Fil d'Ariane
Les eurodéputés ont adopté au Parlement, ce mardi 12 mars, la directive de la Commission européenne qui autorise la circulation de méga-camions dans l’Union européenne. La présidente de la Commission des transports et du tourisme, l'eurodéputée française Karima Delli, explique pourquoi elle s'y oppose.
Les méga camions pouvant peser jusqu'à 60 tonnes mesureront jusqu'à 25 mètres et pourront compter deux à trois remorques.
La directive sur les poids et dimensions, adoptée le 12 mars par les eurodéputés, se veut, à l'origine, bénéfique pour le climat. Elle vise dans un premier temps à favoriser le développement des camions électriques, par nature plus lourds que les véhicules diesel. Pour cela, le texte relève à 44 tonnes le poids des véhicules autorisés à circuler entre les pays de l'UE, contre 40 actuellement.
Mais en plus des camions électriques, elle ouvre la voie à la mise en circulation de méga-camions entre États voisins consentants, des camions géants qui pourront atteindre les 60 tonnes pour 25 mètres de long.
La norme actuelle en France est déjà de 44 tonnes et près de 19 mètres. Mais avec la nouvelle directive, ce sont donc des camions de 16 tonnes de plus qui seraient autorisés à circuler sur les routes européennes. L’idée est d’augmenter la quantité de marchandises transportée dans chaque camion, afin de réduire le nombre de camions sur les routes.
Ces véhicules sont, pour l’heure, testés dans plusieurs pays du Nord de l'Europe comme la Suède, la Finlande, ou encore les Pays-Bas. Si le Conseil européen valide lui aussi cette directive, les pays de l’Union européenne seront libres de décider d’autoriser ou non la circulation des méga-camions sur leurs routes.
L’eurodéputée française écologiste Karima Delli, présidente de la Commission des transports et du tourisme pour le Parlement européen s’est opposée à ce projet. Entretien.
TV5MONDE : Pour quelles raisons êtes-vous opposée à la mise en circulation des méga-camions ?
Karima Delli, eurodéputée : La Commission européenne a décidé de présenter cette directive "poids et dimensions" dans l’optique d’avoir demain des camions électriques sur les routes alors que nous savons très bien qu’aujourd’hui, nous ne savons pas faire des camions de 44 tonnes à l’électrique.
Mais elle va plus loin parce qu’elle décide de mettre sur nos routes des camions avec des remorques allant jusqu’à 60 tonnes. Or, ce n’est pas possible du point de vue de la sécurité routière. Tout d’abord, parce qu’un méga-camion a besoin d’une distance beaucoup plus longue pour freiner. Donc, le risque d’accident est majeur.
La deuxième chose, c’est son impact écologique. On sait qu’aujourd’hui, mettre plus de camions sur les routes va avoir un impact sur le climat. Comme les camions électriques de 60 tonnes n’existent pas pour l’instant, ce seront donc des méga-camions au diesel. Il y aura plus de pollution, plus d’émissions de C02, alors que nous avons l’alternative : relancer le fret ferroviaire.
La dernière chose, c’est que nous sommes en contradiction avec le Green Deal (le pacte vert pour l'Europe), qui nous invite à réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030. Le secteur des transports est le premier émetteur de gaz à effet de serre. C’est aussi celui qui ne réduit pas ses émissions depuis 1990.
Donc, au lieu d’avoir une alternative bonne pour le climat et pour l’emploi, on encourage la route. À cela s'ajoutent des infrastructures routières qui ne seront pas adaptées à ces méga-camions.
TV5MONDE : Un méga-camion, ça ne pollue pas moins que deux camions ?
Karima Delli : C’est absolument faux cette histoire. L’ensemble des études montrent qu'utiliser des camions avec plus de marchandises ne pollue pas moins. Au contraire, le fait qu’on n’investisse pas sur le fret ferroviaire et qu’on mette plus de poids lourds sur la route, fait que demain il y aura plus de 10 millions de camions supplémentaires, donc techniquement 6 millions de tonnes de CO2 par an en Europe. Ce qui n’est pas acceptable.
TV5MONDE : Et pour le fret ferroviaire, on est prêt ?
Karima Delli : Il faut que les États membres comprennent une chose : c’est maintenant ou jamais. Le fret est véritablement l’ami du climat, mais aussi l’ami de l’emploi. C’est la raison pour laquelle nous avons, avec l’ensemble des entreprises du fret ferroviaire, dessiné une carte qui a un objectif : faire 30% de fret ferroviaire d’ici 2030. Le problème est que la moyenne nationale est à 17% au niveau européen. La France est à 9% tandis que nos voisins allemands sont à 18%.
Nous sommes très loin de l’objectif européen. Il faut investir sur les métiers du train, parce qu’il y a aujourd’hui une véritable pénurie dans ces métiers. On manque notamment de conducteurs. Il faut investir également sur l’industrie avec le matériel roulant.
TV5MONDE : Cela dit, un pays au sein de l'Union européenne pourra s’opposer au passage de ces méga-camions.
Karima Delli : Absolument, comme c’est le cas aujourd'hui de la France qui est au confluent de la géopolitique des méga-camions. Vous avez les Espagnols qui sont en train de le tester. Les Allemands le souhaitent également, et les Finlandais et les Suédois le testent déjà. Donc la France va avoir un rôle moteur pour dire haut et fort « nous ne voulons pas de ces méga-camions ». Donc je compte sur le gouvernement français pour rappeler que c’est en contradiction avec l'Accord de Paris.