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Birmanie : élections historiques dans un pays divisé

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Commentaires de Pascale Achard

C’est le premier scrutin libre organisé dans le pays depuis vingt-cinq ans. Trente-deux millions d’électeurs birmans sont appelés aux urnes pour élire leur Parlement dimanche 8 novembre 2015. Un progrès évident même si la Birmanie reste très divisée depuis des décennies et un test pour la démocratie birmane en marche.

Ce dimanche 8 novembre 2015, la Birmanie vote pour un nouveau Parlement, qui élira à son tour le président et les deux vice-présidents du pays.

Ce scrutin qui se veut démocratique se déroulera sous la surveillance d’observateurs internationaux arrivés en Birmanie il y a deux jours (lire le témoignage de notre correspondante). Cette élection suscite de grands espoirs au sein de la population. Car la transition démocratique qui s’est amorcée dès 2011 avec l’élection du président Thein Sein de l’USDP (parti de l’Union, de la solidarité et du développement), a succédé à une junte militaire au pouvoir depuis près d’un demi-siècle. Si pas moins de 92 partis ont proposé des candidats à ces législatives, Thein Sein, lui, a annoncé ne pas se présenter, même s’il  n’exclut pas de briguer la présidence en 2016.

Victoire de la LND ?


À deux jours des élections, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), représentée par l’opposante historique Aug San Suu Kyi, part grand favori. La lauréate 1991 du prix Nobel de la paix a passé 15 ans en résidence surveillée sous la junte, après avoir largement remporté les dernières élections libres dans le pays en 1990. Un résultat que les généraux au pouvoir à l’époque n’ont jamais reconnu.

Aung San Suu Kyi, dirigeante de la Ligue nationale pour la démocratie, lors de la dernière conférence de presse pré-électorale le 5 novembre 2015.AP Photo/Mark Baker
Aung San Suu Kyi, dirigeante de la Ligue nationale pour la démocratie, lors de la dernière conférence de presse pré-électorale le 5 novembre 2015.AP Photo/Mark Baker

Vingt-cinq ans plus tard, Aug San Suu Kyi prône le changement en Birmanie encore dirigée par d’anciens militaires. En cas de victoire, la cheffe de fil de la LND, mère de deux enfants britanniques, ne pourra cependant pas se présenter à la présidence en raison d’un article de la Constitution interdisant les candidats ayant des enfants de nationalité étrangère d’accéder à la fonction suprême.

Une disposition sur laquelle Aug San Suu Kyi est revenue en conférence de presse jeudi 5 novembre 2015 dans sa maison à Rangoon, déclarant que si elle remporte l’élection législative : « Qui a dit que je serai Premier ministre ? Je serai au-dessus du président. »

L’armée, toujours puissante


Si elle n’est plus au pouvoir en Birmanie depuis quatre ans, l’armée conserve pourtant un poids politique prépondérant.  A sa tête, le général Min Aung Hlaing est souvent décrit comme l’homme le plus puissant du pays. Et des liens très forts subsistent entre les militaires et Thein Sein, ancien général de la Tatmadaw (armée birmane) et Premier ministre lors des dernières années de la junte. Une institution qui par ailleurs continue de nommer 25% des députés birmans.

Composée de 500 000 hommes, l’armée contrôle aussi des zones du pays déclarées en état d’urgence pour cause de conflits entre troupes gouvernementales et rebelles ethniques, et possède directement de nombreuses entreprises. Malgré cette influence indéniable, le général Min Aung Hlaing a annoncé que l’armée respecterait le résultat des urnes du 8 novembre.

Des minorités irritées…


Même si l’opposante Aug San Suu Kyi incarne toujours, à 70 ans, l’espoir démocratique d’une grande partie de la population, appartenant majoritairement à l’ethnie Bamars, dont elle est elle-même issue, d’autres minorités ethniques du pays s’opposent à cette domination politique.

Or ces minorités, représentées par la moitié des 92 partis qui ont présenté un candidat aux législatives, sont susceptibles de remporter de nombreux sièges au Parlement. De quoi peut-être inquiéter Aug San Suu Kyi et la LND. Car si le parti ne remporte pas les deux tiers des sièges, nombre nécessaire pour obtenir la majorité parlementaire, il devra alors négocier des accords post-électoraux avec ces partis ethniques.

Wai Wai Nu, Birmane de confession musulmane, se bat pour faire reconnaître les droits de cette ethnie oubliée du pays. Crédit photo : Anaïs Renevier
Wai Wai Nu, Birmane de confession musulmane, se bat pour faire reconnaître les droits de cette ethnie oubliée du pays. Crédit photo : Anaïs Renevier

…D’autres voix écartées de la politique


Les Rohingyas, minorités de confession musulmane, font partis de ces ethnies laissées-pour-compte, n’ayant ni le droit de voter, ni de présenter de candidats. L’une de leur représentante, la jeune Wai Wai Nu, déplore aussi que le modèle féminin de son enfance Aug San Suu Kyi n’ait pas retenu de candidats musulmans sur sa liste (lire son témoignage dans Terriennes).

D’après la militante, cette décision résulterait des « pressions des nationalistes bouddhistes », autre communauté du pays qui n’a pas non plus le droit de prendre part à la vie politique, ni de voter, alors que certains mouvements bouddhistes jouent un rôle politique considérable depuis l’ouverture du pays. Religion très majoritaire en Birmanie, elle ne compte pas moins de 500 000 moines dans le pays. Les plus radicaux, comme le mouvement MaBaTha, très antimusulman, ont décidé de soutenir l’USDP au pouvoir tout en menant une campagne contre Aug San Suu Kyi, accusée au contraire d’être pro-musulmane.

Malgré ces oppositions, la LND est donnée victorieuse mais l’absence de sondages crédibles dans le pays empêchent toutes projections.

Avec AFP