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Analyse d'Hélène Flautre

“Un défi pour le projet européen et sa crédibilité“

Eurodéputée française, Hélène Flautre appartient au Groupe des Verts/Alliance libre européenne. Elle appartient à la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures

Lors d'une de vos déclarations, vous avez avancé que 25 % des Roms en Europe étaient victimes de discrimination... C'est un chiffre tiré d'un rapport de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne. Il permet de montrer que ceux qui sont désignés à la vindicte populaire comme étant responsables d'insalubrité publique et de criminalité sont en fait probablement la minorité la plus discriminée d'Europe. C'est ce renversement de victime à bouc-émissaire que ce chiffre éclaire. Il n'y a pas beaucoup de pays qui sont protecteurs pour les minorités et pour les Roms en particulier. Les Roms, ce sont les rapports à la fois du Conseil de l'Europe et de l'agence des droits fondamentaux qui le disent, cumulent les discriminations au logement, à l'éducation, à l'emploi, à l'accès aux soins de santé de base. Je crois que c'est un défi pour l'Europe, pour le projet européen, pour sa crédibilité aussi, d'être capable de réaliser enfin les engagements qui ont été énoncés lors des deux sommets européens consacrés à l'intégration des Roms, c'est-à-dire d'avoir une stratégie coordonnée, cohérente et efficace à l'échelle de toute l'Europe. Je souhaite que l'on puisse construire cette stratégie européenne à partir des meilleurs exemples. De quels exemples peut-on selon vous s'inspirer? Il n'y a pas de pays où les Roms ne subissent aucune discrimination. Il y a ici ou là des exemples prometteurs. Par exemple, dans le domaine de l'éducation, en Catalogne, il y a beaucoup de villes qui accueillent les enfants en bas âge des familles roms pour qu'ils ne soient pas associés aux opérations de mendicité dans la rue. Le fait que des garderies soient ouvertes, cela fonctionne très bien. Les familles font confiance à des structures publiques. Et ensuite, le passage à la scolarisation s'opère de manière beaucoup plus facile. En Angleterre, il y a également des réussites dans le domaine de l'éducation et de la scolarisation. Le système britannique s'appuie sur la reconnaissance de la diversité linguistique et culturelle, il y a des classes où l'enseignement est donné en romani. De ce point de vue, je trouve la position de la France parfaitement hypocrite, puisque son discours, c'est :"Ecoutez, il ne peut pas y avoir de discrimination à l'égard des Roms, puisque nous ne reconnaissons pas les minorités". C'est vrai d'ailleurs, la France n'a pas ratifié la convention du Conseil de l'Europe sur le droit des minorités. Quels sont les enjeux des échanges actuels entre la France et l'Europe? Ce qui est en question aujourd'hui c'est bien sûr la protection de ces populations, la jouissance effective de leurs droits de citoyens européens, y compris de leur liberté de circulation, mais c'est aussi plus profondément, je crois, le projet européen lui-même. Il faut comprendre que les ministres qui se réuniront à Paris vont avoir en tête d'utiliser les restrictions à la circulation des Roms pour en quelque sorte mettre en place de nouvelles restrictions à la liberté de circulation en général. Leur pari, c'est que ce qui est engrangé aujourd'hui sur les Roms puisse l'être demain pour n'importe quel autre citoyen européen. Il s'agirait alors d'une régression pour la construction d'un espace commun européen de circulation, d'installation, de travail, ex caetera. Cela me paraît particulièrement dangereux. Assiste-t-on à un bras de fer entre la France et l'Europe? Il ne peut pas y avoir de bras de fer. Le droit européen s'applique à tous les Etats membres. La France veut faire croire qu'elle respecte le droit européen, comme par exemple la directive sur la non discrimination d'origine ethnique ou raciale de 2000. On peut faire des acrobaties discursives, mais je constate qu'elles ne sont pas convaincantes. Les tribunaux en France commencent à le montrer clairement. Plusieurs arrêtés de reconduite à la frontière concernant des dizaines de personnes ont été annulés par le Tribunal administratif [à Lille, le 31 août 2010, sept arrêtés de reconduite à la frontière ont été annulés, NDLR]. Le gouvernement français joue avec les bordures du droit et contre l'esprit et la lettre des traités et des directives européennes. Si vous voulez parler de bras de fer, il se joue entre certains gouvernements qui voudraient restaurer les souverainetés nationales, pour des raisons purement populistes d'ailleurs, et les acteurs qui pensent que les garanties en terme de droit, de démocratie, seront et doivent être poursuivies à l'échelle européenne. L'Europe va-t-elle jouer un rôle d'arbitre? Personnellement, je n'ai pas l'assurance absolue que la Commission européenne va tenir avec rigueur jusqu'au bout son rôle de gardienne des traités. On sait bien dans quelles conditions son président, monsieur Barroso, a été reconduit à la tête de la Commission. On connaît aussi la majorité politique au sein du Parlement européen et la majorité politique des gouvernements européens. Il faut donc être extrêmement vigilant. J'attends de ce débat que l'on puisse obtenir de nouvelles garanties et avancées en matière de citoyenneté européenne et d'égalité des droits. C'est fondamental si nous ne voulons pas nous laisser aller sur la pente glissante qui nous est proposée aujourd'hui par le gouvernement français.