Records de température en Antarctique : qu'est-ce qu'une rivière atmosphérique ?

Durant la semaine du 14 mars 2022, le thermomètre a atteint des sommets en Antarctique. Les températures enregistrées étaient de 30 degrés au-dessus saisonnières. Comment peut-on expliquer cette hausse record ? 

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L'est de l'Antarctique a enregistré la semaine passée des températures exceptionnellement élevées, plus de 30°C au-dessus de la normale. 
Ted Scambos/AP
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C'est du jamais vu à la base de recherche Concordia, perchée à 3.000 mètres d’altitude. La température sur le plateau antarctique n'affichait que -11,5 degrés au lieu des - 55 degrés d’ordinaire enregistrés sur le plateau Antarctique. Sur le littoral, les températures étaient dignes de l’été austral. Le thermomètre enregistrait 4,8 °C sur la base française de Dumont-d’Urville et 5,6 °C à la station australienne Casey. 


Je ne pensais pas que c’était possible en 2022 d’avoir des températures aussi anormalement élevées.Gaétan Heymes, météorologue à Météo-France 

La communauté scientifique elle-même ne pensait pas une telle vague de chaleur possible dans la partie est de l'Antarctique. « C’est totalement anormal et choquant. J’ai découvert l’événement jeudi 17 avril, avant qu’il n’atteigne son maximum et j’ai été vraiment surpris par son ampleur. Je ne pensais pas que c’était possible en 2022 d’avoir des températures aussi anormalement élevées » confie le météorologue à Météo-France Gaétan Heymes.

À quoi ce phénomène est-il dû ? 

Les conséquences d'une rivière atmosphérique 

La vague de chaleur qui a touché un tiers du continent blanc est due à un phénomène météorologique bien connu, une rivière atmosphérique. Ces "corridors" ou tapis roulants se forment sur les premiers 8.000 mètres de l'atmosphère, où l'air est extrêmement riche en vapeur d'eau.

Chargé de cette eau sous forme gazeuse, le phénomène météorologique poussé par le vent a traversé l'océan austral depuis la Nouvelle Zélande et l'Australie jusqu'à aller toucher l'Antarctique. Le mot "rivière" est utilisé pour exprimer l'idée de mouvement et de flux. 
 

"C’est un terme inventé aux États-Unis sur la côte ouest, où le phénomène est fréquent. Il existe partout sur terre et surtout dans les régions polaires. Il existait avant que le climat ne change", explique Gaétan Heymes. 

En décembre 2021, les effets d'une rivière atmosphérique ont par exemple pu être observés dans les Pyrénnées, avec de conséquentes chutes de neige et des précipitations. 

Cela a également été l'un des effets observés en Antarctique la semaine passée. Des épisodes pluvieux et neigeux très importants sur une surface importante on été observés pendant plusieurs jours.  "La rivière atmosphérique n'engrange pas seulement une hausse des températures. Elle contribue à augmenter temporairement le bilan de masse sur le continent (ndlr : la neige tombée augmente temporairement le bilan de masse) et produit des épisodes de fonte sur le littoral. C’est vraiment atypique que cela se produise à cette période de l’année, d’habitude, cela se produit plutôt en décembre ou en janvier", explique le météorologue. 

Si les rivières atmosphériques ne sont pas une conséquence du réchauffement climatique, leur intensité pourrait en revanche augmenter à cause de l'activité humaine. "Comme l’atmosphère se réchauffe, elle peut aussi contenir plus de vapeur d’eau", ajoute Gaétan Heymes.

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Le renforcement du vent d'ouest 


La banquise de l’Antarctique a atteint fin février sa superficie la plus petite enregistrée depuis le début des mesures satellites, en 1979. Si l'est du continent est d'ordinaire peu touché par les épisodes de fonte des glaces et de hausse des températures, sa partie ouest en fait beaucoup plus l'objet. Un phénomène tend à amplifier cette fonte : le renforcement du vent d’ouest, qui circule tout autour du continent. "Il favorise le refroidissement de l'Antarctique et le réchauffement de l’intérieur, de la partie ouest et de la péninsule, continue Gaétan Heymes. Ce renforcement du vent d’ouest a pour origine un trou dans la couche d’ozone qui lui est d’origine humaine", explique le météorologue.


L’Antarctique a la particularité d’être entouré d’océans ou circule un courant atmosphérique qui l’isole un peu du reste du globe.Gaétan Heymes, météorologue à Météo-France 

À l’est de l’antarctique, les chercheurs observaient plutôt une stagnation voir une baisse des températures entre les années 1950 et 2010. Depuis quelques années, la diminution de la banquise atteint un nouveau record, même si du côté est, la situation reste stable. "L’Antarctique a la particularité d’être entouré d’océans ou circule un courant atmosphérique qui l’isole un peu du reste du globe. L’Antarctique est beaucoup plus froid et est isolé que l'Arctique", détaille Gaétan Heymes.

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L'Arctique aussi touché par une vague de chaleur 


L'Antarctique n'a pas été la seule touchée par la hausse des températures la semaine passée. Pour des raisons différentes, l'océan Arctique a lui aussi vu son thermomètre grimper. Le pôle Nord n'est pas un continent, à l'inverse du pôle Sud. Le réchauffement y est trois fois plus rapide qu'à l'échelle moyenne à cause d'un phénomène appelé l'amplification arctique. 

"Le réchauffement réchauffe les continents et la mer. Il y a donc moins de neige et de glace de mer, ce qui réchauffe l’océan qui réchauffe l’atmosphère, etc. C'est une boucle de rétroaction", explique Gaétan Heymes.
Le phénomène est augmenté avec l'effet d'albédo : la propriété d’une surface à renvoyer les rayonnements solaires (l’albédo de la neige fraîche est proche de 1 parce que la neige renvoie quasiment en totalité les rayons solaires). Avec la fonte des glaces, les rayons ne sont plus réfléchis et sont absorbés par les continents et l'eau. La végétation pousse et absorbe encore plus la chaleur. Quand l'effet d'albédo diminue, les températures augmentent. 

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