COP 28 : l'OPEP bloque toute sortie des énergies fossiles

Les négociations pour un accord à la COP28 entrent dans la dernière ligne droite avant la clôture de la conférence climatique à Dubaï prévue mardi 12 décembre. Le blocage porte sur l'avenir des combustibles fossiles qui sont les principales sources d'émissions de gaz à effet de serre. Signe d'un sentiment d'urgence ou de panique, l'OPEP est à la manœuvre.

Image
Haytham al-Ghais OPEP

Le secrétaire général de l'OPEP, le Koweïtien Haitham Al Ghais lors d'une conférence internationale sur les hydrocarbures à Abu Dhabi, le 2 octobre 2023 aux Emirats Arabes Unis.

AP Photo/Kamran Jebreili
Partager 3 minutes de lecture

En pleine COP 28, l'initiative du secrétaire général koweïtien de l'Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole n'avait sûrement pas vocation à être rendue publique, mais elle a fuité. Pour la première fois, le secrétariat de l'OPEP est intervenu dans les négociations par une lettre écrite "dans l'extrême urgence" à ses 23 membres ou associés. 

Il serait inacceptable que des campagnes à motivation politique mettent en danger la prospérité et l'avenir de nos peuples
Haitham Al Ghais, secrétaire général de l'OPEP

Dans ce courrier daté du 6 décembre, le secrétaire général de l'OPEP, Haitham Al Ghais exhorte les délégations à la COP28 à "rejeter de manière proactive tout texte ou formule ciblant l'énergie, c'est-à-dire les combustibles fossiles plutôt que les émissions". Il réagissait à la publication d'un projet d'accord à la COP 28. "Il semble que la pression indue et disproportionnée contre les combustibles fossiles pourrait atteindre un point critique avec des conséquences irréversibles, dans la mesure où le projet de décision contient encore des options sur l'élimination progressive des combustibles fossiles", indique la lettre.

Les partisans des hydrocarbures résistent 

Les pays producteurs d'hydrocarbures plaident pour une transition énergétique dans laquelle les énergies fossiles jouent un rôle dans la sécurité des approvisionnements. L'enjeu est de taille pour l'OPEP. "Même si les pays membres de l'OPEP et les pays non membres de l'OPEP participant à la Charte de coopération (CoC) prennent le changement climatique au sérieux et ont fait leurs preuves en matière d'actions climatiques, il serait inacceptable que des campagnes à motivation politique mettent en danger la prospérité et l'avenir de nos peuples", écrit dans son courrier le secrétaire général koweïtien de ce cartel.

Interrogé par l'agence Reuters sur sa lettre, le secrétaire général de l'OPEP a répondu que "le monde a besoin d'investissements majeurs dans toutes les énergies, y compris les hydrocarbures, dans toutes les technologies, et d'une compréhension des besoins énergétiques de tous les peuples".

Le Qatar fournit les marchés mondiaux en énergie propre grâce à la production de gaz naturel
Faleh Nasser Al-Thani, ministre de l'Environnement du Qatar

Lors des négociations, les membres de l'OPEP mais aussi ceux associés au sein de l'OPEP+ s'opposent à l'élimination des combustibles fossiles. Chef de file du bloc des pays arabes, l'Arabie Saoudite est accusée de faire obstruction.

Pour appuyer leur argumentaire, certains veulent parier sur la technologie de capture du carbone, pourtant très critiquée pour son efficacité non prouvée et pour son coût onéreux.

A la tribune, le représentant du Qatar a profité lui de l'occasion pour vanter le gaz naturel, dont son pays est un grand producteur. "Le Qatar fournit les marchés mondiaux en énergie propre grâce à la production de gaz naturel", a assuré sans sourciller le ministre de l'Environnement du Qatar, Faleh Nasser Al-Thani.

Samedi, le représentant du secrétaire général de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) a lui défendu son opposition à tout ciblage spécifique des énergies fossiles dans un accord final. "L'accord de Paris parle de réduire les émissions, plutôt que de choisir certaines sources d'énergie", a déclaré Ayed Al-Qahtani, directeur de la recherche de l'Opep, au nom du secrétaire général Haitham al-Ghais. "Il n'y a pas de solution ou de voie unique pour atteindre un avenir énergétique durable", a-t-il dit.

Bras de fer sur les combustibles fossiles

La lettre du secrétaire général de l'OPEP a suscité une vague d'hostilité parmi les défenseurs de l'environnement et partisans d'un discours fort sur l'élimination progressive des énergies fossiles. Certains commentaires perçoivent un sentiment de panique de la part des pays de l'OPEP. La polémique de la lettre de son secrétaire général ravive le rapport de force à l’œuvre dans les négociations entre les quelque 200 pays présents ou représentés à quelques jours de la date officielle de clôture de la conférence climatique à Dubaï prévue mardi 12 décembre. 

"L'Union européenne va s'aligner avec de nombreux autres, une grande majorité de parties à cette conférence, pour s'assurer que nous obtiendrons un résultat significatif et productif sur la sortie des énergies fossiles, la transition énergétique, tout en assurant l'accès à l'énergie pour tous", a déclaré la ministre espagnole de la Transition écologique Teresa Ribera, dont le pays assure la présidence semestrielle du Conseil de l'Union européenne.

Le ministre canadien de l'Environnement Steven Guilbeault, qui joue un rôle clef dans les discussions, a pour sa part fait preuve de plus d'optimisme, disant à l'AFP être "assez confiant" dans le fait d'avoir une mention des énergies fossiles dans le texte final.

"C’est une conversation qui va durer encore quelques jours. Différents groupes se parlent, discutent, essaient de comprendre sur quoi on pourrait réussir à s’entendre mais c’est encore assez embryonnaire comme discussion", a-t-il expliqué.

Le dernier projet d'accord propose des formules inédites sur les énergies fossiles. Cinq options sont désormais proposées, dont celle de n'avoir "aucun texte" - rien sur le sujet - ou encore "une sortie des énergies fossiles alignée sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles". 

Leur sort est aussi mentionné dans le passage qui appelle à un triplement de la capacité des énergies renouvelables dans le monde d'ici à 2030. 

Les ministres espagnole et française réagissent à la lettre de l'OPEP 

La ministre espagnole de la Transition écologique Teresa Ribera a dénoncé samedi la position "répugnante" de l'Opep "de s'opposer à ce qu'on mette la barre là où elle doit être" sur le climat.

La ministre française de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher s'est aussi dite "stupéfaite" et "en colère". "La position de l’OPEP met en péril les pays les plus vulnérables et les populations les plus pauvres qui sont les premières victimes de cette situation", a-t-elle ajouté. "Je compte sur la présidence de la COP pour ne pas se laisser impressionner par ces déclarations et pour porter un accord qui affirme un objectif clair de de sortie des énergies fossiles", a aussi affirmé Mme Pannier-Runacher.