Fil d'Ariane
Le 28 avril, il a fait près de 46 degrés Celsius à New Delhi, la capitale de l’Inde. Depuis mars, les températures se situent 1,8°C au-dessus des normes saisonnières, avec un pic de 40,1°C, soit la température la plus chaude jamais enregistrée pour un mois de mars depuis 1946. La veille, le Premier ministre indien Narenda Modi soulignait que « les températures augmentent rapidement dans le pays, et augmentent beaucoup plus tôt que d’habitude. »
La région connaît habituellement des températures aussi chaudes pendant l’été. Jamais au printemps. Aussi, des températures frôlant les 50°C sont attendues en fin de semaine sur l’Inde et le Pakistan. « En général, à cette époque, les températures moyennes en Inde et au Pakistan tournent autour de 40°C, analyse Fabio D’Andrea, chercheur au CNRS au laboratoire de météorologie dynamique de l’Ecole normale supérieure de Paris, dans une interview au quotidien français Libération. Quand on a 5 ou 6 degrés de plus, comme en ce moment, on parle de vagues de chaleur. » Il reconnaît que le phénomène s’est multiplié ces dernières années.
Nous pouvons désormais nous attendre à des températures aussi élevées environ une fois tous les quatre ans. Dr Mariam Zachariah, du Grantham Institute de l’Imperial College de Londres
« Avant que les activités humaines n’accroissent les températures mondiales, une chaleur comme celle qui a frappé l’Inde au début du mois n’aurait été possible qu’environ une fois tous les 50 ans », alerte le Dr Mariam Zachariah, du Grantham Institute de l’Imperial College de Londres. Selon elle, « nous pouvons désormais nous attendre à des températures aussi élevées environ une fois tous les quatre ans. »
Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), le sous-continent indien fera partie des plus touchés par le réchauffement climatique. Si rien n’est fait pour arrêter le dérèglement climatique, la zone géographique pourrait connaître jusqu’à 250 jours de climat « éprouvant » chaque année.
Par ailleurs, Fabio D’Andrea souligne que si « la température de l’air est supérieure à celle du corps et qu’en plus il est humide, il n’y a plus de transpiration possible. » Or, la transpiration permet au corps de se refroidir en cas de forte chaleur. « On ne peut pas rester plus de quelques heures dans ces conditions, parce qu’après on meurt, explique le chercheur. Dans la région du Golfe persique, du Pakistan et de l’Inde du Nord, le seuil peut être dépassé de beaucoup. » Depuis 2010, plus de 6 500 personnes sont mortes en raison des vagues de chaleur en Inde.
Ce phénomène de chaleur extrême a des conséquences sur la consommation énergétique dans le pays. Le 25 avril, l’Inde a produit 201 gigawatts d’électricité. Cela est dû surtout à l’utilisation de climatisations de la part des personnes les plus aisées dans le pays. Cependant, la majorité de cette production électrique provient de centrales à charbon, qui contribuent donc au réchauffement climatique. Selon l’Agence internationale de l’énergie, les trois quart de la production d’électricité viennent de cette énergie fossile. « Le charbon contribue fortement à la pollution locale et aux changements climatiques, déclare le Fonds monétaire international en décembre 2020. Il génère 44% des émissions mondiales de CO2. »
À chaque fois, la canicule fait un grand nombre de morts.Fabio D’Andrea, chercheur au CNRS
Par ailleurs, les besoins sont tels que les principales centrales électriques indiennes sont confrontées à des pénuries de charbon, selon les informations de la presse locale. De ce fait, le nord-ouest du Rajasthan indien, l’ouest du Gujarat et le sud de l’Andhra Pradesh ont imposé des coupures de courant aux usines pour réduire leurs consommations.
Comme ce sont des zones où la densité de population est très forte, « une vague de chaleur a des impacts sur la santé, la disponibilité en eau et en énergie », souligne Fabio D’Andrea. Il rappelle que lors d’une précédente canicule, le manque d’eau avait provoqué des désordres sociaux à New Delhi. « À chaque fois, la canicule fait un grand nombre de morts », déplore-t-il.
Le temps sec et chaud produit un excès de gaz méthane sur les sites de décharge qui déclenche de tels incendies.Pradeep Khandelwal, ex-chef du département de la gestion des déchets de New Delhi
Autre conséquence particulièrement néfaste de la vague de chaleur : des décharges prennent feu. Le 28 avril, les pompiers de Delhi combattaient un incendie qui s’est déclaré trois jours plus tôt dans une immense décharge de la capitale indienne. En moins d’un mois, trois autres incendies se sont déclarés dans la plus grande décharge de la capitale. Selon Pradeep Khandelwal, ex-chef du département de la gestion des déchets de New Delhi, « le temps sec et chaud produit un excès de gaz méthane sur les sites de décharge qui déclenche de tels incendies ». La pollution de l’air est accrue par ces départs de feu. La mégapole de plus de 20 millions d’habitants manque d’infrastructures modernes pour traiter les 12 000 tonnes de déchets qu’elle produit quotidiennement.
Cette chaleur extrême a un impact vital sur la population comme sur l'économie du pays. L’Inde est le deuxième producteur de blé au monde, après la Chine. En raison de la guerre en Ukraine, les exportations de blé russes et ukrainiens sont mises à mal. Les pays se fournissant principalement dans ces deux pays vont chercher ailleurs et l’Inde leur paraît être une alternative. C’est le cas notamment de l’Egypte, dont la consommation de blé repose essentiellement sur la production russe et ukrainienne. La récolte indienne de blé de cette année est estimée à 107 millions de tonnes, dont 10 millions de tonnes prévues à l’export.
Mais c’était sans compter la vague de chaleur. Les autorités indiennes estiment qu’entre 20% et 25% de la récolte de blé des deux principales régions productrices du pays, le Penjab et l'Haryana, a été perdue. Les grains ont flétri à cause de la canicule qui est arrivée au moment où la culture était en phase de maturation. Cette vague de chaleur doit se poursuivre jusqu’en début de semaine prochaine.