Climat: la guerre peut-elle être un accélérateur de la transition énergétique pour l'Europe ?

Le dernier volet du sixième rapport du Giec, publié ce lundi 4 avril, s'intéresse aux moyens de limiter nos émissions de gaz à effet de serre. Dans le même temps, la guerre en Ukraine pousse les Européens à revoir leur dépendance énergétique au gaz russe. La guerre peut-elle encourager l'Europe à évoluer vers plus de sobriété énergétique ?
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Transition énergétique - rapport GIEC
La guerre en Ukraine place au cœur des débats la question de la transition énergétique.
Jens Meyer/ AP
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Trois ans, c’est le temps qu’il reste à l'humanité pour sauver la planète. C'est ce qu'affirme le dernier et troisième volet du sixième rapport du GIEC sorti ce lundi 4 avril. Très concrètement, il faut réussir à inverser la courbe des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2025. C’est la seule solution si l'humanité veut espérer évoluer dans une planète "vivable", toujours selon le Giec (le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). L'échéance de trois ans invite à se concentrer sur des mesures rapides et efficaces pour réduire nos consommations énergétiques.

Les préoccupations gouvernementales en Europe sont aujourd’hui tournées vers la guerre en Ukraine. La Russie menaçait encore la semaine dernière de couper ses robinets de gaz à l’Europe si celle-ci refusait de la payer en rouble. Or, la Russie continue de fournir environ 40 % de la consommation de gaz des pays de l'Union européenne. La guerre, comme la crise écologique, invite les pays européens à revoir notre dépendance énergétique et de fait notre consommation énergétique. Compte-tenu de leurs ressources réciproques, les stratégies énergétiques varient en fonction des pays.

Dans certains cas, on pourrait penser que la crise énergétique liée au conflit ukrainien pourrait plutôt être un accélérateur de transition écologique. Dans d’autres cas, c’est très ambivalent.

Éric Vidalenc, expert énergie et spécialiste neutralité carbone à 2050.

Diversification énergétique ou sobriété énergétique face à la guerre

"Les stratégies qui se dessinent sont assez différentes en fonction des pays. Dans certains cas on pourrait penser que la crise énergétique liée au conflit ukrainien pourrait plutôt être un accélérateur de transition écologique. Dans d’autres cas, c’est très ambivalent.", détaille Éric Vidalenc, expert énergie et spécialiste neutralité carbone à 2050.
 
À (re)lire : Guerre en Ukraine : quelles conséquences d’une coupure du gaz russe en Europe ?

Tous les pays n'ont pas le même mix énergétique. L'Allemagne produit encore du charbon. Elle est dépendante à 55% du gaz russe. Face à la menace du Kremlin, Berlin a choisi de se tourner vers la diversification énergétique. Elle va utiliser plus de charbon allemand et moins de gaz russe dans son système électrique. Or, le charbon émet deux fois plus de CO2 que le gaz russe. En contrepartie, l’Allemagne promet de relever ses ambitions de de renouvelables à 2035. "Elle est passé de 10% de renouvelables à 50% en quinze ans. Elle annonce qu'elle veut revoir ses objectifs à 2035 à 100% de renouvelables", rappelle en effet Éric Vidalenc.

carte UE dépendance gaz russe
La dépendance des pays de l'Union européenne aux importations de gaz russe 
La France, elle, ne produit plus de charbon. La stratégie de la diversification énergétique semble moins intéressante. Selon, Éric Vidalenc, elle ne peut se tourner que vers une seule alternative : la sobriété énergétique.

Mettre en place des politiques applicables en quelques semaines

Les politiques de sobriété et d’efficacité sont des leviers dans des économies où on importe l’intégralité des énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole). Ces politiques visent à réduire les consommations d’énergie par des changements de comportement, de mode de vie et d’organisation collective. Elles ont un avantage concret. Elles peuvent être applicables à très court-terme. Elles répondent ainsi aux délais courts avancés par le rapport du GIEC et aux exigences de la guerre.

On peut voir ces leviers comme des leviers coercitifs et restrictif. Mais ils peuvent en vérité générer des co-bénéfices.

Éric Vidalenc, expert énergie et spécialiste neutralité carbone à 2050.

La baisse de température dans les bâtiments, la limitation de vitesse des voitures, la réduction de la production de viande constituent des mesures nécessitent des décisions des gouvernements qui peuvent être mises en place en quelques semaines, voire quelques mois. "On peut voir ces leviers comme des leviers coercitifs et restrictif", admet Eric Vidalenc. "Mais ils peuvent générer des co-bénéfices.  Par exemple, si on change notre régime alimentaire pour une alimentation moins carnée, c’est meilleur pour la santé, moins cher pour le consommateur et plus respectueux de l’environnement puisque qu’on élève moins de bovins.", assure Eric Vidalenc. 
 
À l'inverse, tout ce qui nécessite la construction d’infrastructures sur plusieurs années ne pourra régler la question énergétique tout de suite.  "Par exemple, du point de vue de la mobilité, vous ne pouvez pas mettre la moitié de la population du jour au lendemain sur des vélos s’il n’y pas d’infrastructures cyclables.", explique Eric Vidalenc. Cela ne veut dire qu'il ne faut mettre en place ces installations.

Ce qu’on a aujourd’hui, (avec la montée des prix du gaz ndlr.), c’est une sorte de taxe carbone qu’on subit mais sans les ressources qui vont avec.

Éric Vidalenc, expert énergie et spécialiste neutralité carbone à 2050.

La montée des prix de l'énergie comme régulateur de consommation énergétique

Une autre question que pose cette transition énergétique est la question du prix de l'énergie. Si la ressource devient plus rare, comme ce sera le cas si Russie coupe le gaz à l'Europe, qui va payer ? "Ce qu’on a aujourd’hui, (avec la montée des prix du gaz ndlr.), c’est une sorte de taxe carbone qu’on subit mais sans les ressources qui vont avec.", détaille Eric Vidalenc dans un article pour Alternative Economiques.

La taxe carbone est justement à l'origine de nombreux mouvements sociaux, comme celui des gilets jaunes en France. Elle fait grimper automatiquement le prix de biens de première nécessité, comme l'essence. Le deuxième problème, c'est qu'on ne sait pas vraiment quel est la conséquence d'une telle mesure. "Est-ce qu’à deux euros les gens arrêtent de prendre la voiture pour faire un kilomètre ? Et à trois euros, qu’est-ce qu’il se passe ?", s'interroge Eric Vidalenc.

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La méthode des quotas permet de répondre à ces limites. Comment cette méthode fonctionne-t-elle ? On garantit par exemple 10000 kWh par an à un prix donné pour tout ménage. Au-delà, vous devez acquérir des kWh en bourse. Si vous êtes un "ménage sobre", vous avez des excédents de quotas et vous revendez de l’énergie. Si vous êtes très consommateur, vous devez en racheter. "Ici, les prix peuvent monter très haut si des ménages très riches veulent continuer à faire des déplacements en avion par exemple.", détaille Eric Vidalenc. Est-ce vraiment juste ? Le débat est lancé.

Mais ce qui est certain, c'est que la guerre en Ukraine ravive la question de l'autonomie et de la sobriété énergétique. Cela ne veut pas dire que le passage à une économie de guerre une bonne chose pour l'écologie. "En temps de guerre, l’outil industriel peut être réorienté, comme il a pu l'être par le passé en tout cas", explique Eric Vidalenc. "Cela peut retarder certaines transitions, notamment si on préfère mettre l'appareil productif au service de l'effort de guerre plutôt qu'au service du verdissement de l'économie", ajoute-t-il. 

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