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Brésil : pourquoi les marchés spéculent contre Dilma

Dilma Rousseff, l'actuelle présidente du Brésil © AFP<br/>
Dilma Rousseff, l'actuelle présidente du Brésil © AFP

Dilma Rousseff a été réélue à la tête du Brésil avec 51,45 % des voix. Si les deux candidats étaient au coude à coude dans les sondages à quelques jours de l’élection, le candidat d’opposition a bénéficié du soutien net des marchés financiers dans un contexte de récession économique. 

(mis à jour à 23h59) 9 juillet 2014. Le Brésil se réveille incrédule, après la défaite de la seleção humiliée 7 à 1 par l’Allemagne, en demie finale de la Coupe du Monde. Si la bourse de São Paulo est fermée en ce jour férié, les valeurs brésiliennes sont à la fête à Wall Street : l’action Petrobras, première entreprise brésilienne, monte de 3,5%, tandis que la valorisation des banques Itau (+2,89%) et Bradesco (1,32%) dépasse la moyenne de celle du Dow Jones, en hausse de 0,5% ce jour là. « Il est probable que la déroute affaiblisse Dilma. De la même manière qu’elle a bénéficié d’intentions de votes quand la seleção allait bien, la défaite devrait se faire sentir », analysait à chaud un trader interrogé par la Folha de São Paulo. 
Début octobre, une enquête du courtier XP Investmentos auprès de 80 représentants de fonds d’investissements, cherche à sonder l’impact d’une victoire de Dilma Roussef. Le résultat est sans appel : les courtiers pronostiquent une chute de 15% de la bourse de São Paulo. Les traders disposeraient même d’un « Dilmometro », une équation permettant d’anticiper le cours des valeurs en fonction des sondages. Ainsi, selon la Folha de São Paulo, le « marché estime que plus les sondages sont mauvais pour Dilma Roussef et plus les actions des entreprises brésiliennes montent ». En compilant 19 études d’opinion, le quotidien brésilien établit une corrélation claire : pour chaque point perdu dans les sondages par Dilma, la bourse monte en moyenne de 0,5 points. En un an, ces variations sondagières ont généré des gains de 10,6 milliards de dollars sur les cinq principales valeurs brésiliennes. 
Un vote des marchés qui fait écho au Lulometro, une formule créée par un analyste de la Goldman Sachs, pour prévoir la parité entre le réal et le dollar en cas de victoire de Lula en 2002. L’ex syndicaliste s’apprêtait à exercer le pouvoir pour la première fois, au grand dam du secteur financier qui sur-jouait le scénario de « Peur sur la bourse ». C’était l’époque où le trader Georges Soros promettait le « chaos » en cas de victoire du Parti des travailleurs. A l’issue de son second mandat, l’ex métallo Lula était pourtant encensé par ces mêmes milieux d’affaires, fort d’une croissance de 7,5% du PIB brésilien en 2010. 
La Bourse de Sao Paulo en pointe sur les spéculations électorales pendant la campagne présidentielle. Filckr / Rafael Matsunaga
La Bourse de Sao Paulo en pointe sur les spéculations électorales pendant la campagne présidentielle. Filckr / Rafael Matsunaga
La défiance des milieux économiques
Mais alors que les marchés étaient relativement discrets durant les précédentes campagnes de 2006 et 2010, la défiance des milieux bancaires envers la présidente sortante, dont le programme tient bien plus de la sociale démocratie que du bolivarisme, est particulièrement virulente. Un message de la banque Santander a bien condensé cette aversion du secteur financier. L’établissement espagnol a jugé opportun de mettre en garde sa clientèle Select, une carte réservée à ceux qui gagnent plus 10 000R$ (3000€) par mois : « si la présidente se stabilisait ou augmentait dans les intentions de vote, le change dollar réal se dévaloriserait de nouveau, les taux d’intérêts à long terme remonteraient et l’indice de la Bovespa (la bourse de Sao Paulo) redescendrait ». Le message ne se conclut pas par un appel à voter pour l’opposition, mais suggère bien de prendre contact avec son banquier pour parler investissements…
Pourquoi cette fois ci, les marchés roulent-ils pour l’opposition ? « On ne peut pas dire que les traders votent pour Aecio. Il y a chez nous, même s’ils sont peu nombreux, des traders qui affichent leur soutien à Dilma. Lors de la campagne de 2010, quand les résultats économiques étaient bons, Dilma n’était pas mal vue par la bourse. Les marchés n’ont pas d’idéologie, ils ne regardent que les bénéfices », nous explique Zeina Letif, dans les bureaux d’XP Investimentos à Sao Paulo. Pour la chef économiste de ce grand courtier, « les perspectives de croissance très faibles pour cette année et la montée de l’inflation ont entamé la confiance envers la présidente actuelle. Qui va faire l’ajustement nécessaire pour sortir de cette situation ? Pour les marchés, c’est plutôt l’opposition qui annonce ce type de réformes ». La figure d’Arminio Fraga, l’ex-président de la Banque centrale brésilienne et ancien associé de Soros à la tête d’un hedge fund, annoncé comme prochain ministre de l’économie, est perçue comme particulièrement amicale pour les investisseurs. 
Mais au delà de la situation macro-économique ce sont les valeurs brésiliennes liées aux entreprises d’Etat, qui concentrent l’attention des traders. Pour eux, la présidente actuelle bride les marges potentielles des grandes entreprises publiques du secteur bancaire ou énergétique, afin de contrôler les prix et la consommation. Le cas de Petrobras, le géant pétrolier engagé dans de gigantesques forages off-shore au large des côtes brésiliennes, est le plus emblématique. « Comme Petrobras est soumis à un contrôle des prix sur la vente de son pétrole, cela affecte beaucoup la rentabilité et la capacité d’investissements. Même si l’on sait qu’il n’y aura pas de libéralisation, les marchés estiment que l’opposition pourra plus probablement ajuster les prix de vente du pétrole et ainsi dégager des marges supplémentaires », analyse Zeina Letif. 
Depuis mars dernier, les spéculations électorales ont largement contribué à l’instabilité économique, occasionnant une variation des indices de la bourse de Sao Paulo d’environ 30%. Et suscitent même la lassitude de certains traders, comme Ricardo Lacerda, de la banque d’investissement BR Partners, qui dénonçait cet été dans la Folha de Sao Paulo « une spéculation de mauvaise qualité, où l’investisseur cherche un gain de très court therme et sous-estime la capacité de l’actuel gouvernement à faire la paix avec le marché pendant le second mandat ». 
L’ex président Lula à la bourse de Sao Paulo en septembre 2010, célébrant l’ouverture du capital de Petrobras.  Flickr / @Leo Pinheiro
L’ex président Lula à la bourse de Sao Paulo en septembre 2010, célébrant l’ouverture du capital de Petrobras. Flickr / @Leo Pinheiro