Fil d'Ariane
« Pour la première fois dans notre Histoire, notre pays s'est mobilisé pour soutenir le développement et l'émergence du Sud de Madagascar. » À en croire ce tweet, le président Andry Rajoelina n’est pas peu fier d’annoncer son Plan Emergence Sud présentée lors d’un colloque à Fort-Dauphin, la plus grande ville à la pointe du Grand Sud de Madagascar.
Pour la première fois dans notre Histoire, notre pays s'est mobilisé pour soutenir le développement et l'émergence du Sud de #Madagascar.
— Andry Rajoelina (@SE_Rajoelina) June 14, 2021
Retrouvez la restitution des travaux du colloque régional et les chantiers prioritaires pic.twitter.com/TTZIrF8NQA
Pourtant cette annonce, déclinée en plusieurs actions ambitieuses à venir, ne pourra pas répondre à la catastrophe humanitaire et silencieuse qui se déroule dans cette zone région semi-aride, sans doute la plus enclavée et déshéritée de la Grande Île. Ici, à cheval sur les régions de l'Androy au sud, de l'Anosy au nord-est et de l'Atsimo-Andrefana à l’ouest, on subit de façon cyclique le kéré, la disette endémique, aigüe, liée à la période de sécheresse.
Mais depuis quatre ans, les précipitations ont des niveaux très bas. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), 1,3 million de personnes ont besoin d’une aide alimentaire d’urgence. Plus de 135 000 enfants souffrent de malnutrition aigüe. Pour y répondre, il faut 231 millions dollars d’aides d’ici mai 2022 selon cette agence des Nations Unies. Et en juin, le chef du Programme alimentaire mondial David Beasley en visite dans la zone frappe les esprits avec une autre annonce qui elle va faire le tour du monde : Madagascar est frappé par la première famine de l’histoire causée par le changement climatique d’origine humaine.
Famine, changement climatique, première fois : l’information est reprise en boucle. Une affirmation qui ne laisse guère de place à la nuance. Pourtant sur le terrain, la correspondante de TV5MONDE Gaëlle Borgia, en reportage, montre une réalité plus complexe où l’extrême pauvreté, les routes impraticables et l’insécurité des dahalo, les bandits qui sévissent dans les campagnes. Autant de facteurs qui font du sud "un cimetière à projets de dévelopement". Ce qui est indiscutable : c’est le caractère critique de la situation, une famine qui contraint certaines populations à manger les chutes de peau de zébu délaissés par les cordonniers. Pour le PAM, 28000 personnes dans le Grand Sud souffrent de la famine.
Madagascar : le sud du pays, un "cimetière à projets de développement"
Mais voilà, plusieurs mois après, une étude scientifique d’un groupe de chercheurs vient ébranler une certitude du Programme Alimentaire Mondial. Depuis 2014, World Weather Attribution (WWA) est un réseau des scientifques spécialisé dans l’analyse des événements climatiques extrêmes pour en déterminer les causes. Son dernier rapport est sans appel : « des facteurs autres que le changement climatique sont les principaux facteurs de la récente insécurité alimentaire dans le sud de Madagascar ».
En substance, dans un rapport de 38 pages, le WWA souligne que l’actuelle période de sécheresse de 24 mois, de juillet 2019 à juin 2021, a enregistré deux périodes de saisons des pluies successives avec un taux de précipitations inférieur de 60% à la moyenne. Or, c’est cette saison des pluies de trois mois de décembre à février qui concentre la moitié des précipitations annuelles.
Madagascar : comment des populations du sud de la Grande Île tentent de survivre à la famine
À titre de comparaison, sur les 40 dernières années à Madagascar, cette sécheresse exceptionnelle n’a d’équivalent que durant les années 1990-92. Mais selon les estimations du WWA, un tel déficit de précipitations pendant 24 mois consécutifs « n’a qu’une chance sur 135 » de se produire et cette probabilité « n’a pas augmenté de manière significative en raison du changement climatique causée par les activités humaines ».
Ces conclusions de WWA contredisent radicalement la thèse popularisée par le PAM, celle de la première famine au monde causée par les changements climatiques et non par les conflits. Une thèse qui a eu de nombreux échos lors de la COP26 de Glasgow au début du mois de novembre. Les autorités malgaches l’ont reprise à leur compte dans de nombreuses occasions. À l’instar du président Andry Rajoelina déclarant : « mes compatriotes endurent le tribut d’une crise climatique à laquelle ils n’ont pas participé ».
Autre exemple, celui de la ministre de l’Environnement de Madagascar. Baomiavotse Vahinala Raharinirina plaidait comme nombre de ses pairs des pays du sud en développement pour que les pays riches du nord paient pour réparer les dégâts du changement climatique dont les pays du sud ne sont pas responsables. Pour la ministre malgache, cet argent pourrait être utilisé notamment dans le financement d’un pipeline qui traverserait l’île du nord au sud pour fournir de l’eau. Coût total : 900 millions de dollars. A son crédit, il faut rappeler qu’il s’agit d’une promesse de financement de 100 milliards de dollars par an faite en 2009 mais toujours pas tenu. Mais dans les colonnes du Guardian de Londres, la ministre dénonce aussi l'inconséquence de certains citoyens des pays du nord qui prennent les compagnies aériennes à bas coût ou qui fréquentent des terrasses de restaurants chauffées en plein hiver.
Interrogée sur le rapport de WWA concernant les cause de la famine à Madagascar, la ministre malgache nuance : « L’Etat malagasy n’a jamais dit que tout était la faute des gros pays pollueurs, ce que l’on dit c’est qu’il y a beaucoup de facteurs aggravants qui font que la situation se détériore. C’est pour cela et qu’on fait appel à cette responsabilité partagée [entre pays du nord et pays du sud], mais différenciée. »
la baisse des pluviométries, la hausse des températures tout montre que l’on ne peut pas parler de hasard climatique, il y a une réalité qui est là et qui est vécue par la populationBaomiavotse Vahinala Raharinirina, ministre de l'Environnement
Sollicité par TV5MONDE, le PAM à Madagascar n'a pas été en mesure de nous répondre. Néanmoins cette étude va forcer ceux, qui comme l'agence alimentaire des Nations unies font porter la responsabilité de la famine dans le Grand Sud de Madagascar au réchauffement climatique causé par les activités humaines, à réviser leurs arguments et les confronter aux conclusions du World Weather Attibution. « Il faut qu’ils voient avec les Nations unies pour qu’ils se mettent d’accord », observe la ministre. Avant d’ajouter : « la famine ne date pas de deux ans, le kéré est présent depuis 1938, mais la situation s’aggrave depuis ses 5 dernières années et quand on regarde la baisse des pluviométries, la hausse des températures tout montre que l’on ne peut pas parler de hasard climatique, il y a une réalité qui est là et qui est vécue par la population. »
Reste que d’après l’étude du World Weather Attribution, les changements climatiques auront un impact sur la sècheresse dans cette région du Grand Sud de Madagascar mais seulement si le réchauffement dépasse les 2°C.
Voir aussi :
Madagascar :" Les agricultrices ont à peine de quoi survivre"
Madagascar : y a-t-il des naufragés du climat dans le sud de la Grande Île ?