Environnement : comment se déroulent les travaux du Giec ?

Réunis à partir du 13 mars à Interlaken en Suisse, les 36 membres du bureau du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) vont tenter de synthétiser plus de 10 000 pages de notes rédigées par des centaines d'experts différents. Ils ont une semaine pour le faire et établir leur 6ème rapport. Une tâche titanesque à laquelle ils s’attellent tous les 5 ans. Comment font-ils ?

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Hoesung Lee président du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec)
Hoesung Lee président du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (Giec) ou (IPCC en anglais) lors de la conférence pour le climat de Marrakech en 2016.
© AP Photo/Mosa'ab Elshamy
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Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a pour vocation de rendre intelligible une masse de données scientifiques afin de permettre la prise de décisions pour stopper un processus qui parait irréversible : les changements climatiques.

Pourquoi le GIEC ?

"On a longtemps pensé que l'influence des hommes sur le climat était négligeable" explique Serge Planton (responsable de l'unité de recherche climatique au centre de recherche de Météo-France et membre du Giec) "en comparaison des phénomènes naturels, comme l'activité solaire".  L'étude du changement climatique est relativement récente.

En 1979 sort le rapport d'un météorologue américain, Jule Charney, sur le réchauffement climatique. "Ce chercheur très respecté, inventeur des équations du tourbillon quasi-géostrophique, y annonçait qu’un doublement de la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone (CO2) entraînerait une hausse des températures comprise entre 1,5 et 4,5 °C" relate Hervé Le Treut (climatologue français) pour Reporterre.

En 1980, l'ONU met en place le Programme mondial de recherche sur le climat. Le Garp (Global Atmospheric Research Program) existait déjà, sous l'égide de l'Organisation météorologique mondiale avec des participations de l'Unesco et du Conseil international pour la Science (Icsu). 

Il faut attendre huit ans, explique Serge Planton, pour que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat - GIEC - soit créé.

Que fait le GIEC ?

Sa vocation est de recueillir des informations sur les changements climatiques en analysant un maximum de publications scientifique afin d'en faire une synthèse sous forme de rapports, rapports qui ensuite peuvent servir à prendre des décisions.

Dès le début de sa création, le Giec a la volonté d'établir un consensus explique le climatologue Hervé Le Treut. Chaque étape est discutée par différents scientifiques indépendants et de pays différents. La revue finale du rapport, avant publication, est assurée par des experts nommés par les gouvernements. 

Le point fort est que dès qu'un consensus est trouvé, il est très difficile pour un gouvernement de contester le texte puisqu'il a nommé un expert qui l'a accepté affirme Hervé Le Treut, qui a participé à de nombreux groupes de travail du Giec. Et il est suivi d'effets. Dès le premier rapport publié en 1990, le Sommet de la Terre de Rio en 1992 sortait la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC).

Des représentants politiques de haut niveau y ont assisté comme Al Gore, le vice-président des États-Unis. "On a pris conscience à ce moment-là que le problème était mondial et ne pouvait être traité qu'à l'échelle mondiale" souligne Hervé Le Treut.

Toutes les démarches concrètes sont en revanche du ressort des conférences des parties (COP). C'est là que le bât blesse car il est difficile de tomber unanimes sur les actions à mener.

Lire : COP28 aux Émirats arabes unis : peut-on à la fois défendre l’utilisation d’énergies fossiles et l’environnement ?

Le GIEC a servi a rendre évidents des constats comme le fait que le réchauffement climatique est une réalité "sans équivoque", en 2007, et a démontré qu'il est dû à 95% à l'activité humaine en 2014.

Comment est organisé le GIEC ?

Les experts travaillent en trois groupes de travail.

Le Groupe de travail I travaille sur les aspects physiques des changements climatiques.
Le Groupe de travail II se consacre aux impacts régionaux du réchauffement climatique, ses conséquences, comment s'y adapter et la vulnérabilité de certains pays.
Le Groupe de travail III s'intéresse aux solutions pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Mais depuis 2014 ils se concentre sur l’économie : comment chercher des financements, des investissements dans des technologies nouvelles, etc.

En plus de ces groupes de travail, les experts se réunissent pour des réunions transversales et pluridisciplinaires.
 

Comment sont choisis les auteurs du rapport ?

Jean Jouzel, climatologue et membre du Giec faisait remarquer que pour le rapport 2014, ils ont reçu environ 3000 candidatures. Ils ont ainsi pu recruter de nouveaux experts, plus jeunes et aux profils plus variés et diversifiés. Mais il déplorait que l'Afrique reste sous représentée.
Pour la 5ème édition du rapport 831 rédacteurs ont été sélectionnés.

Chaque cycle du Giec dure cinq à six ans. Il se réunit traditionnellement en mars et débute par une assemblée plénière qui entérine et valide les demandes faites au Giec notamment par la CCNUCC (Convention cadres des Nations unies sur le changement climatique).

Lire : COP15, COP27... quelles différences entre ces sommets ? 

Ensuite le bureau du Giec, constitué d'un président, actuellement le coréen Hoesung Lee, de trois vice-présidents, (le Malien Youba Sokona, la Brésilienne Thelma Krug et l'Américaine Ko Barrett) et des coprésidents de chaque groupe, organise une réunion de travail où sont définis les thèmes du rapport, son plan, sa structure etc.
 
Chacun des trois groupes se réunit quatre fois tous les deux ans, pendant une semaine, dans un lieu différent.

Il trouve un accord sur une structure de texte, et ensuite chacun rédige sa partie qui peut réunir quinze à vingt chapitres avec parfois jusqu'à dix auteurs par chapitre.

Un premier jet de ces textes sont relus par différents scientifiques choisis par les personnes composant les groupes de travail et ensuite par d'autres experts extérieurs jusqu'aux experts nationaux pour ce qui est de la synthèse finale.

C'est cette phase qui va se dérouler jusqu'au 17 mars 2023 à Interlaken en Suisse.

Quel est le budget du GIEC ?

Il est variable et évolue entre 5 et 7 millions de francs suisses en fonction des contributions des 195 États-membres de l'ONU qui y participent de "manière indépendante et volontaire".

C'est un chiffre très faible si on le compare par exemple au budget de Météo France qui est de 393 millions d'euros par an. Il n'a donc pas les moyens de rémunérer les scientifiques qui participent à ses travaux. 

En 2017, le président des États-Unis Donald Trump s'est retiré du Giec alors qu'un commission d'élus républicains se proposait de porter à 10 millions de dollars la contribution américaine (selon l'Union of Concerned Scientists). Le montant de sa contribution était de 2 millions de dollars, soit 45% des fonds de l'organisation. 

La contribution de la France est aujourd'hui de 1 million d'euros alimentée par trois ministères : la Transition écologique, les Affaires étrangères et la Recherche.

Selon l'ONG Climate action, 80% des membres ne donnent aucune contribution au Giec. 

Le GIEC ne publie pas son budget en ligne. Les derniers documents datent de 2017, où l'organisation soulignait que depuis 2010, les fonds étaient passés de 13,4 millions de francs suisses à 6,5 millions en 2015.

En 2018, le Japon faisait la remarque que pas plus de 32 pays contribuaient au budget de l'organisation et que le nombre de contributeurs n'a fait que baisser depuis 2010. 

Le GIEC émet des propositions

C'est là que réside le cœur du travail du Giec. Contrairement à ce qu'on entend souvent, ce n'est pas un organisme de recherche et il ne fait pas de recommandations concrètes mais des projections. Il analyse, à partir des données recueillies, des scénarios d'évolution. 

La réunion d'Interlaken donnera lieu à une synthèse finale composée de deux textes.

Le premier sera un condensé des trois volets principaux publiés en 2021 et 2022 - sur les preuves physiques du réchauffement, sur ses impacts et enfin sur les mesures d'atténuation - et de trois rapports spéciaux (sur les conséquences d'un réchauffement de +1,5°C, sur les océans et la cryosphère, et sur les terres émergées).

Le second, d'une dizaine de pages, sera le "résumé pour les décideurs", soit un texte hautement politique qui doit être approuvé ligne par ligne par les délégués des 195 pays membres.

"Ne pinaillez pas sur les virgules et la phraséologie, concentrez-vous sur le message principal, la magnitude du problème auquel nous faisons face", a déclaré ce 13 mars aux experts du Giec Simon Stiell, le secrétaire exécutif de l'ONU-Climat.

Simon Stiell
Simon Stiell, chef du climat pour l'ONU lors de la COP 27 à Charm-el-Cheikh en Égypte le 20 novembre 2022.
© AP Photo/Olivia Zhang

"Nous savons déjà ce que le rapport nous dira (...) et nous avons des possibilités dans tous les secteurs pour réduire de moitié ou plus les émissions d'ici 2030, tout en maintenant la croissance économique mondiale (...) Nous savons ce que nous avons à faire", a-t-il ajouté. "Maintenant la volonté politique doit se renforcer pour qu'il soit possible de corriger la trajectoire."