Journée mondiale du tourisme : quel sera le tourisme post-Covid ?

À cause de la pandémie, le secteur du tourisme subit une crise sans précédent. 2020 a été une année "zéro" du tourisme, la pire jamais enregistrée selon l’Organisation mondiale du tourisme. 2021 sera-t-elle celle de la reconstruction d’un nouveau tourisme plus vertueux ? Ce 27 septembre, journée mondiale du tourisme, est l’occasion de se demander ce que sera le tourisme de demain. Nous avons posé la question à Emmanuelle Peyvel, géographe et spécialiste des problématiques liées au tourisme (L’éducation au voyage, pratiques touristiques et circulations des savoirs).

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Une famille chinoise visite la Cité interdite à Pékin
© AP Photo/Ng Han Guan

Une famille chinoise se photographie devant le Palais d'été de la Cité interdite à Pékin le 3 août 2021. Le tourisme domestique n'a pas diminué et dès que la pandémie l'a permis, il a même explosé. La fréquentation des touristes chinois à Pekin a triplé en juin et juillet par comparaison avec l'année précédente ainsi que les revenus qui ont quadruplé selon la plus importante plateforme de réservation en ligne chinoise Trip.com.

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Plage de Plaka, Naxos - Grèce
© AP Photo/Thanassis Stavrakis
Plage de Plaka, Naxos - Grèce, 14 mai 2021. La pandémie a donné un coup d'arrêt au tourisme, qui représente 20% du PIB de la Grèce, mais a redonné un attrait inédit à des lieux qui étaient surfréquentés.
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TV5 Monde : Quels changements a apporté le Covid ?

Emmanuelle Peyvel : Il faut rappeler un fait essentiel : les vacances sont un droit pour tous, inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme. L’article 24 défini que toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques.

Il ne s’agit pas de priver une large part de la population de vacances et de tourisme (bien que l’on puisse être en vacances sans faire du tourisme) pour dénoncer la surfréquentation touristique de certains sites ou les pollutions induites, et finalement réserver les voyages à une petite élite.

La crise du Covid nous amène à nous interroger sur la crise touristique. Le tourisme est un secteur qui n’avait jamais connu de crise, jusqu’à aujourd’hui, et qui a connu une croissance exponentielle. Nous sommes passés de 25 millions d’arrivées de touristes internationaux dans le monde en 1950, à 1,5 milliard en 2019.

Le tourisme représente 10% du PIB mondial et un emploi sur dix . Il peut avoir une importance capitale, notamment pour certaines îles, comme par exemple les Maldives qui sont souvent citées en exemple car elles ont été tirées de la pauvreté par le tourisme international. Un phénomène appelé l'extraversion, c'est à dire une dépendance trop forte à un économie ouverte sur l'extérieur. Le Covid nous a montré les limites d’un tel système.


L'extraversion
C'est le cas d'îles comme les Maldives, les Seychelles, ou dans la Caraïbe, Sainte-Lucie, les Bahamas, St Vincent ou encore St Kitts, où le tourisme représente au moins 25% du PIB (source : UNCTAD, 2020, How COVID-19 is changing the world, a statistical perspective, p.29).  La pandémie a tari cette source importante de revenus.

Le Covid a eu un effet loupe. Tous ces problèmes de sur-fréquentation, ou d’extraversion, ont éclaté avec la crise de la pandémie. En 2020, il y a eu -74% d’arrivées de touristes internationaux, soit une perte de 1,1 milliard d’arrivées de touristes internationaux et une perte de 1,3 billion de USD en exportations touristiques soit onze fois la perte de revenus liée à la crise économique de 2009 (source : Revue Diplomatie, affaires stratégiques et relations internationales, juillet-août 2021, n°110, p.79) .

Ça a mis en évidence un des travers du sur-tourisme mais il est difficile de savoir ce qui va pouvoir se passer. Il ne faut pas vouloir trop simplifier.

TV5MONDE : Continuera-t-on à voyager en groupe ?

A court-terme, ce sera plus difficile, pour des raisons techniques et logistiques. Une grande partie des voyages relèvent en fait de Groupements Individuels Regroupés (GIR) : les forfaitistes achètent en lot des places dans les transports, des chambres d’hôtels, etc. Cela permet d’offrir des tarifs plus avantageux. Mais le Covid a tellement perturbé le secteur, notamment les plans de vols aériens, que le trafic ne reprendra pas normalement avant au moins un an. Il y a donc moins de places pour les tour-opérators, et donc moins de voyages à offrir dans un premier temps.

Le voyage de groupe permet effectivement de faire des économies d’échelle et surtout de démocratiser les voyages. Or ces voyages de groupe font peur. Soit au touriste lui-même, qui a peur d’être contaminé en voyageant collectivement, soit aux pays accueillants.

Rétablir la confiance va prendre du temps.
Emmanuelle Peyvel, Maîtresse de conférence en géographie, Université de Brest

En effet, il s’agit souvent de pays pauvres qui n’ont eu accès qu’au programme COVAX et qui ont des taux de vaccination assez faibles. Ils considèrent le tourisme comme un secteur menacé mais aussi comme un secteur menaçant, vecteur de maladie.

Rétablir la confiance va prendre du temps. Et il y a une vraie overdose de ce qu’on appelle le tourisme de masse.

La croisière en est un exemple. La pandémie a mis en lumière un certain fonctionnement des croisières. Les plus gros bateaux ne sont plus un moyen d’atteindre la destination, ils deviennent la destination ! Le croisiériste veut que le voyageur reste à bord le plus possible est tout est fait dans ce but. Il lui sera proposé des forfaits tout inclus, notamment la restauration, et des activités à bord .Les escales sont alors nécessairement plus courtes, alors qu’elles souffrent d’être des destinations de croisière Par exemple à Marseille des tests ont été faits pour estimer la pollution de l’air, le traitement des eaux sales etc. C’est un modèle économique qui interroge car les retombées économiques sont moins importantes qu’on ne le pense.

Touristes américains en escale à Alger

Des passagers du paquebot Viking Sea en escale à Alger, Algérie, le 20 janvier 2017.

© AP Photo/Anis Belghoul
Il ne faut pas faire des touristes des boucs émissaires.
Emmanuelle Peyvel, Maîtresse de conférence en géographie, Université de Brest

Mais il ne faut pas opposer touristes et populations locales. Si les bateaux arrivaient à Venise c’est parce que certaines catégories de la population en tiraient de l’argent. Il faut ensuite réfléchir à comment répartir les profits et de quelle manière, car les nuisances environnementales sont subies par tous.

TV5MONDE : Favorisé par les vols low cost ou l’apparition de plateformes comme AirBnb, le tourisme a changé, rendant certaines villes invivables. Que penser de ces plateformes qui ont en partie contribué à démocratiser le tourisme ?

Il faut réguler. Cette sorte de tourisme a des conséquences sur le fonctionnement des quartiers (hausse du prix du foncier, gel d’une partie du parc immobilier au détriment des habitants, disparition des petits commerces de proximité au profit de bars, restaurants et établissements de nuit, etc.). Des régulations peuvent être prises à l’échelle municipale (à Paris, une résidence principale ne peut pas être louée plus de 120 jours par an par exemple) mais aussi à l’échelle des immeubles mêmes. Il ne faut pas faire des touristes des boucs émissaires.

Il faut mettre les gens face à leurs responsabilités. En Suède, à Stockholm, des copropriétés interdisent dans leur règlement la location de type Airbnb. Collectivement, nous sommes tous contre ce genre de location courte durée dans notre quartier, mais nous pouvons être bien contents d’y avoir recours ailleurs en tant que touriste, et individuellement nous pouvons avoir envie de tirer profit de notre logement. Cela révèle des mécanismes spéculatifs immobiliers qui dépassent largement la sphère du tourisme.

Paris fait partie des villes les plus chères du monde. Aujourd’hui il est très difficile de devenir propriétaire pour un jeune ménage, a fortiori pour un célibataire. La location courte durée devient une façon de financer son achat. Qui est coupable ? Les jeunes Britanniques bruyants qui s’alcoolisent ou des mécanismes immobiliers spéculatifs qui produisent des effets pervers  ?

TV5MONDE : Pouvons-nous voyager autrement, vers des destinations différentes ? Pendant la pandémie, 80% des Français sont partis en famille pour une destination en France.

Le tourisme c’est aussi partir en famille, dans son propre pays. C’est ce qu’on appelle le tourisme domestique. Dans la grande majorité des pays, le tourisme domestique est toujours supérieur au tourisme international, mais il est moins investi par les grands groupes touristiques. Il génère moins d’argent et il ne rapporte pas de devises étrangères. Mais il a deux vertus importantes.

Il est plus stable, moins sensible aux crises financières, sanitaires et politiques, je pense, par exemple, aux printemps arabes.

Il est aussi mieux réparti dans l’espace. Il ne se concentre pas seulement dans les grands sites touristiques touristiques, par exemple ceux estampillés UNESCO. 

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Le tourisme domestique donne une vraie chance à des territoires qui auraient du mal à exister sur la carte du tourisme international comme par exemple la moyenne montagne l’été avec des régions comme l’Auvergne. Il y a une part de ce tourisme qui est aussi liée à une histoire familiale, à une maison de famille, au village des origines. Dans ces territoires, Airbnb peut être une opportunité, car il est très difficile pour un hôtel de fonctionner toute l’année. Il peut devenir un complément de revenu pour des résidences secondaires vides une grande partie de l’année.

TV5MONDE : Les réseaux sociaux, internet sont-ils une chance ?

Le e-tourisme, le tourisme virtuel a été une façon d’encaisser le choc. Les souvenirs de voyages, les produits artisanaux ont pu être vendu par les sites de e-commerce. En Indonésie par exemple des femmes qui travaillaient le batik ont fabriqué et vendu des masques sur des plateformes qui sont très dynamiques. Dans le Sud-Est asiatique ces plateformes sont en pleine explosion, au-delà d’Amazon, comme Lazada ou Shopee.

Les visites virtuelles ou expériences que l’ont fait partager par internet, ne compensent pas la perte mais permettent de maintenir une activité et de générer un peu de revenus. Singapour a mis en place des tours virtuels sous forme de jeux (Monster Day Tour). Internet permet de faire visiter des sites fragiles, comme Lascaux par exemple, tout en les préservant. Le virtuel a bouleversé le secteur touristique. Il a des conséquences très ambivalentes, il peut être à la fois problème et solution. Il faut rester dans la nuance.

TV5MONDE : Comment reprendre goût au voyage ?

Le Covid a fait redécouvrir le rôle de l’agence de voyage. Elles sont les seules capables de fournir un passeur d’altérité essentiel qui est le guide. Celui qui, sur place, est capable de traduire et faire le lien avec la population locale, et pas de parler dans un anglais approximatif, qui connaît les adresses, qui est capable d’expliquer les choses parce qu’il connaît à la fois votre culture et celle du pays d’accueil.

La redécouverte du guide, un passeur d'altérité essentiel.
Emmanuelle Peyvel, Maîtresse de conférence en géographie, Université de Brest

Je pense qu’il y a une vraie découverte de ce métier-là par des touristes lassés de recourir à des plateformes. Ils se rendent compte qu’ils sont très seuls pour organiser tout leur voyage. Ils ne veulent pas non plus faire partie de ces grands groupes et se retrouver dans des endroits un peu à l’écart, loin de l’habitant. Ils redécouvrent le circuit organisé avec des guides qui sont capables de faire le lien entre le pays de départ et le pays d’arrivé. Cela évidemment a un coût.

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Les agences de voyage ont aussi repris la côte car elles offrent un service après-vente même avec le Covid. Quand nous achetons notre billet directement sur un site low-cost où qu’on réserve soi-même sa location sur une plateforme internet on sait que les services d’après-vente sont peu performants. L’agence peut agir et prendre le relais en cas de problème. Alors qu’avant l’agence de voyage était dénigrée : celui qui avait recours à une agence de tourisme ou un guide, était incompétent. Or ce n’est pas le même type de qualité de service.

TV5MONDE : Quelles leçons tirer du Covid ?

Le Covid a montré que les vacances sont utiles, voire essentielles.

Il est important que le tourisme soit soutenu par les pouvoirs publics.
Emmanuelle Peyvel, Maîtresse de conférence en géographie, Université de Brest

Il est nécessaire de partir en vacances.
La pandémie a montré combien nous avons souffert de ne pas pouvoir le faire. Les vacances ont des vertus essentielles, parce qu’elles nous permettent de nous ressourcer physiquement et mentalement. Elles permettent de prendre du recul sur le quotidien.
Le voyage rassemble la famille. Les moments de vacances sont souvent des moments collectifs. Beaucoup de recherches ont été faites à ce sujet, mais il suffit tout simplement de regarder chez soi : les photos de famille sont à très grande majorité des photos de vacances.

La pandémie remet en lumière l’importance du tourisme social. Il est capital que le tourisme soit soutenu par les pouvoirs publics. Voyez la campagne du Secours Populaire par exemple.

Avant le Covid on pouvait penser : les vacances sont-elles un besoin vital ? Quand on est pauvre le plus important c’est d’avoir un logement et à manger. Aujourd’hui, nous nous sommes rendus compte que non. Il est très douloureux d’être confiné, de faire partie de ces gens qui ne partent pas alors que d’habitude on partait.

Ça permet un vrai mieux-être et de faire société.

 

Pour aller plus loin :
> Le site de TV5MONDE consacré au voyage : TV5MONDE -Voyage
> L'ouvrage sous la direction d'Emmanuelle Peyvel, aux Presses universitaires de Rennes:  L'éducation au voyage - Pratiques touristiques et circulation des savoirs

> Le Colloque à Nantes des 6 et 7 septembre 2021 Le Tourisme du futur