Fil d'Ariane
Dans la nuit de lundi 29 au mardi 30 juin 2020, la centrale nucléaire de Fessenheim sera arrêtée définitivement, mettant fin ainsi à un longue bataille économico-environnementale. L'arrêt du réacteur numéro 2 de la centrale a débuté ce lundi après-midi. Quels sont les enjeux de cet arrêt ?
Il ne reste qu’un réacteur dans la centrale nucléaire de Fessenheim, commune proche de la frontière allemande, entre Colmar et Mulhouse. En effet, le premier réacteur est éteint depuis le 22 février dernier.
L'arrêt définitif de la plus vieille centrale nucléaire de France (1978) est l'aboutissement d'une promesse de François Hollande lors de sa campagne électorale pour la présidentielle de 2012. Promise d'abord pour 2016, elle a finalement lieu quatre ans plus tard.
Vendredi 26 juin, soit quatre jours avant l'arrêt définitif, le second réacteur s'était arrêté automatiquement dans la matinée, avant d’être finalement redémarré samedi 27, dans l’après-midi, et reconnecté au réseau "à 18H30", a-t-on appris de sources concordantes. L'arrêt automatique du réacteur s'est produit vendredi matin après que la foudre s'est abattue sur le réseau électrique très haute-tension, ce qui a déclenché "les systèmes de protection automatique du réacteur", au moment où des orages passaient sur la commune haut-rhinoise, a indiqué EDF sur le site dédié à la centrale.
Les militants anti-nucléaire, engagés de longue date pour la fermeture de cette centrale devenue un enjeu politique, avaient immédiatement commenté cette mise à l'arrêt. "Qui osera encore prétendre qu'elle est sûre? D'ailleurs, est-il raisonnable de la redémarrer?" s'était interrogé sur son compte Twitter André Hatz, le président de l'association Stop Fessenheim, moquant une centrale "grabataire".
#Fessenheim : la centrale #nucleaire grabataire vient de tomber en panne ce vendredi à 10h52, soit... 3 jours avant le terminus !
— AndreHatz (@AndreHatz) June 26, 2020
Qui osera encore prétendre qu'elle est sûre ?
D''ailleurs, est-il raisonnable de la redémarrer ?@ASN @sdnfr @StopFessenh @FNEgrandEst @AFPStrasbourg pic.twitter.com/g9OIaTKjjX
La centrale nucléaire de Fessenheim a vu son fonctionnement prolongé au-delà de sa durée de vie normale. Mais cet arrêt n'est qu'une première victoire pour les anti-nucléaires, bien décidés à poursuivre la lutte jusqu'à ce que "la France sorte du nucléaire". Prochaine bataille dans leur guerre contre l'atome: le démantèlement de la centrale. Un chantier qui ne sera achevé, au mieux, qu'en 2040 et dont un point inquiète particulièrement les associations, le stockage des combustibles nucléaires.
Mais l'enjeu environnemental est vite devenu économique pour les habitants de la petite ville. Cet été, quelque 150 familles vont quitter la commune de 2.500 habitants, avant une vague équivalente à l'été 2021. Alors que fin 2017, 750 salariés d'EDF et 300 prestataires œuvraient encore sur le site, seules 294 personnes y seront nécessaires jusqu'à 2023, tant qu'il y aura du combustible usé, puis soixante salariés d'EDF pour le démantèlement.
Alors que la reconversion économique peine à se dessiner, Claude Brender, le maire de Fessenheim, veut croire que la commune restera attractive grâce à ses équipements financés sur la "rente" nucléaire mais certains commerçants, "orphelins" de leur centrale, craignent qu'elle devienne une cité dortoir.
"En tant que restaurateurs, on va dans l'invisible, on ne sait pas combien de temps le démantèlement va durer", explique Laurent Schwein, patron du restaurant Au bon Frère. Président du club de foot, il doit renoncer à une équipe avec le départ d'une dizaine de jeunes.
Qu’en est-il des alternatives à l’énergie nucléaire ? Attirer des entreprises innovantes, miser sur le franco-allemand, développer les énergies vertes, favoriser le tourisme : à quelques jours de l'arrêt complet de la centrale, ces projets qui visent à compenser les emplois perdus restent au stade d'ébauche, laissant augurer un trou d'air économique.
En février, déjà, quand le premier réacteur a été éteint, les projets d'alternatives économiques à la centrale dans la région en étaient encore au stade des discussions, qu'il s'agisse de la création d'une zone économique le long du Rhin pour attirer des entreprises, du développement du port fluvial ou d'un "technocentre" de recyclage de matériaux métalliques.
Cinq mois plus tard, "on est exactement dans la même situation", se désespère Claude Brender, fervent défenseur de la centrale, et réélu le 15 mars dernier à la mairie, qui parle "d'incertitude totale" sur nombre de sujets. "Il n'y a aucune perspective à court terme sur le bassin d'emploi de Fessenheim", regrette-t-il.
Une usine de biocombustible issu du bois est bien en projet, avec plusieurs centaines d'emplois à la clé, mais sa mise en service par le groupe Européenne de biomasse n'est pas prévue avant 2023-2024.
Le président de la région Grand Est, Jean Rottner, interrogé jeudi 25 juin par la mission d'information parlementaire sur la fermeture de la centrale déplore le manque de projet pour ce territoire. "C'est quelque chose qu'on aurait dû commencer il y a 5 ou 10 ans pour être prêt aujourd'hui", a-t-il regretté, critiquant une "décision politique" de l'Etat prise "sans avoir mis au préalable les outils de remplacement en place".
Présentée comme "l'outil opérationnel" de la reconversion du territoire de Fessenheim, la société d'économie mixte (SEM) franco-allemande, annoncée en janvier, n'est toujours pas concrétisée. "La mise en place de la SEM se poursuit, la date prévisionnelle de création est fixée à fin 2020", assure-t-on toutefois à la région Grand Est qui en sera le principal actionnaire, précisant qu'un directeur général devrait prendre ses fonctions en septembre.
La communauté de communes continue aussi de réclamer un geste fiscal de l'État. Pour l'heure et en dépit de la réduction progressive des 6,5 millions d'euros de recettes fiscales provenant de la centrale, elle doit continuer à verser près de la moitié de cette somme au Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR) qui a succédé à la taxe professionnelle et dont les contributions sont fixes. "On nous balade encore une fois", s'énerve le maire.
Le parc nucléaire français est le plus important du monde derrière celui des Etats-Unis (98 réacteurs) malgré la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim.
Après l'arrêt de la doyenne des centrales françaises située dans le Haut-Rhin (est), dont le deuxième réacteur sera débranché le 30 juin, la France comptera au total 56 réacteurs nucléaires d'une puissance de production cumulée d'environ 61.000 mégawatts (MW).
Les centrales nucléaires françaises en activité, réparties sur 18 sites après l'arrêt de Fessenheim, fournissent 70% du total de l'électricité produite dans le pays, de loin la plus forte proportion au monde devant la Slovaquie (55%), l'Ukraine (53%) et la Hongrie (51%).
Mais ce n’est pas la seule problématique engendrée par l'arrêt de la centrale. En effet, des inquiétudes se font entendre sur la capacité de la France à assurer l’approvisionnement en énergie pour l’hiver prochain.
L'arrêt du réacteur numéro 2 de Fessenheim intervient au moment où la sécurité de l'approvisionnement électrique pour l'hiver est compliquée par la pandémie du Covid-19, qui a bouleversé le calendrier industriel d'EDF.
Son arrêt définitif va priver la France d'une capacité de 900 MW, après une puissance équivalente déjà perdue en février avec la fermeture du premier réacteur. Bien sûr, l’arrêt définitif du lundi 29 juin était prévu bien avant la pandémie mais il fait maintenant craindre un hiver sous tension pour la sécurité de l'approvisionnement du pays.
S'agissant de l'hiver prochain, la situation est "inédite" et nécessitera "une très grande vigilance", a mis en garde François Brottes, le président du directoire du gestionnaire du réseau à haute tension RTE.
EDF a du coup été contraint de s'adapter, en revoyant le programme industriel pour la maintenance du parc nucléaire, “afin de disposer de la plus grande disponibilité possible sur la période novembre 2020-février 2021", explique-t-on chez l'électricien.
"La difficulté à passer l'hiver sera d'autant plus grande que le système électrique aura été privé de 1.800 MW de puissance électrique pilotable issue des deux réacteurs de Fessenheim fermés au 1er semestre", regrette pourtant le syndicat CFE.
Le gouvernement n’envisage pas pour autant de retarder la mise à l’arrêt de la centrale. Cette promesse politique à haute teneur symbolique se matérialisant enfin après de longues années d’atermoiements. "On ne va pas changer de direction à la dernière minute", a avancé la ministre de la Transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne.
Un report aurait été d'autant plus difficile que certains investissements indispensables à l'amélioration de la sécurité n'ont pas été réalisés dans la centrale alsacienne. Elle avait été dispensée de ces travaux justement parce qu'elle était en fin de vie.