Fil d'Ariane
Le nombre d'incendies dans la forêt boréale, l'anneau de verdure qui encercle l'Arctique, est en hausse depuis deux décennies et l'année 2021, en particulier, a été exceptionnelle en relâchant une quantité record de CO2 dans l'atmosphère, selon une étude publiée par la revue Science. Les précisions de notre consoeur de Radio-Canada, Lucie Aubourg.
Ces feux sont alimentés par des conditions plus sèches et chaudes, causées par le changement climatique. En relâchant des gaz à effet de serre dans l'atmosphère, ces incendies contribuent en retour au réchauffement de la planète dans un cercle vicieux.
Ce constat met à mal les efforts pour lutter contre le changement climatique, disent les chercheurs.
La forêt boréale, que l'on trouve notamment en Sibérie, dans le nord du Canada et en Alaska, est la plus vaste étendue sauvage au monde. Toutefois, l'étude déplore qu'elle n'ait jusqu'ici pas reçu la même attention que les dégâts causés à la forêt tropicale.
Or, elle relâche 10 à 20 fois plus de carbone par unité de zone brûlée que d'autres écosystèmes.
En 2021, les incendies boréaux ont émis quelque 480 millions de tonnes de carbone, une quantité bien plus importante que n'importe quelle autre année étudiée par les chercheurs, entre 2000 et 2020.
Cette quantité d'émissions représente environ le double des émissions liées à l'aviation en 2021, ou encore les émissions liées aux combustibles fossiles du Japon, le cinquième des pays les plus émetteurs.
Ces feux "augmentent la concentration de CO2 dans l'atmosphère et contribuent au réchauffement climatique", ce qui accroît en retour "la probabilité d'incendies ravageurs dans le futur", a expliqué à l'AFP Bo Zheng, auteur principal de cette étude, publiée dans la revue Science.
En 2021, les feux de la forêt boréale ont représenté 23 % des émissions mondiales liées aux incendies, plutôt que les 10 % habituels.
Les chercheurs expliquent cette anomalie par des sécheresses survenues simultanément dans le nord du continent américain et en Eurasie, cette année-là.
Pour leurs estimations, les scientifiques ont utilisé une nouvelle méthode. Ils ne se sont pas appuyés, comme à l'habitude, sur des données satellites évaluant visuellement les zones brûlées, dont la résolution n'est pas assez précise, selon eux.
Cette technique force en outre à évaluer le CO2 émis en faisant des hypothèses sur la quantité de végétation brûlée sur chaque zone, ou encore le degré de combustion, comme l'a expliqué Philippe Ciais, coauteur de l'étude et chercheur à l'université Paris-Saclay, lors d'une conférence de presse.
À la place, ils ont utilisé les données d'un satellite observant directement le monoxyde de carbone (CO) dans l'atmosphère. Celui-ci a une durée de vie plus courte (quelques semaines ou mois) que le CO2. Le monoxyde de carbone émis par les incendies présente des distributions spatiotemporelles distinctes d'autres sources, ce qui permet de l'identifier.
Ils ont ainsi déterminé "une tendance à la hausse significative des émissions au-dessus de la région boréale", principalement en juillet et en août, décrit l'étude.
L'Arctique se réchauffe bien plus vite que le reste de la planète, ce qui accroît le déficit en eau des sols, avec une évaporation et donc une humidité de l'air accrue, provoquant une multiplication des éclairs, et tout ceci conduit à un plus grand risque d'incendie, dit Bo Zheng.
En général, environ 80 % du carbone relâché par des feux de forêt est ensuite réabsorbé par la végétation qui repousse la saison suivante. Quelque 20 % du carbone émis reste toutefois dans l'atmosphère, ce qui contribue à l'accumulation de CO2.
En outre, plus les incendies se multiplient, moins la végétation a le temps de repousser et une partie croissante de ces émissions pourrait ne pas être réabsorbée.
"Cette étude contribue à l'ensemble de preuves croissantes indiquant que les feux de forêt et de toundra deviennent de plus en plus importants et fréquents dans les latitudes plus élevées de l'hémisphère nord", a dit pour l'AFP David Gaveau, qui étudie les feux de forêt, mais n'a pas participé à ces travaux. Cette situation est préoccupante pour l'avenir.
Alors, que faire ? Déjà, surveiller la situation de très près dans ces régions, a déclaré Steve Davis, également coauteur de l'étude.
D'autres études ont montré qu'il pourrait être intéressant, "en termes de dollars par tonne de CO2 évitée, d'envoyer des pompiers stopper ces feux" au lieu de les laisser brûler comme c'est le cas actuellement, a-t-il avancé.
"Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas nous préoccuper de ces zones naturelles", conclut pour sa part Philippe Ciais