Fil d'Ariane
C'est une plongée vers l'inconnu. La première demande de contrat d'extraction minière sous-marine, déposée par l'île de Nauru, pourra être effective sans règle environnementale dès ce lundi 10 juillet. Les appels à un moratoire sur cette industrie sans garde-fou gagnent du terrain.
Le corail du récif Moore est visible dans la région de la mer de Gunggandji, au large de la côte du Queensland, dans l'est de l'Australie, le 13 novembre 2022.
Batteries de voiture électriques, éoliennes ou encore panneaux solaires, ces technologies au cœur de la transition énergétique nécessitent des métaux lourds et rares pour être conçus. Certains États et entreprises souhaitent saisir l’opportunité d’exploiter de nouvelles mines pour répondre à la demande internationale, quitte à explorer les fonds marins internationaux.
À 4 000m sous la zone de Clarion-Clipperton, entre Hawaï et le Mexique, de multiples cailloux connus sous le nom de nodule polymétallique jonchent les plaines abyssales. Leur particularité est d’être un concentré de minerais stratégiques : cobalt, nickel, cuivre et manganèse. L'île de Nauru, petit Etat insulaire de 12 000 habitants dans le Pacifique, y possède un permis d’exploration et veut obtenir un contrat d’exploitation pour Nori, filiale de la start-up minière canadienne The Metals Company.
“La réalité est que la transition vers une énergie propre n'est pas possible sans extraire des milliards de tonnes de métaux de la planète”, explique le PDG de l’entreprise Gerard Barron, lors d’une conférence de presse en mai 2021. En été de la même année, l'île de Nauru enclenche une clause auprès de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) permettant de réclamer l’adoption d’un code minier sous deux ans. Sans son adoption avant le 9 juillet 2023, alors que les négociations durent déjà depuis près de dix ans, n’importe quel Etat sponsorisant une autre entreprise, dont Nauru avec The Metals Company, pourra profiter de l’occasion pour exploiter les fonds marins, sans règles.
“Nous ne manquons pas de ces métaux”, lance François Chartier, chargé de campagne Océan à Greenpeace. Selon lui, l’exploitation de ces mines sous-marines va marginalement accroître la quantité globale de ces matières premières déjà exploitées sur la terre ferme. Il nuance : “l’augmentation de la production des batteries lithium demande plus de cobalt, mais l’exploitation des autres métaux pour l’électrification est négligeable”.
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La transition énergétique doit notamment conduire à une réduction de la production, en plus d’un meilleur recyclage des matières premières. L’évolution technologique permettra sans doute un jour de se passer de certaines ressources, comme la transition des batteries lithium vers des batteries sodium, le sodium étant l’un des matériaux les plus abondant sur la planète.
Début juin, le Conseil consultatif scientifique des académies européennes (EASAC) a mis en garde contre le “discours trompeur” selon lequel l’exploitation minière en eaux profondes est nécessaire pour obtenir les métaux indispensables à la transition énergétique, et contre les "conséquences désastreuses" pour les écosystèmes marins.
Les organisations non-gouvernementales et les scientifiques alertent depuis des années sur les menaces de dommages inestimables à des écosystèmes profonds encore peu connus. “Ils ont évolué sur des milliers d’années et on viendrait tout chambouler ?”, réagit Karine Demure, membre de l'ONG de défense des océans Sea Shepherd France, qui appelle la société civile à s’emparer du sujet. De plus en plus d'Etats relaient cette inquiétude : Canada, Australie, Belgique, Brésil et d'autres ont insisté pour que l'exploitation ne puisse commencer sans des règles rigoureuses. La France a par ailleurs annoncé son opposition à toute exploitation minière sous-marine en novembre 2022.
Pierre-Marie Sarradin, directeur de l’unité de recherche “Biologie et écologie des écosystèmes marins profonds", alerte qu’il “nous faut encore une dizaine d’années pour connaître un minimum les fonds marins”. Perturber ces milieux serait, à l’heure actuelle “jouer aux apprentis sorciers”.
Des écosystèmes vivent sur les nodules polymétalliques. Selon le chercheur, les retirer changera leur habitat naturel et empêchera donc ces nombreuses espèces de se reproduire.
Le processus d’extraction sera lui aussi problématique. Toujours selon Pierre-Marie Sarradin, récupérer ces pierres créera des nuages de sédiments, intoxiquant les organismes vivant alentours, jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres. Les pollutions lumineuses et sonores sont aussi à prendre en compte dans ces environnements éloignés des rayons de soleil et où le son est un moyen de communication. Le directeur de l’unité de recherche alerte : “Si des exploitations comme ça se multiplient, l'ensemble de l'océan risque d'être perturbé". Des pays comme les Iles Tonga, les Îles Cook, la Chine, le Royaume-Uni ou encore la Chine pourraient elles-mêmes aussi exploiter les fonds marins en cas de non-interdiction.
Les 36 États membres du Conseil de l’AIFM avaient noté en mars que l’exploitation commerciale “ne devrait pas avoir lieu” tant que le code minier n’était pas en place. Ces États se réuniront une nouvelle fois ce lundi 10 juillet pendant deux semaines pour prendre une décision plus claire sur la situation de Nauru. Puis, pour la première fois, l’Assemblée des 167 États discutera du 24 au 28 juillet pour éventuellement mettre en place un moratoire.
Aujourd’hui, la coalition soutenant ce moratoire compte un peu moins de 20 États. Dans les faits, la décision d’un moratoire prendre très certainement plusieurs années, au risque d’être effectif après le début des extractions de Nauru.