflit", prévient un conseiller du chef de l'État soulignant qu'il s'agit aujourd'hui d'"éviter le pire". 
La cheffe de la diplomatie française, Catherine Colonna, affirmait pour sa part il y a quelques jours que le président français, lors de son déplacement, préviendra les dirigeants chinois "qu'il est essentiel de s'abstenir" de soutenir l'effort de guerre russe.

Au cours de ce que la diplomatie française qualifie de "visite de réengagement" après une longue parenthèse dûe notamment à la pandémie de Covid-19 (interrompue toutefois en novembre 2022 par une rencontre entre Emmanuel Macron et Xi Jinping lors du G20 de Bali en Indonésie), d'autres sujets seront à l'ordre du jour.

La relation UE-Chine, "une des plus complexes et importantes" au monde

A Pékin, le président français sera, notamment, accompagné par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Quelques jours avant ce déplacement, la dirigeante européenne a tenu des propos très fermes à l'encontre de Pékin. La relation UE/Chine est l'une des "plus complexes et importantes" au monde, a-t-elle dit, déplorant que cette relations soit devenue "plus distante et plus difficile".
"Nous ne devons pas nous couper de la Chine, mais nous devons réduire les risques", selon Ursula von der Leyen qui constate que "la Chine est devenue plus répressive en interne et plus agressive à l'extérieur", estimant enfin que "l'objectif du Parti communiste chinois est un changement de l'ordre international avec la Chine au centre".

La lutte contre le réchauffement climatique fait ainsi partie des défis mondiaux à propos desquels Paris juge Pékin "incontournable". Mais, comme nous sommes en Chine, les sujets économiques occuperont aussi une place importante.
Emmanuel Macron sera accompagné par une soixantaine de chefs d'entreprises françaises, dont ceux d'Airbus (aviation), EDF (électricité), Alstom (transport) ou Véolia (eau et assainissement). Des signatures de contrats sont attendues, promet l'entourage présidentiel.
Emmanuel Macron devrait aussi continuer de pousser pour "un meilleur accès au marché chinois" et "des conditions équitables de concurrence", comme lors de ses deux précédentes visites en Chine en 2018 et 2019.

Quelle place pour la question des droits humains ?

Comme à chaque visite du président en Chine, la question des droits humains est évoquée. "La question sera soulevée", promet l'entourage du président. Le 30 mars, l'organisation Human Rights Watch lui a demandé d'en faire "une priorité". Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen "ne devraient pas mettre sous le tapis l'autoritarisme croissant du gouvernement chinois" lors de leur visite à Pékin, estime HRW. 
La directrice France de l'ONG souhaite que le président français et la présidente de la Commission européenne demandent "publiquement" la libération de toutes les personnes détenues pour des raisons politiques. Human Rights Watch évoque "les centaines de milliers d'Ouïghours et d'autres musulmans turciques au Xinjiang, les activistes et les responsables politiques poursuivis pour des actions politiques pacifiques à Hong Kong et les manifestants arrêtés" lors de mouvements de protestation conte la politique "zéro covid". 
Human Rights Watch rappelle que lors de sa dernière visite d'Etat en Chine, en novembre 2019, Emmanuel Macron n'avait "pas mentionné publiquement les graves abus commis par Pékin au Xinjiang".