Fil d'Ariane
Plusieurs pays européens misent sur l'hydrogène propre pour atteindre leur objectif de neutralité carbone. Cette énergie est capable de propulser voitures, camions, trains et même, à l'avenir, avions. Et ce, sans aucune émission de gaz à effet de serre. Mais son utilisation exige des investissements massifs et un fort développement des énergies renouvelables.
La voiture électrique gagne du terrain chaque année face à sa rivale à moteur thermique. Mais un obstacle psychologique freine encore les ventes de ces modèles : l'autonomie, jugée souvent trop faible par les consommateurs. Un autre type de technologie "propre" promet d'apporter une solution : le moteur à hydrogène vert. Plusieurs pays européens s'engagent vers le développement de cette technologie. Début juillet 2020, le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans a présenté un plan de développement de l'hydrogène propre.
Ce gaz est présent à profusion dans l'univers. Il entre notamment dans la composition de l'eau. Utilisé dans une pile à combustible, il sert déjà aujourd'hui à faire rouler des voitures.
L'hydrogène permet de n'émettre aucune pollution au moment de son utilisation dans les voitures ou les trains. Il rejette, pour seul déchet, de l'eau. En revanche, ce type d'énergie est moins vertueux quand il s'agit d'en produire. Aujourd'hui, 90% de l'hydrogène utilisé en France est fabriqué à partir d'hydrocarbures. Cette énergie est donc fortement émettrice de CO2.
Les États européens veulent promouvoir l'hydrogène vert ou "décarboné". Il serait produit par électrolyse de l'eau avec de l'électricité issue de sources renouvelables, comme les panneaux solaires ou les éoliennes. Cela implique de produire beaucoup plus d'électricité qu'aujourd'hui.
Utilisé dans une pile à combustible, il sert déjà aujourd'hui à faire rouler des voitures sans aucune émission de gaz à effet de serre, ni même de particule fine. Une compagnie de taxi française, Hype, utilise déjà une centaine de ces modèles.
Pour autant, ce type de véhicules est pour le moment largement concurrencé par la voiture électrique, bien moins coûteuse à fabriquer. Selon Dominique Vignon, ingénieur de l'École polytechnique, membre de l'Académie des Technologies, "l'hydrogène n'est pas compétitif sur les trajets les plus courts, notamment car il y a une perte de rendement de l'ordre de 65% de l'énergie déployée pour le fabriquer et l'utiliser. Alors qu'on parle plutôt de 20% de perte pour l'électrique." Pour lui, en revanche, "l'hydrogène peut trouver sa place sur les trajets de longue distance et pour les transports lourds, comme pour propulser un camion de 35 tonnes. Ce n'est pas possible avec des batteries électriques."
Les premiers trains de passagers fonctionnant à l'hydrogène pourraient rouler en Allemagne dès 2022. En septembre, une station de rechargement en hydrogène dédiée au trafic ferroviaire sera construite à Bremervörde dans le nord de l'Allemagne. Une première mondiale. "Un kilogramme d'hydrogène remplace environ 4,5 litres de diesel" affirme Mathias Kranz, le représentant de la société Linde qui construira et exploitera ce nouvel équipement, cité par h2-mobile.
De son côté, le groupe Alstom se présente déjà comme un pionnier des trains à hydrogène, avec son Coradia iLint. Déjà commandé à une quarantaine d’exemplaires par les régions allemandes de Basse-Saxe et de Hesse, ce train régional est motorisé par une pile à combustible. Il promet de transporter 300 voyageurs à 140 km/h.
Dans le transport aérien, des industriels préparent le "kérosène vert" fabriqué à partir de CO2 et d'hydrogène. La première unité de production de ce type de carburant pour avions sera mise en service en 2023 sur un site industriel dans le sud de la Norvège. Elle aura une capacité de 10 millions de litres par an grâce à un investissement initial de 90 millions d’euros. Problème, selon Dominique Vignon : "ce hy-kérosène coûte à peu près 5 fois plus cher à fabriquer" .
La production d'hydrogène se fait aujourd'hui à coût élevé. Dominque Vignon, co-auteur d'un rapport sur l'hydrogène de l'Académie des Technologies, en France, affirme qu'il "faut 15 à 20 ans pour mettre en place des infrastructures, des stations services et des canaux de distribution. Il faut être certain que tout cela va coûter très cher. Une pompe à hydrogène revient à deux millions d'euros. Il faut consentir à l'investissement avant que les véhicules soient développés. S'il n'y a pas de réseau de distribution, personne ne va acheter des véhicules à hydrogène."
Pour que ces investissements soient rentables, le rapport préconise de fixer un coût aux émissions de carbone. "Le chaînon manquant, c'est de donner un prix au "carbone évité", estime Dominique Vignon. C'est-à-dire qu'il faut comptabiliser financièrement les émissions de CO2 évitées grâce aux énergies vertes.
Pour le scientifique, "ce prix doit être déterminé soit par le marché soit par les autorités. Cela poussera ensuite à établir des priorités sur les usages du CO2 et d'abaisser le coût de production de l'hydrogène".
Au sein de l'UE, l'Allemagne a annoncé début juin un investissement massif de 9 milliards d'euros, avec l'ambition de devenir le "fournisseur et producteur numéro 1" d'hydrogène dans le monde. La France veut faire de l'hydrogène l'un des moteurs de sa relance verte et va consacrer 1,5 milliard d'euros sur trois ans pour "parvenir à un avion neutre en carbone en 2035".
Par ailleurs, onze sociétés européennes d'infrastructures gazières veulent créer un réseau de gazoducs à hydrogène de près de 23 000 km d'ici à 2040.