Fil d'Ariane
La tempête de pluie verglaçante qui s’est abattue sur une partie du Québec le 5 mars est-elle un symptôme des changements climatiques? Doit-on s’attendre à en voir davantage dans l’avenir?
La question revient chaque fois que la nature fait des siennes : la catastrophe est-elle due aux bouleversements du climat?
La plupart du temps, la réponse à cette question est à la fois simple et complexe.
On peut rarement affirmer qu’un événement isolé comme la tempête survenue mercredi soit directement relié aux changements climatiques. L’effet du climat changeant se mesure en observant les tendances à long terme, pas par une tempête en particulier. D’autant qu’un épisode de pluie verglaçante en avril n’est pas un événement si inattendu.
La question n’est pas tant de savoir si une telle tempête en début de printemps est exceptionnelle ou non. Après tout, il y a toujours eu de grandes catastrophes naturelles, et ce, bien avant qu’on ne commence à réchauffer la température de la planète en brûlant des énergies fossiles.
Il s’agit plutôt de savoir s’il y en aura davantage plus tard et si les effets de ces tempêtes à venir seront de plus en plus importants.
Dans le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Nouvelle fenêtre)(GIEC), les scientifiques restent assez prudents à propos de la tendance future des tempêtes de pluie verglaçante, notamment en Amérique du Nord. Ils écrivent entre autres qu’étant donné le manque d’études réalisées sur le sujet, les preuves qui montreraient de grands changements à venir sont limitées.
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Si les études sur la question précise du verglas sont assez peu nombreuses, un phénomène plus général est très bien documenté : celui des changements à venir dans les régimes de précipitations.
Plus de pluie en janvier, plus de neige en avril, plus de crues soudaines ou de périodes de sécheresse, plus de redoux en hiver et de grands froids en dehors de l’hiver, ou encore d’épisodes plus intenses de grésil ou de pluie verglaçante.
"Bref, plus de précipitations atypiques, moins persistantes, comme on avait l'habitude de voir dans le passé, me dit Philippe Gachon, un expert en hydroclimatologie au Département de géographie de l’Université du Québec à Montréal. Moins de persistance, plus d'intermittence, dans un système qui favorise justement une forte variabilité à la fois des températures, mais des régimes de précipitations", explique-t-il.
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Pour mieux comprendre les possibilités d’avoir plus de tempêtes de pluie verglaçante dans l’avenir, il faut tourner les yeux vers le Grand Nord.
L'Arctique et les régions subarctiques, notamment au Canada, se réchauffent deux ou trois fois, parfois quatre fois plus que la moyenne sur l'ensemble du globe.
C’est un ingrédient parfait pour engendrer de grandes perturbations dans le régime des précipitations de pluie et de neige plus au sud.
Le problème, c’est que plus ça se réchauffe au nord, plus le moteur atmosphérique qui régule le climat de la planète est déséquilibré.
Ce moteur, c’est ce que les scientifiques appellent le régime de circulation atmosphérique.
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Imaginez une grande courroie climatique qui circule dans le nord du globe. Elle fonctionne bien quand les écarts de température entre le nord et le sud sont équilibrés. Les différences de température dans l'espace génèrent les différences de pression, qui sont à l'origine du bon fonctionnement de la courroie, et de tout le moteur climatique qu’elle fait fonctionner.
Cette grande turbine atmosphérique nordique fait la pluie et le beau temps dans l’hémisphère nord. Elle joue le rôle d’un grand régulateur qui a toujours contribué, jusqu’à récemment, à l’équilibre climatique de la planète.
Mais quand les écarts de température sont perturbés, le moteur change le cours des choses.
C’est ce qui survient depuis quelques décennies. L’équilibre semble rompu : "Les changements de température qui sont en train de s'accentuer dans le Nord favorisent des modifications majeures de cette circulation atmosphérique, qui est en train de prendre certaines caractéristiques qu'on a rarement vues dans le passé", dit Philippe Gachon.
Ainsi, à mesure que les écarts de température entre le nord et le sud changent, la circulation atypique provoque de grandes fluctuations à l’intérieur de notre climat canadien : des anomalies froides qui génèrent des températures polaires records en novembre ou en mars, des anomalies chaudes qui nous offrent un mercure estival au plus fort de l’hiver, et une perturbation du régime des précipitations.
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L’est de l’Amérique du Nord est particulièrement vulnérable aux épisodes de verglas, et la vallée du Saint-Laurent en particulier.
Depuis la grande crise qui a frappé le sud du Québec en 1998, Hydro-Québec a grandement amélioré ses infrastructures [Société d'Etat québecoise, Hydro-Québec est le principal fournisseur d'électricité du Canada et l'un des plus grands producteurs mondiaux d'hydro-électricité, NDLR]. Mais Philippe Gachon est d’avis qu’avec les récents épisodes de verglas qui ont frappé le Québec récemment (2019 et mercredi), et à la lumière des plus récentes données sur les changements climatiques, la recherche pour mieux s’adapter aux épisodes de verglas dans l’avenir va forcément se raffiner.
"Les changements dans la circulation atmosphérique affectent l’intensité et la fréquence des tempêtes, ils perturbent le portrait des vents, ils transforment l’intensité, la fréquence et le type des précipitations, et la combinaison de tout ça est un cocktail complexe qu’il faut mieux comprendre, en travaillant avec Hydro-Québec", dit Philippe Gachon.
Depuis le grand verglas de 1998, la société d’État a grandement amélioré son réseau de transport d’électricité, notamment la solidité des grands pylônes. Mais comme on le voit depuis mercredi, le réseau de distribution, celui qui amène le courant dans nos maisons, est toujours vulnérable.
Hydro-Québec refuse toujours d’envisager l’enfouissement de son réseau. C’était une des recommandations phares du rapport Nicolet, qui a étudié en long et en large les causes et les effets de la crise du verglas de 1998. Enfouir, écrivait l’auteur du rapport, l’ingénieur Roger Nicolet, notamment en milieu urbain.
Trop cher, répond toujours Hydro-Québec, 25 ans plus tard. On peut l’imaginer, car la tâche serait titanesque. Mais pourrait-on cibler certaines villes, certains quartiers?
En matière d’adaptation aux changements climatiques, les scientifiques et les grandes institutions économiques sont assez claires : investir un dollar dans l’adaptation maintenant va nous faire épargner de 7 à 10 dollars dans des réparations qui auraient été nécessaires.
Le défi est grand. Car pour s’adapter, il faut tout inventer.
En matière climatique, les expériences du passé ne sont vraiment plus garantes de l’avenir.