Fil d'Ariane
Les ressources en eau se raréfient. Des pénuries touchent désormais de grandes villes du monde à la démographie galopante. Une préoccupation aujourd'hui rappelée à l'occasion de la Journée mondiale de l'eau et du 8e Forum mondial qui se tient jusqu'au 23 mars à Brasilia. Entretien avec l’hydrologue Vazken Andreassian de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture.
La demande en eau des villes pourrait augmenter de 80% d’ici à 2050. Un constat tiré d'une étude publiée, en janvier 2018, par la revue anglaise Nature.
En cause ? La croissance démographique des villes où vit déjà plus de la moitié de la population mondiale. Et ce chiffre devrait encore considérablement augmenter d'ici à la fin du XXIème siècle.
Cette accroissement de la population mais aussi la plus grande accessibilité à de l'eau potable a multiplié par quatre la consommation au cours de ces 60 dernières années. Des chiffres qui devraient encore croître dans les années à venir.
"Plus de 1 milliard de citadins pourraient faire face à des pénuries d'eau, à l'avenir, en raison de l'urbanisation et du changement climatique", peut-on lire dans l'étude publiée dans le magazine Nature qui pointe 70 villes - sur les 482 scrutées - qui risquent d'être en grande difficulté à l'avenir.
Los Angeles (États-Unis), Jaipur (Inde), Dar es Salaam (Tanzanie), Dalian (Chine), San Diego (États-Unis), Karachi (Pakistan), Harbin (Chine), Phoenix (États-Unis), Porto Alegre (Brésil) et Monterrey (Mexique)
Cette crise de l'eau est au coeur du Forum mondial de l'eau qui se tient jusqu'au 23 mars à Brasilia (Brésil) et de la Journée mondiale de l'eau qui doivent lancer des réflexions pour trouver des solutions.
Les eaux de surface - rivière, eau de pluie - pourraient manquer crucialement pour alimenter les villes en eau. Les besoins de l'agriculture pourraient venir concurrencer ceux des villes à l'avenir. C'est le cas déjà en Asie du Sud-Est ou à l'Ouest des Etats-Unis.
Le réchauffement climatique contribue à raréfier les réserves en eau en accélérant l'évaporation. Mais les villes qui se situent dans des zones de fortes pluies sont aussi concernées puisque ces précipitations ne parviennent pas à suffisamment infiltrer le sol pour nourrir les nappes souterraines. Quand les eaux ne sont pas en plus polluées comme c'est le cas déjà à Bangalore en Inde.
Entretien avec Vazken Andreassian, hydrologue à l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA).
TV5MONDE : Certaines villes rencontrent-elles déjà des pénuries d’eau ?
Vazken Andreassian : La ville du Cap en Afrique du Sud,par exemple. On voit bien que depuis le début 2015, ils n’ont jamais réussi à remonter leur réserve en eau, comme c’était le cas jusqu’à présent tous les ans. La ville - alimentée par l’eau des barrages dans le montagnes à l’est- se trouve dans cette situation critique après trois années de sécheresse.
Les grandes villes d’Australie ont connu, elles aussi, une sécheresse exceptionnelle qui a duré 13 ans : la Millennium drought c'est-à-dire la sécheresse du millénaire qui a duré de 1998 à 2010.
L’eau, on la transporte très rarement à longue distance parce que c’est très cher.
Vazken Andreassian, hydrologue
Pendant cette longue période, les réservoirs qui alimentent ces villes se sont asséchés. Les habitants ont échappé de peu à l’interruption de l’alimentation en eau. Les autorités ont alors pris des mesures de restriction et ont lancé notamment la construction de stations de désalinisation. Mais le temps qu’elles soient construites la sécheresse était finie.
L’alimentation en eau est particulière à chaque ville : eau de rivière, souterraine... L’eau, on la transporte très rarement à longue distance parce que c’est très cher par rapport à la valeur que l'on donne au produit. Ce n’est pas le pétrole livré de loin en tankers. Rares sont les villes alimentées par des tankers en eau. Le dernier cas en date c’est Barcelone en 2008. [La France avait alors envoyé de l'eau par bateau à la ville espagnole victime de sécheresse, ndlr]
Pourquoi ces villes connaissent-elles - et pourront connaître davantage - de pénuries d’eau dans les années à venir ?
Les grandes villes du monde ont des taux de croissance relativement important. En Afrique, c’est au-dessus de tout. Dans les grandes agglomérations d’Asie, les taux sont de l’ordre à 1 à 3%, dans les grandes villes d’Europe c’est inférieur à 1%, mais en Afrique c’est de 3 à 5%. L’Afrique a une croissance urbaine extrêmement élevée.
Avec une telle croissance urbaine que vous ayez de la sécheresse ou pas, vous allez au devant de problèmes. L’infrastructure de distribution d’eau nécessite des investissements conséquents pour suivre de tels taux de croissance.
Les villes peuvent-elles entrer en concurrence avec les campagnes en terme d’alimentation en eau ?
Il y a des précédents notamment aux Etats-Unis. Une agglomération tentaculaire comme Los Angeles a asséché toutes les campagnes environnantes. Au cours de son développement [au début du XXème siècle, ndlr] et avant d’aller chercher l’eau du Colorado, la ville a puisé l’eau des montagnes environnantes du lac d’Owens acheminée jusqu'à Los Angeles par un aqueduc.
L’agriculture a été complètement abandonnée dans ces zones-là parce qu’il n’y a avait plus de possibilités d’irriguer. Une partie des agriculteurs ont vendu leurs terres, devenues des déserts agricoles.
Cette situation s’est vue, par le passé, dans des grandes villes en milieu aride qui nécessite une irrigation et que l'agriculture fluviale n'est pas possible.
Quelles solutions s’offrent aux villes pour prévenir et pallier ces pénuries ?
La ville du Cap a connu une démographie très forte entre 1995 et 2008, une hausse de 80%, presque un doublement. Et pourtant, ils ont réussi à stabiliser la consommation en eau en 1999. Ils font de vrais efforts comme la réutilisation de l’eau usée pour irriguer les parcs, ….1/3 des ressources en eau est partagée avec l’agriculture.
> lire notre article : Afrique du Sud : à quand le "jour zéro" eau au Cap ?
Les industriels disent que la désalinisation est moins coûteuse mais elle le reste car elle demande aussi beaucoup d’énergie. Parmi les solutions : faire la chasse aux fuites, mobiliser les gens comme on le fait au Cap avec des affiches qui expliquent à la population qu’elle peut vivre avec 50 litres, ou moins, par jour, en cas de crise contre 100 à 150 litres consommés aujourd’hui au quotidien. Tout ça, ce sont des mesures à court terme.
A long terme, il faut changer les habitudes des gens. Quand il y a une utilisation agricole de l’eau il faut la gérer de manière plus économe en développant le goutte à goutte. On peut aussi réutiliser une partie de l’eau épurée des stations d’épuration plutôt que de la rejeter en mer.
Je crois que les pertes des réseaux en France, c’est 25%… dans les endroits où cela marche bien, sur les 850 000 km du réseau de distribution.