La Chine relance sa production de charbon malgré ses engagements sur le climat

Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dépeint un tableau sombre pour l’avenir de l’humanité. Pendant ce temps, la Chine, plus gros pollueur de la planète, relance son industrie du charbon, source d’énergie la plus sale. Dans quelle mesure le pays pourra-t-il tenir ses engagements climatiques, à savoir atteindre la neutralité carbone d’ici 2060 ?
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Charbon Chine
De la fumée et de la vapeur s'élèvent d'une usine de traitement du charbon à Hejin, dans la province du Shanxi, en Chine centrale, le 28 novembre 2019.
Sam McNeil (AP)
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22 septembre 2020. Le président chinois, Xi Jinping, s'adresse en visio-conférence à l'Assemblée général de l'ONU. Le dirigeant surprend tout son monde en annonçant un objectif ambitieux : la Chine aura atteint la neutralité carbonne d'ici 2060.

Le charbon, 56% de la consommation d'énergie en Chine

Près d’un an plus tard, le pays vient pourtant de relancer son industrie du charbon, l'une des énergies fossiles les plus polluantes.

À trois mois de la COP26 à Glasgow, la puissante agence de planification chinoise vient tout juste d'avaliser, le 4 août dernier, la réouverture de 15 mines situées dans le nord et l’ouest du pays, notamment au Xinjiang. Ces redémarrages doivent fournir annuellement quelque 44 millions de tonnes charbon.

La semaine précédente, la reprise de l’exploitation de 38 autres sites miniers de Mongolie-intérieure avait déjà été entérinée. Se pose dès lors la question de la conciliation entre la poursuite de l’exploitation de cette matière première et le respect du cap climatique fixé par le dirigeant.

Pour Francis Perrin, chercheur associé au Policy Center for the New South (Rabat) et directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste des matières premières, il faut tenir compte du poids du charbon dans l’équilibre économique chinois.

« L’an dernier, le charbon a représenté 56 % de la consommation d’énergie chinoise. Toujours en 2020, il a contribué à 63 % de sa production d’électricité. Avec un tel poids dans ses bouquets énergétiques et électriques, les dirigeants du pays, on parle d’une très grande puissance, ne peuvent pas tout à coup dire qu'ils passent à autre chose.»

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Forte croissance et pénuries d’électricité

D’autant que l’empire du Milieu fait face à une forte relance économique doublée de conditions météorologiques extrêmes. Confrontés à des températures caniculaires, les Chinois recourent massivement à la climatisation, très énergivore.

L’épisode des rationnements d’électricité fin 2020 se rappelle au souvenir des autorités. Celles-ci s’attèlent à tout prix à pallier aux pénuries de courant. En ce sens, la décision prise par Pékin n’a rien d’illogique pour le chercheur. « Pour ne pas casser la croissance, on a besoin de consommer davantage d’énergie. Et qu’est-ce qui peut répondre en premier à ce besoin en Chine ? Le charbon. Pour des raisons économiques, sociales et politiques, si les autorités doivent appuyer sur le bouton « charbon » en 2021, elles le font. »  

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Le facteur temporel

Quant à savoir si la relance des mines est antinomique à la tenue de ses garanties climatiques, le spécialiste nuance. « Cette situation n’est pas incompatible avec ses engagements à long terme. On ne peut pas dire, aujourd’hui, en 2021, que les mesures prises par la Chine durant l’été rendent impossibles ses objectifs à l’horizon 2060. Cela ne veut pas dire que les dirigeants chinois n’ont pas vraiment l’intention, dans la durée, de réduire la part du charbon dans leur consommation énergétique. »

Si l’on dissocie les horizons temporels, alors ce qui peut apparaître contradictoire à un moment donné ne l’est pas forcément

Francis Perrin, chercheur associé au Policy Center for the New South​ et directeur de recherche à l’Iris, spécialiste des matières premières

Pékin l’a assuré ce mardi 10 août, au lendemain de la publication du rapport du Giec :  « La communauté internationale doit avoir entièrement confiance dans la mise en œuvre de l’action de la Chine en matière climatique. Nous appliquerons fidèlement nos engagements internationaux. » Le président, Xi Jinping, s’était déjà engagé à « progressivement réduire » l’usage du charbon à compter de 2026.

Ces délais en tête, Francis Perrin rappelle l’importance de la dimension temporelle en matière de transition énergétique. « Il faut garder une chose à l’esprit : dans le domaine des énergies, la dimension temporelle est essentielle. Il faut distinguer les différents horizons, à savoir, le court, le moyen, le long et le très long terme. Si l’on dissocie ces horizons, alors ce qui peut apparaître contradictoire à un moment donné ne l’est pas forcément. En l’occurrence, cet épisode estival relève du court terme. »

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Investissements « massifs » dans le renouvelable

Les investissements dans le renouvelable vont ainsi se poursuivre. Actuellement, le pays abrite plus du tiers du parc éolien et solaire mondial tandis qu’il développe le nucléaire. Durant les quinze prochaines années, la Chine table sur la production de 200 gigawatts (GW) nucléaire, soit davantage que la capacité actuelle dans les pays les plus nucléarisés du monde, respectivement les Etats-Unis et la France.

« On ne peut absolument pas nier que la Chine, depuis des années, a engagé des programmes d’investissements massifs pour faire monter en puissance sa production d’électricité à partir d’autres sources d’énergie, corrobore M. Perrin. Le pays a investi dans l’importation de gaz liquéfié, il vient de dépasser la France en termes de production d’électricité à partir du nucléaire. Ils sont les numéros un mondiaux dans l’éolien et le solaire tout comme dans la production d’hydroélectricité, et de loin. »

Le gouvernement s’est, en outre, engagé à investir dans les réseaux intelligents et le stockage d’énergie dans les cinq ans à venir. Il a également légitimé l’installation de centrales solaires et éoliennes dans certaines régions reculées de l’ouest dans le but d’alimenter les usines sur la côte est.

Il ne faudrait pas que [le recours au charbon] ne devienne une habitude

Francis Perrin, chercheur associé au Policy Center for the New South​ et directeur de recherche à l’Iris, spécialiste des matières premières

« On peut avoir quelques doutes »

Toutefois, la réactivation de certaines mines abandonnées peut-elle, par effet domino, retarder la diminution de la part du charbon dans son mix énergétique et l’échéance de ses engagements ?  « C’est une question, concède M. Perrin. Ce qui pose quand même problème, c’est que la lutte contre le changement climatique est un travail qui s’inscrit sur le long terme. Si on dit « je vais respecter cet engagement à long terme, mais là tout de suite j’ai un besoin immédiat donc je consomme plus » et que ces situations se répètent, on peut évidemment avoir quelques doutes pour la Chine et au niveau mondial quant aux respects des engagements à long terme. Le long terme se construit avec l’addition de courts termes. Il ne faudrait pas que cela ne devienne une habitude. »

En 2020, la Chine, a enregistré à elle seule, 54 % de la consommation mondiale de charbon. « Or, plus on brûle de charbon, plus les émissions de CO2 sont élevées. Il y a des enjeux énergétiques et climatiques énormes pour le monde entier autour du charbon chinois. »

La Chine, plus gros pollueur de la planète

Plus gros pollueur de la planète, le pays a rejeté quelque 31 % de l’ensemble des émissions de CO2 mondiales en 2020. Soit plus de deux fois plus que la première puissance économique mondiale, les Etats-Unis (14 %).

Selon des chercheurs de l’Université de Tsinghua à Pékin, si la Chine ambitionne de respecter ses objectifs climatiques, 90 % de sa production énergétique devra provenir du nucléaire et des énergies renouvelables d’ici à 2050. A l’heure actuelle, ce mix s’élève à 15 %.

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