Fil d'Ariane
Illustration. 1400 scientifiques signent une tribune afin de pousser les politiques et journalistes à remettre la question climatique au centre du débat des présidentielles 2022.
TV5MONDE : Pourquoi les médias et les journalistes peinent-ils à mettre en avant la question climatique dans le cadre de la présidentielle ?
Gilles Vanderpooten, directeur général de l’association Reporters d’Espoirs : Les présentateurs politiques ont choisi cette voie parce qu’ils sont adeptes du débat politique. Ils estiment qu’il y a des questions prioritaires. Avec l’association Reporters d’Espoirs, nous avons interrogé plusieurs journalistes, de RFI, des Échos, de Médiapart ou d’ailleurs. Selon eux, il y a un manque d’intérêt pour la question climatique chez les journalistes comparativement à des sujets plus conventionnels. Concrètement lorsqu’il faut parler d’immigration ou de sécurité, les journalistes se disent : "Je maîtrise un peu la question. Cela va faire de l’audience." Ils sont convaincus que c’est ça que les gens veulent entendre.
Ils se laissent aussi guider par l’agenda des politiques. On le sait bien, certaines figures politiques n’ont pas très envie de parler de climat. On commence à remettre le pouvoir d’achat en priorité des débats, certes, mais niveau climat c’est compliqué. Pourtant c’est l’une des principales priorités des Français.
TV5MONDE : pourquoi les journalistes ne sont pas amenés à parler assez d'environnement de manière plus générale ?
Gilles Vanderpooten : Les journalistes savent qu’il y a un changement climatique mais ils n’ont pas une "culture du climat." Je doute qu’ils aient tous lu la synthèse en trente pages du rapport du GIEC. La plupart des journalistes que nous avons interrogés s’accordent à dire qu’ils manquaient de temps pour bien mesurer l’ampleur du problème, pour se constituer un réseau de scientifiques et pour aller sur le terrain pour comprendre comment les gens vivent ce changement. Ça demande un effort individuel de la part du journaliste d’aller se cultiver sur la question. Il y a aussi peut-être aussi un manque d’innovation dans les choix de sujets et les thèmes abordés.
L’étude menée par le GIEC et parue en septembre 2021 compare la couverture médiatique du rapport de 2021 avec celui de 2018. Il mesure le nombre d’articles de presse qui en font la mention au moment de leur publication, sur un échantillon de treize grands médias français.
Le rapport du GIEC de 2021 a été davantage couvert par les médias français que celui de 2018. Ils font cependant tous deux l’objet de peu d’attention médiatique par rapport aux autres actualités au moment de leur sortie. À titre d’exemple, le pass sanitaire est mentionné dans 6,76 fois plus d’articles (8 356 articles) que le GIEC. Les incendies sont mentionnés dans 3,9 fois plus d’articles (4 823 articles) que le GIEC.
Cependant, les scientifiques du climat sont cependant davantage interviewés dans les articles faisant écho en 2021 comparé qu’en 2018. L’évolution des profils interrogés est globalement positive.
Certains journalistes aussi sont un peu réfractaires car ils ont peur d’être taxés d’activistes et d’être trop engagés. Il ne s’agit pas de s’engager pour climat, il s’agit de traiter d’une réalité. Une distance est faite parce que certains ne conçoivent la question climatique que sous l’angle de l’engagement activiste.
TV5MONDE : quelles solutions imaginez-vous afin de leur permettre d'être mieux renseignés sur le climat ?
Gilles Vanderpooten : On a remarqué que les journalistes faisaient très peu de formation continue tout au long de leur vie. Il y a, semble-t-il, un gros manque de ce point de vue-là. C’est une des professions qui se forme le moins.
Il n’y a pas de temps où les journalistes se retrouvent tous pour se former. Cela peut prendre de l’auto-formation. Dans nos interrogatoires, une chose revient. Les employeurs ont beaucoup de mal à rassembler leurs journalistes pour leur proposer des formations collectives. Or, le climat va affecter toutes les sphères de la société, qu’on soit en société, en économie, en sciences, en technologie. Il nécessiterait des formations collectives avec des scientifiques, des experts climatiques.
Plutôt que de dire : "vous les Boomers, vous avez détruit la planète", (...) il faut que les médias recréent un dialogue entre les générations.
Gilles Vanderpooten, directeur général de l’association Reporters d’Espoirs.
TV5MONDE : vous parliez d’un manque d’innovation dans les choix de sujets proposés sur le climat. Que conseillez-vous justement pour parler du climat autrement ?
Gilles Vanderpooten :Nous sommes en train de travailler une série de bonnes pratiques pour les journalistes sur la question. L’une d’entre elle vise à recréer un dialogue entre les générations. C’est la vice-présidente du GIEC, Valérie Masson-Delmotte qui l’a développée. Elle part d’un constat.
D’un côté, beaucoup de jeunes expliquent qu’ils n’arrivent pas à dialoguer avec leurs parents ou grands-parents. De l’autre, les gens assez âgés se sentent remis en cause. L’un des rôles des médias serait de provoquer ce dialogue en montrant qu’on est chacun le produit d’une époque. Plutôt que de dire : "vous les Boomers, vous avez détruit la planète", l’idée serait d’interroger par exemple en même temps plusieurs membre de la même famille, de générations différentes.
Des journalistes du magazine pour adolescents Phosphore proposent de mettre en avant d’autres figures que celle Greta Thunberg. Le côté "starification" d’un personnage ne permet pas aux lecteurs de s’identifier au personnage. Le magazine interroge des figures dans lesquelles il est facile de se projetter.
On pourrait également développer des sujets qui permettent de "décortiquer les solutions", à l’image de ce que fait le journal en ligne d’investigation Mediacités. Lyon a un projet de planter 5 000 arbres par an. Médiacités mettent la lumière sur le dysfonctionnement, ils parlent des solutions et ils expliquent en quoi c’est une limite. Les pratiques à adopter sont nombreuses, il faut que les médias s’en emparent.