Le GIEC vient de publier un nouveau volet de son sixième rapport. Il s’attache cette fois à rendre compte des « impacts, de l’adaptation et de la vulnérabilité » liés au changement climatique. Des effets néfastes de plus en plus évidents, des adaptations encore insuffisantes, un focus plus précis sur l’Afrique,… Que retenir en cinq points-clés de cette étude ?
«
Les demi-mesures ne sont plus une option », insiste le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) dans un
nouveau rapport publié lundi 28 février. Les experts de l'ONU y rappellent qu'il n'est pas trop tard pour lutter contre le changement climatique, mais que chaque «
retard supplémentaire » amenuise les chances humaines de construire un avenir vivable.
Lors de sa présentation lundi midi, le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a dénoncé l'« abdication criminelle » des dirigeants mondiaux dans la lutte contre le réchauffement, face au « recueil de la souffrance humaine » que constitue ce rapport. « Près de la moitié de l’humanité vit dans la zone de danger - aujourd’hui et maintenant. De nombreux écosystèmes ont atteint le point de non-retour - aujourd’hui et maintenant », a-t-il insisté.
Publié en août 2021, le premier volet du rapport revenait sur la « physique du climat », c'est-à-dire la compréhension physique du système et du changement climatique. Celui-ci est consacré aux impacts déjà observables ou à venir de la crise, et les adaptations pour lutter contre. Nous vous proposons un résumé en cinq points de la situation inquiétante qui y est décrite.
1. Les effets actuels du changement climatique sont de plus en plus évidents
«
Depuis les premiers rapports du GIEC, les preuves se sont renforcées : notre monde se réchauffe et les changements climatiques dangereux ainsi que les événements extrêmes ont un impact croissant sur la nature et la vie des gens partout dans le monde », rappelle le GIEC dans l’un des documents expliquant son nouveau rapport.
Environ un milliard de personnes pourraient vivre d'ici 2050 dans des zones côtières menacées par la montée des eaux. Rapport du GIEC (FAQ pour la presse), février 2022.
La température dans le monde a déjà augmenté de 1,09 °C depuis l’ère préindustrielle (depuis environ 1850-1900). Il ne s’agit pas uniquement d’impacts futurs mais bien de dommages irréversibles déjà observés : par exemple le réchauffement qui pousse les animaux et les plantes à se déplacer, ou les menace d’extinction. Au niveau humain, environ la moitié de la population mondiale «
connaît actuellement de graves pénuries d'eau à un moment donné de l'année, en partie à cause du changement climatique ».
Les conséquences du réchauffement climatique touchent déjà de 3,3 à 3,6 milliards, habitant dans des contextes «
très vulnérables ». Environ un milliard de personnes pourraient vivre d'ici 2050 dans des zones côtières menacées par la montée des eaux. Ce type de conséquences, sur les populations, les écosystèmes et la nature, sont plus graves, plus nombreuses et plus rapides que ce qui était attendu auparavant.
(Re)lire : Le réchauffement climatique s'accélère pour le Giec, «alerte rouge» pour l'humanité selon l’ONULe nouveau volet du rapport aborde davantage l’interconnexion entre la nature, le climat et les populations : par exemple, la nécessité de préserver les écosystèmes, qui protègent eux-mêmes les conditions de vie humaine sur terre. Il insiste aussi sur le lien entre lutte contre le réchauffement climatique et combat pour l’équité et la justice : les populations les plus vulnérables sont en effet démesurément touchées par les conséquences de la crise, et le réchauffement climatique accroît les inégalités. Réduire la pauvreté permet par ailleurs de renforcer la participation possible de ces populations à la lutte contre le changement climatique.
(Re)voir : Climat : l'archipel des Seychelles menacé par la montée des eaux
2. Les adaptations mises en place pour lutter contre le changement climatique se développent…
Rare bonne nouvelle : le GIEC note que des progrès en termes d’adaptations, planifiées ou mises en œuvre, ont été observés dans toutes les régions et tous les secteurs. «
La prise de conscience et l'évaluation des risques climatiques actuels et futurs ont augmenté dans le monde entier (…).
Au moins 170 pays et de nombreuses villes ont désormais intégré l'adaptation dans leurs politiques climatiques et leurs processus de planification ».
Les risques climatiques pour les personnes peuvent être réduits en renforçant la nature.
Rapport du GIEC (FAQ pour la presse), février 2022.
Le précédent rapport, en 2007, ne se concentrait pas sur les enjeux de l’adaptation contrairement à celui-ci. Il rappelle que tout n’est pas encore joué : «
si l'on prend des mesures immédiates, il est encore possible d'éviter des conséquences dramatiques ». «
Nous avons les connaissances et les outils nécessaires », insistent les scientifiques.
Les adaptations et les initiatives futures doivent par ailleurs s’accompagner d’une réduction significative des émissions de gaz à effet de serre.
(Re)voir : Climat : le rapport du GIEC, "une alerte rouge pour l'humanité"
3. ... Mais ces adaptations restent largement insuffisantes
L’écart entre ce qui est fait et ce qui reste à faire reste toutefois trop important «
Au rythme actuel de planification et de mise en place de l'adaptation, l'écart entre les besoins et ce qui est fait va continuer à grandir », cite l’AFP. Cet écart s’explique notamment par
« le manque de financement, d'engagement politique, d'informations fiables et de sentiment d'urgence ».
De plus, les initiatives se focalisent sur «
la réduction immédiate et à court terme des risques climatiques, ce qui réduit les possibilités d'adaptation transformationnelle », notamment à travers des modifications mineures face à des événements extrêmes. Dans le cas de la France, Gonéri Le Cozannet, chercheur au Bureau de recherches géologique et minières qui a travaillé sur le volet européen, explique par exemple que beaucoup d’efforts existent pour évaluer les risques, les mesures d’adaptation, mais bien moins pour les implémenter. Par ailleurs, «
seuls quelques rares pays disposent déjà de cadres opérationnels pour suivre et évaluer la mise en œuvre et les résultats » de ces initiatives.
Le GIEC met aussi en garde contre les «
mal-adaptations » croissantes : des tentatives d’améliorations qui se révèlent contre-productives. C’est par exemple le cas de la construction de digues.
(Re)voir : Réchauffement climatique : "Cela fait trente ans que ces signaux alarmants sont donnés"
Si le réchauffement dépasse les 1,5°C, même temporairement, certaines conséquences seraient irréversibles. L’efficacité des mesures adaptatives se réduit aussi au fur et à mesure que ce seuil serait dépassé.
4. Des solutions : « le développement climatique résilient »
Le rapport présente un ensemble de solutions appelé «
développement climatique résilient ». Il évoque ainsi la protection et la restauration des écosystèmes, en rappelant que «
les risques climatiques pour les personnes peuvent être réduits en renforçant la nature » (par exemple en restaurant le cours naturel des rivières, en verdissant les villes, en diversifiant les cultures,…). Des mesures moins coûteuses que la construction de nouvelles infrastructures.
Pour le GIEC, au-delà de ces initiatives d’adaptation, il s’agit aussi de transformer la manière dont nous vivons nos vies, et
« mettre la société humaine sur la voie du développement durable ». Cela passe par la production d'énergie propre ou une alimentation saine issue d'une agriculture durable mais aussi des économies circulaires, une couverture sanitaire et une protection sociale universelles.
Les facteurs améliorant l’efficacité des adaptations incluent la coopération internationale, la coopération diversifiée entre tous, allant des gouvernements à la société civile, et
« les partenariats avec des groupes traditionnellement marginalisés, notamment les femmes, les jeunes, les peuples autochtones, les communautés locales et les minorités ethniques ».
La question des villes est par ailleurs centrale. D'ici 2050, près de 70 % de la population mondiale croissante vivra dans des zones urbaines, selon les prédictions reprises dans le rapport. Ces villes représentent pour le GIEC à la fois un facteur de risques climatiques et une opportunité nouvelle d’intégrer des améliorations effectives.
(Re)voir : Climat : alerte rouge sur l'humanité, l'Afrique menacée
5. Un focus régional plus poussé : l’exemple de l’Afrique
Les experts du GIEC ont cette fois poussé plus loin l’analyse régionale et sous-régionale du changement climatique. Comme l’a souligné Wolfgang Cramer, directeur de recherches du CNRS qui a participé à l’élaboration du résumé pour les décideurs, ils avaient été «
fortement critiqué » lors de la remise des derniers rapports au sujet du manque d’informations sur certaines régions, notamment l’Afrique.
La diversité des connaissances indigènes africaines et des systèmes de connaissances locales constitue une base riche pour les actions d'adaptation à l'échelle locale. Fiche d'informations Afrique, GIEC, février 2022.
Entre 1990 et 2019, la recherche en Afrique n’a en effet reçu que 3,8% des financements de la recherche sur le climat dans le monde. Delphine Deryng, l’une des chercheuses travaillant sur l’agriculture, a ajouté que le développement de cette recherche leur a permis d’inclure cette fois davantage d’éléments sur le continent.
Ainsi, bien que l’Afrique soit l’une des zones qui contribuent le moins aux émissions de gaz à effet de serre, elle subit de plein fouet les conséquences de la crise climatique. La croissance de la productivité agricole a par exemple été réduite de 34 % depuis 1961 en raison du changement climatique, plus que dans toute autre région. À ce titre, la réduction de la croissance économique a augmenté les inégalités entre le continent et les pays de l’hémisphère nord.
(Re)voir : Environnement en Afrique : la grande muraille verte, espoir ou mirage ?
Le Giec rappelle au sujet des migrations climatiques qu’elles se produisent surtout au sein d’un même pays ou dans les pays voisins. Et avance ces chiffres : «
avec un réchauffement climatique de 1,7°C d'ici 2050, 17 à 40 millions de personnes pourraient migrer à l'intérieur de l'Afrique subsaharienne, ce chiffre passant à 56-86 millions pour 2,5°C ».
Contrairement à l’Europe ou à l’Amérique du Nord, où les obstacles incluent la désinformation et le manque de sentiment d’urgence, la principale barrière à l’adaptation climatique en Afrique est liée aux facteurs technologiques, institutionnels et financiers. Pour les surmonter, les experts mettent en avant des solutions économiques, transnationales, sociales. Ils citent la nécessaire augmentation des flux financiers publics et privés, par exemple pour améliorer les programmes de travaux publics et l'accès aux soins de santé, ou la diversification agricole. Le GIEC note aussi : «
la diversité des connaissances indigènes africaines et des systèmes de connaissances locales constitue une base riche pour les actions d'adaptation à l'échelle locale ».