L'ONU prend une résolution "historique" pour la justice climatique

Les campagnes du Vanuatu, petit archipel dans l'océan pacifique en première ligne face aux dévastations du réchauffement, ont porté leurs fruits. L'Assemblée générale de l'ONU a adopté ce 29 mars sous les applaudissements une résolution "historique" visant à faire clarifier par la justice internationale les "obligations" des États dans la lutte contre le changement climatique.
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habitante d'une île de Samoa
Eseta Vusamu assise au bord de l'eau, village de Faleasiu île d'Upolu à Samoa le 29 septembre 2022. Les populations insulaires alertent depuis des années sur les conséquences du réchauffement climatique qui risquent de les faire disparaître. Si une nation est submergée par les eaux, de quelle nationalité seront leurs habitants ? "Si vous nous demandez de partir, nous ne le ferons pas volontairement" dit Vusamu.  
© AP Photo/Lagipoiva Cherelle Jackson
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Avec l'adoption par consensus de cette résolution co-sponsorisée par plus de 130 États, la Cour internationale de justice (CIJ) devra répondre à la question des "obligations qui incombent aux États" dans la protection du système climatique, "pour les générations présentes et futures". "Un défi sans précédent de portée civilisationnelle", insiste le texte.

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"Ensemble, vous écrivez l'Histoire", a lancé le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres à la tribune, estimant que même non contraignant, le futur avis de l'organe judiciaire des Nations unies pourrait aider les dirigeants de la planète à "prendre les mesures climatiques plus courageuses et plus fortes dont le monde a si désespérément besoin".

C'est "un message clair et fort non seulement à travers le monde mais aussi loin dans le futur, que en ce jour, les peuples des Nations unies (...) ont décidé de mettre leurs différences de côté et travailler ensemble pour s'attaquer au défi principal de notre époque, le changement climatique", a déclaré le Premier ministre du Vanuatu, Ishmael Kalsakau, dont l'archipel vient d'être ravagé par deux puissants cyclones en quelques jours.

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Ishmael Kalsakau a publié dans l'hebdomadaire américain Time magazine, un éditorial plaidant pour une justice climatique. "L'océan autour de nous est un train de changer d'une façon terrifiante" dit-il "Nos côtes s'érodent à cause de l'accroissement du niveau de la mer et des saisons de pluie inattendues menancent nos vies" écrit-il.
 

Poids légal et moral

Le gouvernement vanuatais a lancé cette "initiative historique" en 2021, après une campagne initiée par des étudiants d'une université des Fidji deux ans plus tôt.

Il y a une semaine, les experts climat de l'ONU (Giec) ont encore averti que le réchauffement devrait atteindre dès 2030-2035 le seuil de +1,5°C par rapport à l'ère pré-industrielle, objectif le plus ambitieux de l'accord de Paris. Un rappel brutal de l'urgence à agir radicalement durant cette décennie pour assurer un "futur vivable" à l'humanité.

Alors que les engagements nationaux des États à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de l'Accord de Paris ne sont pas contraignants, la résolution souligne l'importance d'autres textes internationaux, comme la déclaration universelle des droits de l'Homme.

"Cette résolution met au centre les droits humains et l'équité entre les générations en matière de changement climatique - deux éléments clé généralement absents du discours dominant", a commenté auprès de l'AFP Shaina Sadai, du groupe de réflexion Union for concerned Scientists, au moment où la Cour européenne des droits de l'Homme tient une audience sur un premier recours climatique contre des États, la France et la Suisse.

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"Décrire (la résolution) comme l'avancée la plus importante au niveau mondial depuis l'accord de Paris semble exact", a-t-elle ajouté, la décrivant comme un "pas incroyablement important" notamment comme "guide" pour les tribunaux nationaux à travers le monde de plus en plus saisis de recours contre les États.

Même si les avis de la CIJ, organe judiciaire de l'ONU, ne sont pas contraignants, ils portent un poids légal et moral important, souvent pris en compte par les tribunaux nationaux.

"Plus grand que nos peurs"

Le Vanuatu et ses soutiens espèrent donc que le futur avis, attendu d'ici environ deux ans, encouragera les gouvernements à accélérer leur action, par eux-mêmes ou via les recours en justice contre les États.

Cet enthousiasme ne fait toutefois pas l'unanimité.

"Je ne vois pas ce que la Cour pourrait dire d'utile. Par contre, je vois des scénarios où cette requête serait contre-productive", a déclaré à l'AFP Benoît Mayer, spécialiste de droit international à l'Université chinoise de Hong Kong. Il évoque même un risque de "scénario catastrophe", avec un avis de la CIJ "clair et précis mais contraire à ce que désiraient les tenants de la requête".

La résolution fait d'ailleurs référence aux "actions" d'États responsables du réchauffement et à leurs "obligations" envers les petits États insulaires ainsi que les peuples d'aujourd'hui et de demain.

L'arrivée de cette résolution à l'Assemblée générale est aussi un grand moment d'émotion pour les jeunes du Pacifique à l'origine de l'initiative.

"C'était une opportunité de faire quelque chose de plus grand que nous, plus grand que nos peurs, d'important pour les générations futures", a expliqué Cynthia Houniuhi, aujourd'hui présidente de l'ONG Pacific Islands Students Fighting Climate Change.

"Je veux pouvoir montrer une photo de mon île à mon enfant un jour", a lancé la jeune femme originaire des îles Salomon.