Autrefois connue pour la végétation foisonnante qu'elle abritait, la forêt sénégalaise de Sebikotane (autour de Dakar) recule d'année en année. Ses nappes phréatiques sont surexploitées par les industries de la région. Les sols en deviennent stériles. L'air inhalé par les habitants et pollué par le rejet des industries métallurgiques à proximité, est en passe de devenir irrespirable. La pollution de l'air est devenue l'ennemi numéro un en matière de santé publique dans le pays.
Pour combattre cette pollution atmosphérique, il faut d'abord bien la connaître. Réunie autour de cette préoccupation, une équipe internationale de scientifiques, artistes et membres de la société civile sénégalaise se sont lancés dans une enquête participative.
Le fruit de leur travail : le projet AirGeo, porté par le CNRS, l’UCAD (université Cheikh Anta Diop), l’IRD (Institut de recherche pour le développement), la mairie de Sébikotane et Ker Thiossane au Sénégal.
L'enjeu du projet est double : quantifier la pollution atmosphérique au Sénégal grâce à des écorces d'arbres et inviter les habitants à agir. L'initiative, lancée en 2020, a remporté le vendredi 27 juin le Prix de la recherche participative 2024 au ministère français de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
On a choisi la forme d'une lanterne dans laquelle on place des écorces.
Mélina Macouin, géophysicienne
"On a décidé de se faire confiance et ça a marché"
Au sein de l'équipe de scientifiques à l'origine du projet AirGeo figure le chercheur Yann-Philippe Tastevin, chargé de recherche au CNRS et à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar. Habitant de Dakar, il est passé à l'action aux côtés de Mélina Macouin, géophysicienne et Mayoro Gueye, membre de la société civile.
J'ai officié comme un interprète, voire un diplomate entre les chercheurs français et la population sénégalaise.
Mayoro Gueye, membre de la société civile
Lui connaissait le terrain et elle avait déjà un projet dans lequel elle avait développé des capteurs low tech, fabriqués à partir d'écorces, pour mesurer la qualité de l'air. "On ne parlait pas le même langage scientifique, mais on a décidé de se faire confiance et ça a marché", ajoute-t-elle.
Chercheurs en sciences sociales, géophysiciens, spécialistes en sciences atmosphériques et designers se sont alors lancés dans la production de ces capteurs de la pollution de l'air. "On a choisi la forme d'une lanterne dans laquelle on place des écorces et on les a laissées installées pendant six mois. La surface rugueuse de l'eucalyptus piège les particules, et ce, malgré la pluie ou le vent" détaille Mélina Macouin.
A l'origine, le chercheur Yann-Philippe Tastevin s'est lui toujours intéressé aux circuits des déchets.
"Pendant longtemps, j'ai documenté le recyclage en Afrique et en Asie, et j'ai été interpellé par les habitants des petites villes industrielles autour de Dakar", retrace celui qui se définit comme anthropologue "des objets et des techniques".
Et c'est justement au fil de ses missions qu'il s'est aperçu qu'il y avait un "angle mort" dans sa recherche : "Je me suis rendu compte qu'on ne réfléchit pas assez à la cohabitation entre les sociétés et les occupations industrielles".
"Démocratie participative"
Enfants et adolescents des communautés locales ont participé au montage des capteurs. Puis, une dizaine de médiateurs, dont les chefs des quartiers traditionnels et leurs homologues féminins, les ont déployés sur les territoires. "Le projet est fondé sur l'idée d'une démocratie participative et s'est appuyé sur ce réseau. Cela a permis de créer du lien entre les différents acteurs", estime la géophysicienne.
Un travail qui n'aurait pas eu lieu sans l'intervention de Mayoro Gueye : "J'ai officié comme un interprète, voire un diplomate entre les chercheurs français et la population sénégalaise, pour faire connaître et faire accepter le projet. Les gens avaient quelques hésitations, notamment, car ils ont l'habitude de voir des chercheurs qui viennent, collectent leurs données et disparaissent en suite", dit-il.
"Si l'on veut renverser le statu quo, le combat doit être mené sur tous les fronts."
Mayoro Gueye, membre de la société civile
Résultat ? Les études montrent que la concentration de particules varie énormément d'une zone à l'autre. Mais le projet a atteint une dimension complètement inespérée : il a déclenché, entre autres, un débat public pour tenter d'enrayer les effets nocifs de la pollution sur la santé des habitants.
"Les choses sont encore en cours, le problème n'a pas été réglé, mais c'est en marche", déclare, optimiste, Yann-Philippe Tastevin. Grâce à la construction d'un vaste "réseau d'observateurs", le dialogue a pu être enfin instauré entre certaines usines et les habitants.
L'espoir d'une forêt rénovée
Le programme a connu un tel engouement que les autorités locales ont confié une cuvette de 5 ha dans l'ancienne forêt à l'association scientifique-citoyenne. Pour Yann-Philippe Tastevin, cette décision va au-delà du symbolique : "Créer un espace commun où on peut partager, se promener, avoir un peu de fraîcheur et préserver la biodiversité, c'est un enjeu social très fort".
Si l'objectif de voir une forêt restaurée est encore loin, cette initiative fait renaître l'espoir parmi les habitants.
"Des botanistes, paysagistes et autres experts ont travaillé sur le choix de plantes qui seront ré-introduites", détaille l'anthropologue. Il est toutefois difficile de mesurer l'impact que cette oasis verte aura sur la qualité de l'air, notamment, car elle est minime à l'échelle du paysage, dominé par les usines.
Les initiatives citoyennes pour préserver la nature se développent en marge de la Muraille Verte, projet lancé en 2007 par l'Organisation des Nations Unies, qui vise à relier le Sénégal à Djibouti par une immense ceinture végétale. L'objectif : 100 millions d'hectares de terres verdies d'ici 2030. Un chantier séduisant qui n'a atteint que 5% de son dessein.
Mais selon Yann-Philippe Tastevin, c'est la somme des pressions qui viennent du haut - les institutions - et celles qui émergent du bas - les initiatives citoyennes - qui peuvent faire bouger les lignes. Si l'on veut renverser le statu quo, selon Mayoro Gueye, le combat politique "doit être mené sur tous les fronts".