Fil d'Ariane
C'est une première. La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a commencé à examiner deux requêtes liées au changement climatique visant la France et la Suisse, accusées de ne pas agir suffisamment contre ses effets.
En Suisse, ce sont des retraitées qui dénoncent les conséquences du réchauffement climatique sur leur santé. Tandis qu'en France, c'est un ancien maire d'une commune du nord du pays menacée par la montée des eaux qui a choisit de poursuivre l'État en justice.
L'audience a débuté par l'examen du dossier suisse, devant une salle comble, avec 400 personnes dans le public, dont de nombreuses membres âgées de l'association suisse de lutte contre le changement climatique. L'affaire est examinée par la Grande chambre, formation suprême de la Cour, composée de 17 juges et présidée par l'Irlandaise Siofra O'Leary.
La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) est une juridiction internationale instituée en 1959 par le Conseil de l'Europe ayant pour mission d'assurer le respect des engagements souscrits par les États signataires de la Convention européeene des droits de l'homme. Cette Cour ne dépend pas de l'Union européenne.
La compétence de la Cour s'étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention.
Alain Chablais, qui représente le gouvernement suisse, a ouvert les débats en estimant que cela "relève du procès d'intention d'affirmer ou de suggérer que la Suisse fait preuve d'inaction", soulignant les mesures mises en place par le pays en matière climatique.
Cette audience devant la CEDH est "un événement historique", a salué Anne Mahrer, 64 ans, l'une des porte-parole des l'association "Les Aînées pour la protection du climat suisse". Soutenue par Greenpeace Suisse, cette association compte plus de 2000 membres, de 73 ans de moyenne d'âge, selon Anne Mahrer.
Depuis 20 ans, "tous les rapports montrent que tout le monde est touché" par le réchauffement climatique, et "les femmes âgées" sont "particulièrement vulnérables en termes cardio-vasculaires ou respiratoires", soutient cette ancienne députée écologiste.
Devant la CEDH, son association entend invoquer plusieurs violations d'articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, notamment celui garantissant le droit à la vie.
L'action des Aînées pour contraindre la Suisse à agir davantage pour le climat avait démarré dès 2016, avec une série de recours restés vains. Pourtant, la Suisse est "un pays riche (...) qui devrait être exemplaire", estime Anne Mahrer.
Le second dossier, qui sera examiné est une requête de l'ancien maire de Grande-Synthe, dans le nord de la France, Damien Carême, aujourd'hui député européen Europe Écologie-Les Verts (EELV).
En 2019, il avait, en son nom propre et en tant que maire, saisi le Conseil d'Etat pour "inaction climatique", estimant que sa commune, située sur le littoral, était menacée de submersion.
La plus haute juridiction administrative avait donné raison en juillet 2021 à la commune, laissant neuf mois à la France pour "prendre toutes mesures utiles" afin d'infléchir "la courbe des émissions de gaz à effet de serre" pour respecter les objectifs de l'Accord de Paris (-40% d'ici 2030 par rapport à 1990).
Le requête de Damien Carême en son nom propre avait en revanche été rejetée et il avait saisi la CEDH.
L'eurodéputé de 62 ans soutient que la "carence" de la France vis-à-vis de ses objectifs le touche "directement" puisqu'elle "augmente les risques que son domicile soit affecté" par la montée des eaux, indique la Cour dans un communiqué.
"L'enjeu est extrêmement important", a déclaré l'ancienne ministre française de l'Environnement Corinne Lepage, avocate de Damien Carême. Si la CEDH donne raison Damien Carême, "cette jurisprudence s'appliquerait dans tous les Etats du conseil de l'Europe et potentiellement dans tous les Etats du monde".
La Cour ne devrait pas rendre ses décisions dans ces deux affaires avant plusieurs mois. Outre ces deux cas, la CEDH examinera, sans doute après l'été, une autre affaire climatique d'ampleur, celle de jeunes Portugais qui ont assigné leur pays ainsi que 32 autres États pour leur inaction supposée contre le réchauffement.