Fil d'Ariane
C'est la signature des "Objectifs d’Aichi pour la biodiversité" par les pays membres de la Convention sur la diversité biologique (CDB), réunis au Japon en 2010 qui a permis la publication de ce cinquième rapport sur les "perspectives mondiales de la diversité biologique". Le principe de ce rapport est de faire le bilan des actions qui devaient être menées pour protéger la biodiversité à l'échelle mondiale entre 2011 et 2020.
La Convention sur la diversité biologique regroupe 194 pays (soit la quasi totalité des pays) sauf les Etats-Unis. Parmi eux, 168 pays ont ratifié la convention et sont donc considérés comme les parties. La convention est le premier traité conclu au niveau mondial qui aborde tous les aspects de la diversité biologique, c'est-à-dire non seulement la protection des espèces mais également celle des écosystèmes et du patrimoine génétique. La Convention sur la diversité biologique (CDB) est l'une des trois conventions signées au Sommet de la Terre, à Rio de Janeiro au Brésil en 1992.
Parmi les Objectifs d'Aichi 2011-2020 se trouvaient des actions chiffrées, comme "l'augmentation à 17% des zones terrestres et d’eaux intérieures conservées en zones protégées". C'est une réussite à ce niveau là : en 2020 le seuil de 18% va être franchi au niveau mondial. A l'inverse, de nombreux objectifs plus généraux mais très ambitieux, n'ont eux, pas été atteints du tout : "D’ici à 2020, l’extinction d’espèces menacées connues est évitée et leur état de conservation, en particulier de celles qui tombent le plus en déclin, est amélioré et maintenu." Malgré cet échec, le rapport précise que certaines mesures appliquées sur la planète ont tout de même permis d'éviter une accentuation de l'extinction des espèces.
Les ambitions déclarées en 2011 par les 168 pays membres de la CDB n'ont donc pas tenu leurs promesses, mais elles étaient très élevées — compte tenu du fonctionnement économique et politique mondial —, comme lorsque le rapport demande que "Les écosystèmes qui fournissent des services essentiels, en particulier l’eau et contribuent à la santé, aux moyens de subsistance et au bien-être", soient "restaurés et sauvegardés (…)"
Les accords commerciaux de libre échange du Mercosur, entre l'Union européenne et quatres pays d'Amérique latine (le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay et le Paraguay) sont un très bon exemple de ces grands écarts entre politique économique et protection de la biodiversité : la hausse de 2 à 3% de la production de viande bovine dans ces pays provoquerait une accélération de la déforestation annuelle de l'ordre de 5%. Un rapport soulignant ce phénomène a été remis au Premier ministre français Jean Castex ce jeudi 17 septembre 2020. La France vient d'annoncer qu'elle ne signerait pas le traité… à cause des conséquences qu'il entraînerait en terme de déforestation.
En mai 2020, le Programme pour l'environnement de l'ONU (UNEP) et l'organisation pour l'agriculture et l'environnement (FAO) ont publié un autre rapport, intitulé "La situation des forêts dans le monde". Ce document a permis d'évaluer de nombreux aspects de la protection de la biodiversité contenus dans le rapport sur les objectifs d'Aichi, puisque cette dernière est étroitement liée à la conservation des forêts.
Les forêts recèlent l’essentiel de la diversité biologique terrestre – des forêts boréales du Grand Nord aux forêts tropicales humides. Ces forêts comptent globalement plus de 60 000 espèces d’arbres différentes et procurent un habitat à 80 pour cent des espèces d’amphibiens, 75 pour cent des espèces d’oiseaux et 68 pour cent des espèces de mammifères. Environ 60 pour cent de l’ensemble des plantes vasculaires se trouvent dans les forêts tropicales. Les forêts occupent 31% des terres émergées, soit 4,06 milliards d'hectares, répartis pour la moitié dans seulement 5 pays : Russie, Brésil, Canada, Chine, Etats-Unis. (Extrait de : "La situation des forêts du monde", mais 2020)
Le document stipule par ailleurs que près de la moitié des forêts (49%) sont "relativement intactes sur la planète". Plus d’un tiers (34%) des forêts du monde sont des forêts primaires, définies comme des "forêts naturellement régénérées d’essences indigènes où aucune trace d’activité humaine n’est clairement visible et où les processus écologiques ne sont pas sensiblement perturbés". Francis Hallé, botaniste et biologiste, spécialiste des arbres et des forêts tropicales estime pour sa part que le rapport de la FAO sur l'état des forêts dans le monde "est exagérément optimiste, surtout pour la surface de forêts primaires qui me semble exagérée. Il faut savoir que le maximum de diversité biologique se trouve dans les forêts primaires." La déforestation est l'un des principaux problèmes de la perte de la biodiversité sur Terre, ce que souligne le scientifique.
• A lire sur notre site, l'entretien avec Francis Hallé : "Écologie : une forêt primaire de 70 000 hectares pourrait-elle voir le jour en Europe de l'Ouest ?"
Les raisons de cette déforestation sont principalement causées par l’expansion de l’agriculture, même si cette déforestation est à la baisse, de façon globale : "Alors que la déforestation sévit à tel endroit, de nouvelles forêts se développent ailleurs, par expansion naturelle ou grâce à des efforts déployés dans ce sens", indique le rapport. Ce phénomène mondial du "moins pire" pour les forêts n'est en revanche pas général, puisque deux continents continuent de déforester de façon importante : l'Afrique et l'Amérique du Sud.
Sur le continent africain, la déforestation est très importante et ne faiblit pas, particulièrement en Afrique centrale. Cette région compte six pays riches en forêts tropicales humides : le Cameroun, la République Démocratique du Congo (RDC), le Congo, la République centrafricaine (RCA), le Gabon et la Guinée équatoriale. Sachant que les forêts tropicales denses et humides du bassin du Congo couvrent environ 140 millions d’hectares, soit le tiers de la surface totale des six pays concernés.
Déforestation dans le bassin du Congo :
Dans le bassin du Congo, la déforestation est surtout notable le long des côtes et des grandes voies de communication, ainsi qu’autour des agglomérations. Les plus grandes menaces qui pèsent sur l’avenir des forêts du bassin du Congo sont constituées d’un ensemble de facteurs étroitement liés à sa forte croissance démographique, aux pratiques agricoles extensives et aux insuffisances de l’État de droit (les lois sont peu ou pas appliquées et les sanctions sont rares). Plus de 80 % de l’énergie domestique des habitants des grandes métropoles d’Afrique centrale étant basés sur le bois énergie, l’impact sur la dégradation forestière est sensible. (Extrait de l'article de cairn.info : "La lutte contre la déforestation en Afrique centrale : victime de l'oubli du politique ?")
Selon l'UNEP, les facteurs principaux à endiguer pour ralentir la déforestation des pays les plus concernés sont, la culture sur brûlis, la collecte de bois de feu, l'artisanat non réglementé, l'exploitation forestière, et enfin le développement des infrastructures routières. Des programmes ont été lancés pour pallier les problèmes causés par l'agriculture sur brûlis, un sujet important en Afrique de l'Ouest. Le rapport de la FAO et de l'UNEP souligne que dans le cas des cultures de cacao, "Une série d’engagements ont été pris avec les gouvernements et le secteur privé, destinés à mettre fin à la déforestation intervenant dans les chaînes du cacao, afin de sauvegarder la biodiversité et les services écosystémiques tout en évitant les pertes de revenus et la dégradation des conditions de vie des populations locales."
D'autres initiatives sont menées pour la reforestation en Afrique, comme le projet Action contre la désertification (AAD), mis en œuvre par la FAO et ses partenaires qui a pour objectif de créer une "muraille verte" au Sahel. En cinq ans, explique le rapport de la FAO, "AAD a permis de restaurer 53 000 hectares de terres agrosylvopastorales dégradées, en plantant 25 millions d’arbres d’espèces autochtones couramment utilisées par les communautés rurales." Ces succès de la FAO dans la reforestation sont malgré tout à prendre avec précaution. Le botaniste Francis Hallé estime pour sa part que "La FAO ne vérifie la reforestation qu'à la plantation, mais pas ensuite pour contrôler si les arbres sont bien soignés et arrosés, alors que dans ces pays très pauvres, les moyens ne sont souvent pas là pour ça. Pour moi, cette initiative de la Grande muraille verte est un échec".
Le cinquième rapport sur les "perspectives mondiales de la diversité biologique" des Nations unies offre une photographie très vaste des actions menées pour endiguer la destruction de la biodiversité sur Terre depuis 9 ans. Bien que les objectifs décidés en 2011 n'ont pas été atteints, avec un rapport qui brosse un état des lieux plutôt inquiétant, le mérite de ces actions — et le bilan qui en découle — sont réels, selon les auteurs : les 168 Etats engagés avec les Nations unies ont agi en faveur de la protection de la biodiversité avec des résultats positifs, bien qu'encore largement insuffisants.
Des actions véritablement efficaces en faveur de la biodiversité sont peut-être en train d'émerger. En France, par exemple, le Conseil d'analyse économique a publié une note ce 10 septembre 2020 indiquant qu'il fallait réorienter les aides à l'agriculture intensive, en stipulant que "15 milliards d’euros d’aides publiques sont versés chaque année à ce secteur, quasiment sans contreparties environnementales". Ce que préconise le rapport de la FAO sur l'état des forêts dans le monde : "La plus grande des mutations nécessaires est celle qui doit intervenir dans la manière dont nous produisons et consommons les denrées alimentaires."
La conclusion du rapport sur la biodiversité des Nations unies ne dit pas autre chose : "Au moment où les nations évaluent les moyens possibles de se remettre de la pandémie de COVID-19, une occasion unique se présente d’amorcer les changements transformateurs nécessaires à la réalisation de la Vision 2050 de vivre en harmonie avec la nature. De telles mesures mettraient la biodiversité sur la voie du rétablissement, réduiraient le risque de futures pandémies et offriraient un grand nombre d’avantages supplémentaires aux populations."
Les "vœux pieux" des Nations unies, sous l'accélération des problèmes écologiques mondiaux et de la prise de conscience de l'enjeu, pourraient-ils devenir réalité dans les années qui viennent ? Entre l'espoir d'un changement global salvateur et le dépit face à la lenteur des actions menées en faveur de la biodiversité, il est difficile de savoir quel état d'esprit adopter face au rapport sur les "perspectives mondiales de la diversité biologique". Mais une chose reste néanmoins certaine : les Nations unies ne restent pas inertes face à cet enjeu pour l'humanité qu'est la protection de la biodiversité.