Coronavirus : et si santé animale, humaine et écologique ne faisait qu'une ?

Le Danemark a décidé le 4 novembre d'abattre 15 millions de visons d'élevage. Contaminés par la Covid-19, les autorités estiment qu'ils peuvent compromettre la fabrication d'un vaccin. Espagne et Pays Bas ont, en mai et juin dernier, pris la même résolution radicale. Quel lien entre les visons, l'Homme et le Covid-19 ? Coralie Martin, parasitologue au Muséeum d'histoire naturelle de Paris nous explique qu'on ne peut pas séparer l'humain de l'animal : "l'Homme est un animal comme un autre".
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Vison dans un élevage bélarusse
Vison d'un élevage de Litusovo, près de Minsk au Bélarusse, 6 décembre 2012.
Le 4 novembre 2020, le gouvernement danois ordonne l'abattage de 15 millions de visons contaminés par la Covid-19.
© AP Photo/Sergei Grits (archives)
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Le 4 novembre 2020, le gouvernement danois annonce l’abattage de tous ses visons d’élevage, soit 15 à 17 millions d’animaux. En juin, les Pays-Bas sont contraints de prendre la même décision. L’Espagne voit ses élevages de vison touchés par la Covid-19 en mai et décide d'en abattre 100.000. Cette industrie était vouée à s’éteindre : les Pays-Bas et le Danemark, comme la France d’ailleurs, avaient en effet programmé la fin de l’élevage de ces bêtes à fourrures pour 2024 et 2025. La crise sanitaire a donc précipité cette évolution.
Les visons seraient à l’origine d’une mutation du coronavirus déjà transmise à 12 personnes, selon les autorités danoises. Ce qui motive une décision aussi radicale est la crainte de la Première ministre Mette Frederiksen, citée par l’AFP, que "le virus muté via les visons peut créer le risque que le futur vaccin ne fonctionne pas comme il le doit".
De telles mutations ne rendent pas forcément le virus plus dangereux pour l’homme, mais peuvent avoir d’autres conséquences.

Un impact sur un futur vaccin

Les autorités danoises estiment que cette mutation se caractérise par une moindre efficacité des anticorps humains et donc menace la mise au point d'un vaccin contre la Covid-19. Pour le responsable de l'Autorité danoise de contrôle des maladies infectieuses (SSI), Kåre Mølbak, toujours cité par l’AFP , "le virus muté détecté sur des visons ne réagit pas autant aux anticorps que le virus normal. Les anticorps ont toujours un effet mais pas aussi efficace". Il rajoute alarmiste "Le pire des scénarios est d'avoir une pandémie qui reparte d'ici au Danemark ".
Selon le ministre de la santé danois Magnus Heunicke, "les recherches ont montré que les mutations pouvaient affecter les actuels candidats pour un vaccin contre le Covid-19" selon l’AFP. "C'est une menace pour le développement de vaccins contre le coronavirus, c'est pour ça que nous devons mener une campagne nationale" explique-t-il.

(RE)voir : Coronavirus au Danemark, une mutation du virus chez les visons inquiète
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Un phénomène qui n’est pas inédit

Une première épidémie avait touché les élevages de visons aux Pays-Bas en avril et mai 2020. Le gouvernement neerlandais avertit l'Organisation mondiale de la santé animale, l'OIE, en lui faisant part de sa décision d'abattre les animaux. Les Pays-Bas avaient prévu de mettre fin à l'élevage de visons en 2024.
Le Danemark a son tour envoie un courrier à l'OIE pour lui faire part de cas de contaminations au coronavirus dans certaines fermes à vison du Jutland. L'OIE rassemble les études concernant la pandémie et fourni des directives.  Les premières analyses de cette contamination, observée en juin, ont été publiées en septembre de cette année. Il a été prouvé que le virus est passé de l’homme à l’animal et s’est ensuite propagé très rapidement au milieu de la population des visons.

En France, l’Académie nationale de médecine s’est penchée sur le risque de transmission du Covid-19 par des animaux. Dans un communiqué publié le 23 juillet, l’institution fait référence à la crise néerlandaise :

"À l’exception du cas particulier des visons aux Pays-Bas, où la diffusion du virus par aérosols, favorisée par une forte densité animale à l’intérieur des bâtiments d’élevage, a contaminé rapidement la grande majorité des visons ainsi que deux employés, aucune de ces observations ne permet actuellement de conclure à une contagiosité animal-Homme ou animal-animal du SARS-CoV-2. Il n’existe, par ailleurs, aucune donnée en faveur d’une transmission du virus à des animaux de la faune sauvage dans les conditions naturelles. "

"Une seule santé"

Le 5 novembre, alertée de la crise danoise, l’Académie de médecine explique que la contamination de l'animal par l'homme a été prouvée dans plusieurs cas. Et elle recommande la mise en œuvre de la stratégie globale "une seule santé". Ce concept insiste sur le fait que santé humaine, santé animale et santé des écosystèmes sont étroitement liées, que l'une ne va pas sans les autres.

Le 3 novembre est devenu depuis 2015 l'année mondiale d'"Une seule santé". Il n'a jamais été autant d'actualité comme aujourd'hui, ce qui fait sourire Coralie Martin, infectiologue et chercheuse au Muséum d'histoire naturelle qui fait partie du Domaine d’Intérêt Majeur (DIM) "Une seule santé" et le met en œuvre depuis des années. "Ça a été remis au goût du jour par la crise du Covid et tant mieux. Dans le domaine infectiologique c’est un terme qu’on utilisait depuis de nombreuses d’années. C’est un concept qui est assez large car on peut y mettre un peu de tout. Il a été créé pour que les gens puissent travailler ensemble."

Ce concept repose sur la conviction que la santé humaine, la santé animale et la santé environnementale ne font qu’un, et qu’il est essentiel de décloisonner les approches de ces questions sanitaires. Mais ce n'est pas facile à mettre en place car, comme nous l'explique Coralie Martin, le problème est d’abord économique.
 
Coralie Martin
Coralie Martin, chargée de recherches à l'Unité Mixte de Recherche CNRS-MNHN Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes (MCAM)
© Inserm
"Quand on met l’économie en vis-à-vis de la santé, ça justifie beaucoup d’attitudes qui vont être négatives, malheureusement, à un moment donné pour la santé, qu’elle soit animale, humaine ou de l’environnement. Dans l’environnement ça se voit très vite. Quand on voit l’impact de la déforestation sur l’eau par l’exemple. Cela touche tout l’écosystème, ça entraîne des incendies de forêts, des modifications hygrométriques. Après il s’agit de voir les conséquences que ça peut avoir en cascade, sur la flore, la faune et qui dit la faune dit en bout de chaîne l’humain."

"Une santé" c’est le contraire d’une approche à court terme, dit-elle en nous faisant l’exemple des exploitations minières en Guyane où on pense en termes d’emploi immédiat "on sait que cela va détruire l’environnement mais on dit, ça va bien aller. Non, ça ne va pas aller parce qu’il va y avoir des conséquences. Le problème, ces conséquences vont-elles être légères ou graves ? C’est difficile à prédire."

Comment fonctionne "Une santé" ?

Il s’agit d’une association d’organismes qui collaborent pour mettre en œuvre ce concept global "Une santé" - "One Health" reposant sur la conviction que la santé humaine, la santé animale et la santé environnementale ne font qu’un. D'ailleurs, nous explique Coralie Martin, il y a le projet que le Progamme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) rejoigne, dans les efforts pour rendre plus opérationnelle l’approche One Health, l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), l’Organisation Mondiale de la Santé, et l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE).

Coralie Martin nous donne un exemple : "Pensez à ce qui se passe dans un des Etats du Sud du Brésil (le Mato Grosso, n.d.l.r) qui s’est spécialisé dans la culture du soja. Ils ont défriché pour planter du soja à perte de vue, du soja transgénique qui a une résistance aux pesticides et qui est arrosé de glyphosate. Les sols sont devenus stériles. Il n’y a plus que le soja qui pousse. Ce soja demande beaucoup d’eau. On ponctionne à mort. Les sols n’ont plus de vie et il n’y a plus de vie animale autour. Puis, une fois récolté, le soja est mis en silo. Le silo est une activité humaine qui créé de la poussière, qui créé des problématiques broncho-pulmonaires chez les ouvriers agricoles. Ce soja est transformé en tourteaux pour les animaux. Ces tourteaux sont exportés massivement aux Etats-Unis mais aussi en Europe pour l’alimentation du bétail. Et ça finit dans l’alimentation humaine. Nous avons un enchaînement d’évènements qui sont liés à des activités humaines pas très ordonnées, pas très soucieuses d’avoir quelque chose d’équilibré. C’est une question d’équilibre."

Un équilibre fragile

Le concept "Une santé" met l’accent sur les réactions en chaîne entraînées par nos modes de culture : "Tout est une question de volume et de condition. La concentration, l’élevage intensif, la monoculture, tout ce qui va pousser à l’extrême une activité humaine, utile pour la survie de l’espèce, va poser un problème. Ça va détruire des équilibres qui sont nécessaires pour que tout se passe bien entre l’environnement, les animaux et l’Homme." 

Coralie Martin ne veut pas pour autant diaboliser ces élevages. Sans être démographe, elle nous explique qu’il faut nourrir une population qui a explosé en quelques générations.

"Pourquoi en Chine avons-nous l’émergence de ces virus ? A une époque les Chinois se sont trouvés confrontés à des famines et ils n’ont eu d’autre solution que d’exploiter la faune sauvage pour se nourrir. Sauf que l’exploiter ponctuellement ça peut être soutenable, mais à un niveau de semi-élevage ça a favorisé la promiscuité et la propagation de virus."

Et c’est ce qui s’est passé avec la fièvre porcine, la grippe aviaire et plus récemment chez les visons. "C’est le même problème avec le vison : un élevage dense favorise la transmission. C’est le problème de la promiscuité. Qui est le problème du RER et du métro ! On peut penser que ces mustélidés pourraient présenter une plus grande sensibilité quand ils sont en élevage. Le problème est que le virus a muté sur un organisme vivant et qu’il risque de ne plus correspondre aux plans de programmation vaccinale qui sont en cours." Ce qui explique la décision des autorités danoises de supprimer toute la population de visons.

Pour Coralie Martin "cette crise du Covid montre combien les choses sont connectées, combien les décisions politiques doivent si possible être transfrontalières, ça montre bien que nous ne sommes pas tout seuls dans notre monde. […] Le concept "Une santé" nous fait intégrer tous les composants et nous fait réfléchir de façon globale, mais ce n’est pas facile. C’est encore moins facile quand c’est dans le but d’anticiper ou de prévoir une situation dangereuse et inconnue. Il y a un an, on aurait regardé ce qui se passe avec incrédulité."

Coralie Martin nous rappelle qu’au bout de cette chaîne se trouve le consommateur, c’est-à-dire nous. "C’est difficile de trouver un équilibre, il faut se poser la question d’une consommation sociale et éthique. La problématique est liée à nos modes de consommation."

Le 17 avril dernier, après un mois de confinement, des chercheurs du Muséum d’Histoire Naturelle disaient dans une tribune : "Cette pandémie offre aussi l'occasion de prendre du recul, de la hauteur et d'engager une réflexion sur nos valeurs, sur le fonctionnement de nos systèmes économiques et sociaux, et sur ce qui les anime."
Penser le monde de l'après Covid-19 commence dès aujourd'hui, avec "Une santé".

 
  • Pour aller plus loin le podcast du Muséeum : "Une planète, une santé" avec Coralie Martin :