Fil d'Ariane
Des milliers de personnes, dont la militante Greta Thunberg, ont manifesté ce dimanche 11 février à Bordeaux pour dénoncer le projet de huit nouveaux forages pétroliers à la Teste-de-Buch, sur le bassin d'Arcachon. Près de trois mois après l’avis favorable donné à ce projet, les inquiétudes sont toujours vives et les opposants restent mobilisés. On vous résume le dossier.
La raffinerie d'Esso à Fos-sur-Mer, le 13 octobre 2022.
C’est l’entreprise canadienne Vermilion Energy, titulaire de la concession pétrolière de Cazaux, à la Teste-de-Buch, jusqu’en 2035, qui est à l’origine de ce projet de forage. Premier groupe pétrolier en France, Vermillion produit déjà près de 1500 barils/jour sur le site de Cazaux mais exploite aussi des gisements dans le bassin parisien. En juillet 2022, l'entreprise a déposé une demande d’autorisation pour forer huit nouveaux puits de pétrole sur la concession de la Teste-de-Buch.
L’objectif affiché par Vermillion est d’exploiter pleinement “le potentiel important de production” du site et de “stabiliser la production du champ de Cazaux en luttant contre le déclin naturel du gisement”. La création de huit nouveaux puits doit aussi servir, toujours selon Vermillion, à “pérenniser les emplois associés à l’exploitation” et pourrait même mener à une “augmentation des redevances des mines aux collectivités concernées”.
Conformément à la réglementation minière, tout projet de nouveau forage est soumis à une enquête publique. Au terme de cette enquête, menée entre le 28 août et le 26 septembre 2023, la commissaire enquêtrice Carole Ancla a rendu un avis favorable au projet de la concession de Cazaux en novembre 2023. La dernière étape nécessaire pour lancer le projet est désormais un arrêté d'autorisation de ces huit nouveaux puits, qui doit être rendu par le préfet de Gironde.
En dépit du discours rassurant de Vermillion, de nombreuses voix se sont élevées à l’annonce du projet pour dénoncer son impact environnemental.
Adopté en 2017, la loi Hulot prévoyait par ailleurs l’arrêt complet de la production d’hydrocarbures en France à l’horizon 2040. Pour les militants écologistes, autoriser le forage de nouveaux puits en 2024 représente donc un véritable non-sens écologique.
“Les recommandations scientifiques c'est de ne plus ouvrir aucun nouveau puits de pétrole et de gaz. Ça vaut à l'international et ça vaut aussi en France”, rappelait ainsi Marie Toussaint, tête de liste des Écologistes aux prochaines élections européennes, interrogée par l’AFP lors d’une manifestation contre le projet à Arcachon le 10 février.
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Autre inquiétude autour du projet, la concession de Cazaux se situe en plein cœur de la forêt usagère de la Teste-de-Buch. Ce site est classé Natura 2000, un label qui, dans le cadre de la politique européenne de préservation de la biodiversité, doit normalement garantir “une meilleure prise en compte des enjeux de biodiversité dans les activités humaines” et “protéger un certain nombre d’habitats et d’espèces représentatifs de la biodiversité européenne”, explique l’Office français de la biodiversité.
Creuser de nouveaux puits de pétrole au cœur d’un tel territoire semble donc contredire l’objectif de préservation de l’environnement, d’autant plus que, lors de l’enquête publique, la Mission Régionale d’Autorité environnementale (MRAe) de Nouvelle-Aquitaine avait demandé des précisions “concernant en particulier les domaines de l’eau et de la biodiversité ainsi que des mesures de gestion des milieux”.
Vermillion assure de son côté que ces nouveaux forages n'auraient qu’un faible impact sur l’environnement grâce à l’utilisation de la technique du forage dévié. Cette technique “permet de limiter l’empreinte spatiale en surface” promet en effet le groupe pétrolier sur son site.
Mais ces promesses ne suffisent pas à rassurer les écologistes. Pour Vital Baude, conseiller municipal écologiste d'Arcachon interviewé par l’AFP lors du rassemblement du 10 février, ce projet est “une aberration écologique dans un territoire qui est en première ligne du changement climatique”. En 2022, la Teste-de-Buch a en effet subi de plein fouet les effets du réchauffement climatique : les mégafeux de l’été ont détruit plus de 5 500 hectares des forêts domaniales et usagères de la Teste-de-Buch, selon l’Office national des forêts (ONF).
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Un sinistre qui n’a pourtant pas été pris en compte dans l’étude d’impact écologique car celle-ci a été réalisée "avant les incendies de forêt ayant fortement affecté le secteur à l'été 2022".
Et au-delà de l’impact direct sur les sols et la biodiversité, selon Vital Baude, la construction et l'exploitation de ces nouveaux puits généreraient 3,7 millions de tonnes de CO2. “Il faut dire stop” insiste l’élu.
Les militants écologistes mais aussi les habitants de la Teste-de-Buch craignent donc la mise en danger d’un territoire déjà durement touché. Lors de l’enquête publique, 101 contributions ont été recueillies, venues entre autres de particuliers, d'élus et d'associations : 65 ont exprimés être contre le projet, face à seulement 32 pour et 4 neutres. Un désaveu du projet qui n’a pas empêché la commissaire enquêtrice de se prononcer en faveur du projet.
Pour le gouvernement, ce projet n’entre toutefois pas en contradiction avec la loi Hulot. En décembre dernier, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, avait souligné qu'il ne s'agissait pas "de nouvelles exploitations" mais "de poursuites d'exploitation et de forage dans le cadre d'une exploitation donnée il y a plusieurs dizaines d'années".
"J'assume que ça puisse heurter le bon sens et en même temps, tant qu'on a besoin de pétrole, ce n'est pas plus mal qu'il vienne d'ici plutôt que de le faire venir du bout du monde en l'achetant à des dictatures qui utilisent ensuite cet argent parfois pour soutenir des mouvements qui nous combattent", avait-il ajouté.
Ce dimanche, alors que les opposants au projet se mobilisent à nouveau à Bordeaux, le ministre délégué à l'Energie Roland Lescure s'est lui aussi dit favorable au projet. Invité de l’émission Dimanche en politique sur France 3, il a rappelé que la loi Hulot ne plaçait la fin de la production d’hydrocarbures en France qu’à 2040. “Ça veut dire que d'ici 2040, on va continuer à extraire un peu de pétrole en France".
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En effet, si la première version du projet de loi Hulot prévoyait d'interdire de renouveler les concessions d'exploitation, le gouvernement a choisi de retirer cette mesure dans un second temps, face aux pressions des lobbies du gaz et du pétrole. Un choix politique qui permet donc aux géants des hydrocarbures de poursuivre les exploitations en cours. Et Vermillion est loin d’être le seul comme le rappelle Franceinfo : depuis le vote de la loi, pas moins de 17 autres projets d’exploitations d’hydrocarbures ont progressé dans le pays.