Fil d'Ariane
Dominique Riquet : On sait désormais qu'il y a beaucoup de raisons pour lesquelles on ne peut pas avoir un mix énergétique à 100% en renouvelables. Il y a des raisons de surface, des raisons de coût, de permanence de service, de gestion des pics de consommation. Il y a beaucoup de raisons, en réalité, à cette impossibilité. Il m'est toujours apparu, pour des raisons économiques mais aussi logistiques, qu'il était inconcevable d'avoir seulement des énergies renouvelables. Cela a pour conséquence de prévoir une énergie décarbonée, permanente et pilotable : j'ai nommé l'énergie nucléaire.
Ce constat arrive un peu tard, mais c'est logique puisqu'il y a eu un débat plus idéologique qu'autre chose durant plus d'une décennie. D'un côté avec les énergies fossiles — mais là, leurs défenseurs ont rapidement cédé la place —, puis avec les partisans ou défenseurs du nucléaire et les écologistes, totalement contre le nucléaire. C'est d'ailleurs un des sujets constitutifs du mouvement politique écologique.
Pour la production électrique dans l'Union européenne il y a une amélioration, alors que dans le transport il y a une dégradation dans la baisse des émissions carbone.
A la suite de ce débat nous introduisons progressivement des éléments objectifs, ceux que j'énonçais, sur les surfaces, les coûts, le pilotage et qui vont établir que certes, on peut avancer — et beaucoup d'ailleurs — vers les énergies renouvelables, mais qu'on ne peut pas compter sur un mix pur des énergies renouvelables. Donc, comme d'habitude dans ces cas-là, on finit par arriver à une position de sagesse, mais qui est une position intermédiaire qui ne plaît pas à tout le monde.
TV5MONDE : Les émissions de carbone en Europe proviennent en premier lieu de la production d’électricité, puis des transports (respectivement 33% et 29%). Les politiques de réduction des émissions carbone européennes actuelles sont-elles adaptées face à cette réalité ?
Ce sont des chiffres qui naviguent, il y a une adaptation. On voit par exemple que pour la production électrique dans l'Union européenne il y a une amélioration en termes d'émissions de carbone, alors que dans le transport il y a une dégradation. Cela ne suscite donc pas les mêmes remarques de la part des régulateurs européens et des politiques européennes.
Sur l'énergie, on voit bien que l'on se dirige vers une décarbonation significative. Après une sortie du nucléaire en Allemagne — qui était plus politique que réaliste et qui a entraîné un passage désastreux par le charbon —, il va falloir une phase intermédiaire gazière. Et au bout du compte, on peut aller vers un mix beaucoup plus décarboné, même peut-être totalement décarboné. Si le mix est en grande partie renouvelable et en partie nucléaire, vous êtes décarboné.
Si vous baissez votre consommation de produits carbonés, vous allez impacter directement votre croissance économique.
Dans le transport, c'est plus compliqué. Les émissions de ce secteur augmentent au fur et à mesure que les transports et la mondialisation augmentent. Avant le Covid on constatait que nous n'étions pas sur une phase de décroissance des émissions par les transports, mais au contraire sur une augmentation. Nous avons une politique européenne de décarbonation des transports extrêmement volontaire sur le plan politique mais qui se heurte à des réalités économiques, aussi bien dans le transport terrestre que maritime, et plus particulièrement dans le fret de marchandises terrestres.
Il y a des projets qui maturent, qui passent par des transports électriques, par les batteries, les piles à hydrogène, voire les caténaires sur routes, mais qui posent le problème de la nature de l'électricité utilisée. Ce qui pose aussi le problème du bilan carbone des véhicules, depuis leur fabrication jusqu'à leur déconditionnement. Ce bilan carbone risque d'être long à améliorer.
TV5MONDE : L’Europe est malgré tout une très bonne élève dans la réduction de ses émissions carbone : entre 1990 et 2016, les émissions totales de gaz à effet de serre ont diminué de 22 % dans l'UE, et de 4,3% sur la seule période de 2018 à 2019, un record. Où donc l'UE peut-elle aller chercher de nouvelles réductions d'émissions carbone ?
L'Europe est effectivement le bon élève, mais c'est à peine 10% des émissions mondiales. Il y a une équation qu'il faut garder en tête, c'est que la croissance économique est strictement corrélée à la consommation carbonée d'énergie dans le monde. Donc, si vous baissez votre consommation de produits carbonés, vous allez impacter directement votre croissance économique. Une des raisons qui probablement fait que l'Europe affiche un taux de croissance économique qui est bas, tient au fait que vous améliorez vos normes environnementales et vos normes sociales — ce qui est souhaitable — mais ceci a un coût. Il faut savoir que plus notre transition énergétique va être vertueuse, plus elle va être coûteuse en termes de croissance économique et de normes sociales.
Le problème aujourd'hui dans la discussion écologique c'est que ce n'est jamais une discussion sur l'ensemble des critères (…) Vous discutez d'écologie, d'environnement, mais vous ne discutez pas des conséquences extra-environnementales.
L'Europe a pris la position de la vertu. C'est une manière de prendre position avec une sensibilité écologique forte, qui dit "respectons la planète et donnons l'exemple". La vertu, c'est avant tout aller vers la décroissance, alors qu'il y a moyen, à mon sens, de trouver une voie médiane, qui prend en compte les critères environnementaux mais aussi économiques et sociaux. C'est une voie qui essaye de transformer notre progrès environnemental en progrès économique. Le principe du "Green deal", tel qu'il est présenté aujourd'hui, est à mon sens un projet idéologique avec un certain nombre de sujets qui ne sont pas introduits. Il y a en plus une présentation de la transition écologique et énergétique qui comporte des biais et qui est de temps en temps non réaliste.
TV5MONDE : La neutralité carbone, si elle est atteinte dans l'UE, entraînera "probablement une diminution (dans l’augmentation moyenne) de la température atmosphérique mondiale, estimée (…) entre 0,02 °C et 0,06 °C en 2050", selon les calculs du GIEC utilisés dans l'étude publiée par votre groupe politique. L’UE n’aurait-elle pas plus intérêt à se préoccuper des problèmes écologiques de biodiversité, de pollution des sols, plutôt que d’investir massivement et avant toute chose dans la transition énergétique, au vue des résultats prévus sur le climat ?
J'ai tendance à penser que tout est lié. Le problème énergétique et le problème de la biodiversité, des sols, des cultures et de l'indépendance alimentaire sont des sujets qui peuvent être traités simultanément. Mais la question, en allant au fond de l'affaire est que les écologistes purs et durs soutiennent une idée qui est celle de la décroissance, avec une écologie punitive. Dans cet enthousiasme vert, les incidences sociales et économiques qui sont liées, ne sont pas présentées.
Sur la préservation des sols, la biodiversité, nous sommes en train de réaliser un rapport sur le sujet et c'est un sujet que l'on va porter au Parlement.
On voit bien ce qu'il en a été avec l'épidémie. Nous avons réalisé qu'un bon moyen de faire de la performance environnementale, entre guillemets, c'est d'effondrer l'activité, avec le chômage, l'augmentation des prix, de la pauvreté. Le problème aujourd'hui dans la discussion écologique c'est que ce n'est jamais une discussion sur l'ensemble des critères. Vous discutez d'écologie, d'environnement, mais vous ne discutez pas des conséquences extra-environnementales. A ce rythme-là, vous êtes toujours en train de regarder le côté vertueux et séduisant des politiques écologiques sans regarder les conséquences, et en plus, pour une performance dont on pourrait discuter. Sur les véhicules électriques par exemple, il y a beaucoup de choses à dire, comme leur bilan carbone, qui, en Europe, est pire que celui des moteurs thermiques améliorés.
Pour la biodiversité, elle est introduite dans les réflexions stratégique de l'Europe, puisque l'on doit consacrer 10% de nos moyens pour cela. Sur la préservation des sols, nous sommes d'ailleurs en train de réaliser un rapport sur le sujet, et c'est un sujet que l'on va porter au Parlement. L'artificialisation des sols, la biodiversité, le respect des sols, tout cela va être pris en considération. Et je suis d'accord, ce sont là de vrais sujets.
Mais nous avons aussi une vraie difficulté dans les réflexions environnementales, parce qu'il y a des réflexions fondées sur des critères de pratique, qui s'appliquent et aboutissent à des améliorations constantes avec un bilan très positif pour la société, comme la gestion qualitative et quantitative de l'eau. Et puis il y a des démarches purement idéologiques et pour lesquelles on risque d'avoir une catastrophe économique et sociale…