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Apatridie : que dit le droit?

La volonté affichée du président Sarkozy d'élargir les possibilités de déchoir de leur nationalité des Français naturalisés depuis moins de dix ans a fait ressurgir le spectre de l'apatridie. Trois ministres du gouvernement Fillon ont élaboré des propositions d'amendement. Nicolas Sarkozy doit choisir sur quel projet porter sa préférence. Quels que soient les choix présidentiels et les amendements qui pourraient être ensuite adoptés, le nombre d'apatrides en France (1078 personnes en 2009 selon l'OFPRA) ne devrait pas augmenter. Explications de Danièle Lochak, professeure émérite de droit à l'Université de Paris Ouest-Nanterre.

En quoi consiste le statut de l'apatride? Un apatride est quelqu'un qui n'a pas de nationalité, c'est-à-dire qu'aucun Etat ne le reconnaît comme son national. L'apatride n'est protégé par aucun pays. C'est en cela que son sort se rapproche de celui du réfugié. Le réfugié a une nationalité, mais il ne peut pas réclamer la protection de son Etat. Il faut donc que le pays dans lequel réside l'apatride lui accorde un minimum de protection, et au minimum lui accorde des papiers, pour qu'il puisse avoir une identité et voyager. En France, un apatride obtient de plein droit une carte de séjour vie privée et familiale. Au bout de trois ans, il obtient automatiquement la carte de résident. Le traitement de l'apatridie dans le droit international a-t-il évolué? La Déclaration universelle de 1948, qui n'a pas vraiment de valeur juridique contraignante, mais qui exprime un principe internationalement reconnu, énonce que chacun a droit à une nationalité et que nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité. La Convention de 1954 sur le statut des apatrides leur confère une certaine protection et demande aux Etats de faciliter leur naturalisation. La Convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie demande aux Etats d'intégrer dans leur législation des dispositions visant à éviter qu'une personne ne se trouve privée de nationalité. Cela étant, chaque Etat est libre de déterminer comme il l'entend les lois sur la nationalité et de déterminer qui est ou n'est pas son ressortissant. Il s'agit là d'une prérogative souveraine. D'autant plus qu'il n'y a pas véritablement de contrôle de l'application par les Etats de ces conventions. Le droit de tout individu à la nationalité n'en est pas moins reconnu comme un droit fondamental. De fait, le nombre d'apatrides tend-il à diminuer? L'apatridie est devenu un phénomène très résiduel aujourd'hui par rapport à l'entre-deux-guerres ou à l'immédiat après-guerre. Il existe toutefois encore certaines minorités que le pays de résidence refuse de reconnaître comme ses nationaux. Récemment, à la suite de l'éclatement de l'URSS, certains pays baltes ont entrepris de retirer leur nationalité aux Russes qui y résidaient parfois depuis une ou deux générations. Des situations similaires se sont produites en ex-Yougoslavie, comme en témoigne le phénomène des « effacés » : des personnes originaires d’autres républiques, installés en Slovénie depuis des décennies, qu’on a privées de la possibilité d’acquérir la nationalité du nouvel État. La Cour européenne des droits de l'homme a été ainsi saisie d’une affaire de ce type (affaire Kuric contre Slovénie, le 13 juillet 2010). Bien que la Convention ne reconnaisse pas le droit d’acquérir ou de conserver une nationalité, elle a estimé que le fait de les priver de leur nationalité portait atteinte au respect de la vie privée. Quelle est la situation de l'apatridie en France? La France n'a pas ratifié la convention de 1961 sur la réduction des cas d'apatridie. Cela étant, sa législation est faite pour réduire les cas d'apatridie. Par exemple, un enfant qui naît en France, à qui aucun des deux parents ne peut transmettre de nationalité et qui naitrait donc apatride, cet enfant-là a la nationalité française de naissance. Les propositions ministérielles visant à étendre la déchéance de nationalité sont-elles juridiquement réalisables? Il est difficile de se prononcer catégoriquement sur des projets qui font plutôt figure d’effets d’annonce concurrentiels et qui n’ont pas été retranscrits en propositions législatives précises, sauf celui du ministre de l’Intérieur, dont la rédaction a été manifestement bâclée. On relève malgré tout qu’aucun des projets ne remet en cause la disposition qui a été écrite expressément en 1998, à savoir qu'on ne peut déchoir quelqu'un de sa nationalité que s'il en a une autre. On se borne donc à élargir les hypothèses dans lesquelles on peut déchoir quelqu'un de sa nationalité sans toucher au cadre général dans lequel est enserrée la déchéance, notamment les délais et la procédure. L'argument qu’on a mis en avant pour contester la constitutionnalité de ces propositions est tiré de l'inégalité ainsi introduite entre les Français de naissance et les Français par acquisition. Je ne suis pas sûre qu'en soi cela soit inconstitutionnel. Le Conseil Constitutionnel peut estimer qu’il existe une différence de situation entre ces deux catégories, d’autant plus que les Français de naissance ont moins souvent que les autres une seconde nationalité. Le fait est qu’il a déjà expressément admis la possibilité de déchoir de leur nationalité les Français par acquisition pour des actes de terrorisme en 1996. Jusqu’où peut aller le législateur ? C’est le Conseil constitutionnel qui en sera juge, et il est difficile de prévoir ce qu’il dira le moment venu. Le délit "inventé" par Brice Hortefeux est juridiquement très contesté... La proposition du ministre de l'Intérieur ne tient pas la route juridiquement. Mais le simple fait d’inventer un délit de « polygamie de fait » (alors que les faits visés constituent un délit d’escroquerie aux prestations sociales, déjà prévu par les textes) est une façon de stigmatiser les étrangers – et plus particulièrement les musulmans et les Africains – en laissant entendre qu’ils ont pu rester polygames mêmes en étant français. Mais, comme il est impossible d’être Français et polygame, puisque la polygamie fait obstacle à la naturalisation, on invente alors la "polygamie de fait", punie de cinq ou sept ans de prison. Curieux délit, qui pourrait s’appliquer à chaque Français qui entretient une maîtresse touchant par ailleurs des allocations en tant que parent isolé. On atteint ici le summum de la gesticulation politique. D'une façon générale, il est important d’insister sur le caractère un peu pervers de cette escalade dans les effets d’annonce. Une fois que tout le monde aura dénoncé avec véhémence ces projets maximalistes, le gouvernement présentera un texte plus « raisonnable », ce qui calmera les critiques. Il ne faut pas se laisser prendre à ces manœuvres gouvernementales.

Biographie

Danièle Lochak est professeure émérite de droit à l'Université Paris-Ouest Nanterre. Ses principales publications portent sur les droits des étrangers et la politique d’immigration, les discriminations, le rôle des juristes sous Vichy et sur l’impact des nouvelles technologies sur les droits fondamentaux. Engagée dans le milieu associatif, elle a été, de 1985 à 2000, présidente du Groupe d’information et de soutien des immigrés. Elle est également membre de la Ligue des droits de l'homme.

En savoir plus

Vous pouvez consulter le pacte de 1966 relatif aux droits civils et politiques en fichier pdf

L'apatridie dans le monde

Source : Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
Source : Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés