Fil d'Ariane
Ce dimanche 11 juillet, une vague de chaleur sévit sur une grande partie du Maroc et de l'Espagne avec des températures qui dépassent les 40 degrés Celsius à Madrid et à Séville pour le deuxième jour consécutif. Selon l'Agence météorologique espagnole, le premier épisode d'extrême chaleur du pays devrait continuer ce lundi 12 juillet avec une propagation à l'est avant une baisse des températures. Comment expliquer un tel phénomène ?
À l'Ouest des États-Unis, la bien nommée Vallée de la Mort, tenante du titre du record moderne et absolu de chaleur sur la planète (54,4 degrés le 16 août 2020 et 56,7 degrés relevés le 10 juillet 1913), va aussi subir un épisode de chaleurs extrêmes ce weekend d'après le National Weather Service, se rapprochant même de son record établi en août 2020.
De nouveaux records de température pourraient être établis aux États-Unis lors de cette deuxième vague de chaleur en seulement quelques semaines. Las Vegas a d'ores et déjà égalé son record absolu de 47,2 degrés Celsius (atteint pour la première fois en 1942 et trois fois depuis 2005).
À la fin du mois de juin (mois le plus chaud jamais enregistré en Amérique du Nord), à l'ouest du Canada et au nord des États-Unis, plusieurs centaines de personnes sont mortes à cause de la chaleur insoutenable. Dans la ville de Lytton, en Colombie-Britannique, la température avait atteint 49,6 degrés Celcius, définissant ainsi le record absolu de température du Canada.
Comment expliquer ces vagues de chaleur à répétition ? Pourquoi a-t-on l'impression que c'est de pire en pire ? Peut-on améliorer les choses ? Nous nous sommes entretenus avec Claire Chanal, prévisionniste à Météo-France et Hervé Le Treut, climatologue et membre de l'Académie des sciences.
Les records de chaleur sont expliqués par deux phénomènes.
Le premier est strictement météorologique. Il s'agit d'une situation de blocage anticyclonique : un anticyclone stagne quelque part et la masse d'air se réchauffe petit à petit. "Ce phénomène est la source des canicules depuis la nuit des temps" nous explique Claire Chanal, prévisionniste à Météo-France.
Le deuxième phénomène est, majoritairement, dû à l'action de l'homme : Le réchauffement climatique. On émet dans l'atmosphère des gaz à effet de serre et l'effet de serre crée le réchauffement climatique. "Ces gaz ont un peu le rôle de la vitre d’une voiture qu’on laisse au soleil : la voiture n’arrive pas à se refroidir parce que la vitre empêche le refroidissement. C’est exactement pareil, les gaz à effet de serre jouent ce rôle-là." nous dit Hervé Le Treut, climatologue. 80% de notre énergie vient des gaz à effet de serre et ils empêchent la planète de se refroidir. "On parle d'atténuer l'effet mais on ne parle pas de l'empêcher", rajoute t-il.
Avec le réchauffement climatique, "les masses d'air qui stagnent sont plus chaudes à la base et donc on bat des records", précise Claire Chanal.
Malgré l'accalmie due au Covid-19, d'un point de vue planétaire, on émet toujours plus de gaz à effet de serre. "Ce CO2 qu'on met dans l'atmosphère aujourd'hui, c'est quatre fois plus que ce qu'on mettait dans l'atmosphère dans les années 60" déplore Hervé Le Treut.
Un groupe de scientifiques a fait une étude pour voir si la chaleur récente du nord-ouest de l'Amérique aurait été possible dans le climat préindustriel. Conclusion : ça n’aurait pas été possible. "Dans le climat actuel où on est actuellement 1,2 degrés Celsius au dessus du climat préindustriel, on peut estimer la rareté d'un tel événement à une fois tous les mille ans. D'ici quelques dizaines d'années, avec le réchauffement climatique, un tel événement pourrait se produire tous les 5 à 10 ans... Avec ce réchauffement climatique et la hausse des températures à l'échelle mondiale, on aura des canicules qui vont être plus intenses, plus longues et plus sévères" explique Claire Chanal.
Pour espérer une amélioration, un des derniers rapports du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) estime qu'on doit arriver à la neutralité carbone, c'est à dire zéro émission de gaz à effet de serre alors qu'il représente 80% de notre énergie. De plus, il faudrait qu'on y soit arrivé dans 30 ans au niveau mondial. "Bien qu'il s'agisse d'un objectif directeur important à garder en tête, c'est quelque chose qui n'est pas tenable d'un point de vue social. Il nous manque un gendarme au niveau de la planète, mais ce gendarme n'existe pas" selon Hervé Le Treut qui rajoute qu'"à ce stade, ce n'est pas qu'on « peut », mais qu’on « doit » s’attendre à pire".
Une des solutions résiderait, d'après le climatologue, dans des actions au niveau des territoires plutôt qu'à un niveau plus global. "À l'échelle d’une région, d’un territoire, on regarde les choses d’une manière différente : avec la part de conflictualité qu’il peut y avoir. Tout le monde n’est pas d’accord sur la façon de faire : par exemple certains sont contre les éoliennes, d’autres sont contre les centrales solaires. Il faut arriver à débattre de ça parce que c’est là que sont, je pense, nos ressources principales d’action par rapport à ce qui se dessine aujourd’hui. On peut bien sûr regarder ce qu’on va faire comme action en se plaçant dans une vision un peu large des choses mais ça doit s’incarner dans les régions"
Une chose semble certaine : on arrivera pas à faire un retour en arrière. "On sait que les vingt prochaines années sont écrites par les émissions de gaz à effet de serre des années précédentes. Il y a des tas de choses qu'on ne peut plus faire... Un peu comme quelqu'un qui a raté son train et qui espère prendre le wagon suivant. C'est impossible, il faut attendre le train suivant." se résigne Hervé Le Treut.