Fil d'Ariane
L’Europe fait face à des épisodes caniculaires de plus en plus fréquents et l’adaptation des modes de vie et des villes à des chaleurs extrêmes se fait plus pressante pour les Européens. Ce défi est relevé par les architectes et urbanistes africains dont le savoir-faire pourrait bien inspirer les villes de demain. Que peut apprendre l'Europe des architectes et des savoirs-faire africains ? Élements de réponses.
Depuis une dizaine de jours, l’Europe de l’Ouest traverse une vague de chaleur particulièrement intense : 39 degrés à Londres, 41 à Paris, et même des pics jusqu’à 46 degrés dans la péninsule ibérique… Comment adapter les villes occidentales à la multiplication de ces épisodes de canicule ? La réponse pourrait bien se trouver du côté de l’Afrique. Sur le continent africain, les températures extrêmes sont une réalité depuis bien longtemps. Une réalité qui a forcément influencé le travail des architectes et des urbanistes.
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“La médina, la vieille ville, a été faite pour s’adapter à la contrainte naturelle et notamment climatique”, explique Mohamed Ali Ragoubi, porte-parole de la Fédération nationale des urbanistes tunisiens. “Les murs sont très épais, les bâtiments, opaques, ne s’ouvrent que vers l'intérieur, et sont construits autour d’un patio qui sert de réceptacle de lumière et la distribue aux pièces organisées tout autour…” détaille-t-il. Pour lui, il n’y a aucun doute : “Le problème des passoires thermiques, dont souffrent aujourd’hui beaucoup de villes, nos ancêtres ont su s’en prémunir ingénieusement !”
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L’architecture traditionnelle africaine regorge d’exemples de construction parfaitement adaptés aux défis du réchauffement climatique. À travers toute l’Afrique de l’Ouest, les habitations traditionnelles faites de terre gardaient la fraîcheur grâce à leurs murs épais, protégés du soleil par la végétation. Les tours à vent, appelées malqaf en Égypte, sont des systèmes de ventilation naturelle répandus en Afrique du nord et au Moyen Orient, où elles sont connues sous le nom de badguir. Les habitations traditionnelles des îles de Kerkennah, à l'est de la Tunisie, ont des toits en bois de palmier, un matériau local qui n’emmagasine pas la chaleur et permet de rafraîchir l’atmosphère des maisons pendant les mois d’été.
La liste est longue, et riche de toute la diversité des différentes cultures qui émaillent le continent. Un point commun relie toutefois ces techniques et structures : elles ont été pensées pour répondre aux contraintes du terrain et conçues en fonction des savoir-faire et des matériaux à disposition localement. Eco-responsable avant l’heure.
Un temps abandonnée au profit de l’architecture coloniale, puis de constructions modernes en ciment, l'architecture traditionnelle revient aujourd’hui sur le devant de la scène. “Il y a une nouvelle vague d'architectes qui s'y intéressent, et se tournent à nouveau vers des matériaux naturels, comme la terre” confirme Kweku Quansah, architecte ghanéen formé aux États-Unis et basé à Accra depuis presque 20 ans. “On voit émerger des réalisations avec des matériaux durables, comme la terre battue, qui réduisent l’empreinte carbone des bâtiments notamment”.
Le chef de file de cette génération d’architectes qui s’inspirent de la tradition pour réaliser des bâtiments éco-conçus et adaptés aux enjeux climatiques est sans aucun doute Diébédo Francis Kéré. Le germano-burkinabé est le premier Africain à recevoir le prestigieux prix Pritzker, l’équivalent du prix Nobel en architecture. Son approche collaborative, qui prend en compte aussi bien le contexte environnemental que le tissu social du lieu de ses constructions, lui a valu un Global Award for Sustainable Architecture en 2009.
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Créer des bâtiments qui inspirent ceux qui en ont l’utilité sans pour autant être un fardeau pour l’environnement : voilà toute la philosophie de Francis Kéré. L’un des projets en cours de réalisation par son studio, Kere Architecture, est la construction de la nouvelle Assemblée nationale du Bénin.
Le bâtiment, inspiré de l’arbre à palabre, lieu de rassemblement traditionnel en Afrique, s’organise autour d’un « tronc » creux, qui permet à l’air de circuler librement tout en laissant passer une lumière naturelle indirecte qui préserve de la chaleur. Les étages supérieurs sont dotés d’une façade épaisse, qui permet de filtrer les rayons du soleil, et un vaste jardin public doit s’étendre au pied de l’Assemblée, apportant fraîcheur et ombre. Un bâtiment qui incarne tout ce que le savoir-faire des architectes africains a à apprendre au reste du monde.
“Si vous construisez dans une région au climat chaud, la première question c’est : comment construire sans un système de refroidissement artificiel ?” estimait Francis Kéré lors l'attribution du prix Pritzker. Les matériaux et techniques traditionnels africains ont la réponse et de plus en plus d’entreprises s’y intéressent. C’est le cas d’Elementerre, une entreprise de construction spécialisée dans la production de matériaux de construction basée à Dakar, au Sénégal. “Notre premier matériau c’est l’argile, qui sert de liant” pour fabriquer des briques de terre comprimé explique Doudou Deme, directeur général d’Elementerre. “On va travailler des bétons d’argile à la place du ciment. Quand on construit avec l’argile, on amène de l’inertie thermique, c’est-à-dire une capacité d’accumulation de la chaleur. En gros le mur absorbe la chaleur et l’empêche d’entrer à l’intérieur, contrairement à l’isolation qui empêche totalement le transfert thermique” détaille-t-il.
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Ce principe rend la construction en terre doublement intéressante pour les pays occidentaux où les températures varient encore fortement entre été et hiver. Car si les murs peuvent stocker la chaleur pour garder la fraîcheur d’une pièce, ils peuvent aussi la redistribuer à l’intérieur. Tout est une question de conception, et là encore, les techniques africaines ont la solution. “Vous pouvez construire avec de la terre, mais ça ne fait pas tout” approuve Kweku Quansah. “Dans un climat chaud, il faut s’assurer que les façades sud et ouest des bâtiments sont protégées du soleil avec des dispositifs d’ombrage, mais aussi la végétalisation. Il faut planter des arbres, qui vont projeter de l’ombre et apporter eux-même une couverture ombrageuse et de la fraîcheur” détaille l’architecte.
Repenser les villes est sans doute l’un des plus grands défis de la réponse au réchauffement climatique. “En moyenne, il fait 5° de plus en ville que dans les zones rurales” rappelle Mohamed Ali Ragoubi. “Faire baisser la température dans ces îlots de chaleur urbain est primordial”. Sans cela, de plus en plus de gens céderont à la tentation de la climatisation, qui vient alimenter un cycle infernal de refroidissement des intérieurs tout en produisant de la chaleur à l’extérieur - sans compter l’impact environnemental des fluides de refroidissement.
Là encore, la question du refroidissement passif est au centre. Pour Kweku Quansah comme pour Francis Kéré, la question du refroidissement passif des bâtiments doit être au cœur de chaque projet, et à plus grande échelle, de toute planification urbaine durable. “Il faut tendre vers plus de verdure, d’arbres, que ce soit au sol ou en végétalisant les immeubles”, et revoir les sources d’approvisionnement en énergie, pour aller vers des bâtiments autosuffisants, qui pourront par exemple “réutiliser la biomasse de l’immeuble, ou le système d'évacuation des eaux usées”.
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Une transformation en profondeur qui passe aussi par une “transition post-urbaine” selon Mohamed Ali Ragoubi, qui évoque le concept de “15 minute cities”, autrement dit, des villes où tout serait accessibles en 15 minutes à pied. Un concept qui peut sembler utopique à l’heure des grandes mégalopoles comme Londres, New York ou le Grand Paris, et qui est surtout réalisable seulement dans un contexte de nouvelles constructions. C’est d’ailleurs une des raisons de sa popularité chez les urbanistes africains : “Ces villes 15 minutes sont une opportunité pour l’Afrique, car les villes y sont encore en phase de mue”, explique Kweku Quansah.
Mais comment adapter le bâti existant aux nouvelles contraintes climatiques ? Là encore, la solution pourrait venir d’Afrique. À Dakar, Elementerre produit aussi du typha, un matériau biosourcé fabriqué à partir d’un roseau qui prolifère dans le fleuve Sénégal. “Le typha est considéré comme une nuisance qui empêche les gens de se déplacer sur le fleuve. Mais on s’est rendu compte que c’était très alvéolaire : il y a énormément d’air dans ce roseau, qui est donc très isolant” détaille Doudou Deme.
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Une fois broyé et mélangé avec de l’argile, ce roseau peut servir à produire des briques, qui viendront en doublage pour isoler des bâtiments par l’intérieur - quitte à perdre des mètres carrés, pour préserver par exemple, le précieux bâti haussmanien. “On peut aussi faire des panneaux qui peuvent isoler des toitures ou des faux plafonds dans des salles de classe par exemple. Ça permet de corriger thermiquement des bâtiments existants.”
Adopter certaines caractéristiques de l’organisation de la médina est aussi une solution, notamment en France : “On a un avantage vis-à vis de l'haussmannien, c’est qu’on a des cours intérieures”, explique Alexandre Florentin. Cet élu écologiste parisien préside la mission d’information et d'évaluation “Paris à 50°”, qui doit dès septembre se pencher sur l’adaptation de la capitale française au réchauffement climatique. “On pourrait imaginer végétaliser, débitumiser ces cours, et y mettre des petites fontaines” poursuit-il. “Et on pourrait installer des sortes de badguir, qui viendraient prendre l’air frais des cave, de la fontaine et aérer tout votre bâtiment”.
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Aux yeux de l’élu, il est clair qu’il va falloir “aller chercher des solutions du côté du pourtour méditérannéen, du Moyen-Orient, et de l’Afrique” pour relever le défi des villes à 50°. Reste à savoir si la volonté politique suivra les enseignements que l’Afrique semble prête à offrir.