COP26 : la reforestation peut-elle stopper le réchauffement climatique ?

Lors de la COP26, plus de 100 pays se sont engagés à protéger les forêts afin de préserver les "puits de carbone" qu'elles représentent. Certains pays vont plus loin : ils défendent des programmes de reforestation. Planter de nouvelles forêts peut-il aider à atténuer le changement climatique ? Premier volet d'une série d'articles sur les différentes manières de capter le CO2.
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Reforestation en Inde
Des responsables du département indien des forêts plantent des jeunes arbres dans le cadre d'une campagne annuelle de reforestation à la périphérie de Prayagraj, dans le nord de l'État d'Uttar Pradesh, en Inde, le dimanche 4 juillet 2021. (Photo AP / Rajesh Kumar Singh)
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Et si nous pouvions retirer un peu plus de  CO2 de l'air tout en émettant moins ? C'est avec ce concept que la "capture carbone" s'est invitée dans les débats de la COP26. Récupérer et séquestrer le CO2 grâce à des usines — pour le stocker dans le sol — est depuis peu envisagé, mais une solution parfaitement  "naturelle" reste plus efficace. La solution de séquestration du CO2 la plus connue est celle les forêts, qui jouent un rôle primordial dans la régulation du climat. Les forêts recouvrent un peu plus de 30% de la surface terrestre et sont le deuxième plus grand "puits de carbone" de la planète, après les océans.

Lors de la COP26, le Mexique et l'Inde ont particulièrement insisté sur leur capacité à absorber le CO2, non pas en conservant les forêts, mais au contraire par des programmes de reforestation. L'Inde est particulièrement en pointe sur le sujet, puisque ce pays est le 3ème plus gros émetteur de gaz à effet de serre au monde.  Les émissions de ce pays, au niveau mondial sont de 6,6% , derrière les Etats-Unis (11%) et la Chine (27%). Ces chiffres d'émissions de CO2 comprenent les absorptions provenant de l'utilisation des terres et des forêts.

Capture carbone des forêts : tout ne se vaut pas

Selon une étude publiée dans la revue Nature Climate Change, les forêts ont absorbé deux fois plus de gaz carbonique qu'elles n'en ont émis entre 2001 et 2019. Sur cette période, 16 milliards de tonnes de CO2 ont été piégées chaque année par les forêts, contre une moyenne annuelle de 8 milliards de tonnes de CO2 libérées (voir encadré ci-dessous).  Les émissions de gaz à effet de serre par les activités humaines en équivalent CO2 étaient elles de 34 milliards de tonnes en 2020.

Toutes les forêts n'ont pas les même capacités. Ce sont les forêts tropicales qui absorbent le plus de CO2. Les chercheurs estiment que sur les trois zones principales de forêts tropicales,  en Asie du sud-est, en Amérique du Sud et dans le bassin du Congo en Afrique centrale, seule la zone du bassin du Congo constituait encore un important puits de carbone.

En 20 ans, les forêts d'Asie du sud-est sont devenues une source nette d'émissions en raison des coupes destinées à les remplacer par des plantations, la conversion des tourbières en terres agricoles et les incendies. Le bassin de l'Amazone est quant à lui encore un puits de carbone, mais son efficacité est très diminuée. Selon les estimations de l'étude de Nature climate change, la forêt amazonienne absorbe chaque année 1,2 milliard de tonnes de CO2 mais en libère au moins 1,1 milliard de tonnes. Son bilan annuel est donc de seulement 100 millions de tonnes de CO2 séquestré.

Séquestration de CO2 et reforestation : pas si simple

L'Inde a lancé un grand programme de baisse de ses émissions carbone par la "reforestation compensatoire". Le principe est simple : pouvoir déboiser pour construire plus de 20 nouveaux aéroports et près de 8000 kilomètres d'autoroutes, tout en respectant son engagement de la COP21 à créer un "réservoir à carbone de 2,5 à 3 gigatonnes" par des replantations. Des chantiers de déforestation et reforestation sont donc en cours depuis plusieurs années dans ce pays d'1 milliard quatre cent millions d'habitants.

Le quotidien Libération a enquêté sur place et souligne de nombreux problèmes qui inquiètent les scientifiques. Les essences replantées sont pour la plupart à destination du commerce du bois, comme le palissandre et le teck. Mais surtout, ces nouvelles forêts — même si elles sont diversifiées, selon les agences gouvernementales indiennes — n'ont pas du tout les qualités des puits carbone des forêts tropicales d'origine.

Quand les forêts émettent plus de CO2 qu'elles n'en capturent

Les arbres en croissance d'une forêt se nourrissent de CO2, c'est pourquoi on parle de puits de carbone. Mais une forêt est aussi émettrice de carbone par la décomposition des arbres morts
. Le bilan carbone d'une forêt peut donc varier au cours du temps que ce soit naturellement, ou bien par la déforestation .

Les nouvelles forêts plantées sur des sites montrant déjà un certain niveau de carbone dans le sol devraient "faire l'objet d'une régénération de forêt naturelle plutôt que d'une plantation de nouveaux arbres", selon des chercheurs  qui ont étudié la création de nouvelles forêts en Chine, entre 2011 et 2013.

Ces constats sont appuyés par une autre étude, publiée dans la revue Frontiers in Ecology and the Environment en mai 2021, qui estime que la plantation d’arbres dans des zones normalement sans couvert forestier, comme les prairies ou les toundras peut libérer des réserves de carbone au lieu d'en stocker

Préserver les forêts et améliorer l'albédo des sols

L'équilibre des forêts est fragile et peut être facilement rompu par les plantations de nouvelles essences à croissance rapide comme les eucalyptus ou les pins, souvent utilisées pour leur capacité à stocker très vite du carbone. Ces essences peuvent en effet poser des problèmes pour la biodiversité et causer un assèchement des sols, ce que les chercheurs du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) ont déjà vérifié et pointé du doigt.

Les chercheurs du CIRAD estiment par ailleurs que "les modèles du Giec intègrent le stockage de carbone et les émissions de gaz à effet de serre (GES) pour évaluer les changements de pratiques ou d’usages des sols" mais que "ces effets, dits biogéochimiques ne sont pas les seuls à peser dans la balance climatique." Le centre de recherche agronomique explique que "l’albédo du sol, c’est-à-dire sa capacité à réfléchir ou à absorber le rayonnement solaire, conditionne la température de la surface terrestre".  En effet, plus l'albédo des sols est important, plus il réfléchit les rayons solaires, plus la température baisse. Et cet albédo des sols "est dépendant des techniques de séquestration du carbone dans la biomasse végétale".

Les techniques de stockage des gaz à effet de serre peuvent augmenter la température terrestre

Rémi Cardinael, chercheur au CIRAD donne l'exemple de l’épandage de biochar, un charbon d’origine végétale, "qui contribue au stockage du carbone et réduit les émissions de protoxyde d’azote (N2O), un puissant gaz à effet de serre", mais qui, "sur des sols clairs, diminue fortement l’albédo et contribue à augmenter la température terrestre". La capture et le stockage du CO2 par la reforestation n'est donc pas sans contradictions ni sans risques, même si des solutions existent dans le cas du biochar, "en l'appliquant sur des sols sombres, dans des cultures sous couvert végétal permanent, l’enfouir, ou encore le mélanger à de l’argile blanche ou de la chaux pour l’éclaircir."
 

Biochar
Champ fertilisé au biochar en Afrique
(Source : Biocharm Project)

Les chercheurs semblent donc plutôt enclins — dans le cas de la capture CO2 par les forêts — à conserver et protéger ces forêts plutôt que de pratiquer la reforestation ou l'afforestation massives — c'est à dire la plantation d'arbres sur des sites sans forêts.

En complément de cette protection des forêts, une nouvelle voie — très peu explorée mais visiblement prometteuse — pour atténuer le réchauffement climatique —, émerge. C'est celle du changement de l'albédo lié à la culture des sols, selon Rémi Cardinael : "la communauté scientifique s’engage dans cet axe de recherche car il y a un besoin crucial d’améliorer la description de la gestion des cultures dans les modèles climatiques du GiecLes mesures de télédétection et la modélisation doivent permettre de quantifier les retombées à plus large échelle.". Un nouvel espoir de rafraîchir la planète pourrait donc résider en partie dans le changement des pratiques agricoles et une gestion des sols plus adaptée.