Fil d'Ariane
L’embargo avait été annoncé à titre provisoire fin mars. La Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites) a confirmé l’interdiction du commerce du bois de rose dans seize pays de l'Afrique de l'Ouest, le 8 juin. Le pillage de Pterocarpus erinaceus – connu sous le nom de "bois de vène" au Sénégal ou de "kosso" au Nigeria – met en danger la survie de l’espèce, face à l'expansion de la demande chinoise en mobilier de luxe.
Une décision sans précédent vise à stopper le pillage du bois précieux Pterocarpus erinaceus qui se propage en Afrique depuis plus d’une décennie. Et ce en dépit de son inscription en 2017 sur la liste des espèces menacées de la Convention sur le commerce international des espèces sauvages (Cites). Aujourd'hui, pour éviter une disparition du bois de rose, l'organisation vient d’interdire jusqu'à nouvel ordre les exportations de cette essence dans seize pays d’Afrique.
Les pays importateurs doivent de leur côté rejeter toutes les cargaisons qui pourraient leur être présentées. Le gendarme du commerce mondial de la flore et de la faune sauvage avait déjà donné un mois, le 28 mars dernier, aux Etats de la région pour démontrer que leur commerce est "non préjudiciable" à la survie de l’espèce, ou pour y mettre fin. Les gages donnés en retour par ces pays n'ont pas été jugés convaincants.
Le Nigeria, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée, le Niger, le Sénégal et la Sierra Leone sont prêts à renoncer à toute exportation. De leur côté, le Cameroun, la Gambie, la Guinée-Bissau et le Mali, veulent continuer d’exploiter leurs stocks mais « n’ont pas fourni les justifications requises par la convention ». La Centrafrique, le Tchad et le Togo ignorent quant à eux la mise en demeure du gendarme mondial.
L'essence est très recherchée pour la fabrication de meubles de luxe au Vietnam mais surtout en Chine. Le mobilier traditionnel en bois précieux est prisée par la nouvelle classe moyenne chinoise au point que le pays draine quelque 90 % des exportations mondiales du bois de rose. Si l'essence provenait principalement de l'Asie (Laos, Thaïlande, Birmanie…), aujourd'hui les forêts de la région sont saturées. Les négociants chinois se sont tournés vers l’Amérique du Sud, surtout le Brésil, et enfin vers Afrique de l'Ouest.
Actuellement, la région représente la première source d’approvisionnement de Pékin. Ainsi, depuis 2017, l’équivalent de 6,5 millions d’arbres, pour un montant de 1,9 milliard d’euros aurait été coupé dans les pays ouest-africains pour alimenter le marché chinois. Au Mali, 123 000 tonnes soit 182 900 arbres ont quitté illégalement le pays pour être transformée dans les usines chinoises entre mai 2020 et janvier 2022, selon l’Agence internationale de l’environnement (EIA). Et ce en violation d’une loi en vigueur depuis deux ans qui interdit la récolte et l'exportation du bois de rose.
"Le trafic est devenu inquiétant dans les années 2010 quand les Chinois s’y sont intéressés. Ils ont pillé tout le bois de rose de Madagascar et d’autres pays. Ils sont maintenant en Afrique de l’Ouest et pillent littéralement nos forêts", accuse l’écologiste sénégalais Haïdar El Ali sur l’antenne de la BBC. Entre son pays le Sénégal et la Chine, via la Gambie, le commerce illicite de bois de rose se poursuit, malgré les interdictions.
Certes le bois de rose ouest-africain ne possède pas la finesse de l'essence malgache. Mais « il était abondant et pas cher. En Chine, lorsque vous affichez chez vous des tables ou des membles fabriqués avec ce bois, vous êtes considérés comme quelqu’un qui fait partie des classes sociales supérieures. Cette forte demande chinoise a mis la pression sur l'Afrique », explique Raphaël Edou, de l’ONG américaine Environmental Investigation Agency, basée à Washington.
Et cet arbre, adapté aux zones semi-arides, est d’une grande importance écologique pour ces pays africains. "Il permet notamment de protéger nos sols, et donc notre agriculture", précise Raphaël Edou. Cette espèce légumineuse fixe l’azote atmosphérique et peut survivre aux feux de brousse.
Selon l'activiste, le trafic de bois de rose vers la Chine a aussi généré de "l'insécurité" sur place. "Plusieurs mouvements rebelles utilisent l'argent de ce trafic pour financer des armes, notamment Boko Haram".
A (re) voir: Au Madagascar, qui veut vraiment mettre fin au trafic de bois de rose ?
Raphaël Edou évoque "une décision historique". "Les pays de l’Afrique de l’Ouest ont pris des mesures pour interdire l’exploitation du bois de rose depuis des années, détaille-t-il. Mais ils ont du mal à faire appliquer leurs propres lois, cela ne marchait pas. Cette fois-ci, la mesure sera respectée, je le crois. Puisque la Chine, le grand importateur du bois de rose, est tenue de respecter cette convention. 184 pays sont membres de la Cites, dont la Chine, et la décision s’applique à tous".