Le lieutenant-colonel Zida, chef de la transition
01.11.2014Par la rédaction de TV5MONDE, avec nos partenaires de “Le Temps“
Le communiqué est tombé au moment même où la rumeur de sa fuite se répandait. "Je déclare la vacance du pouvoir en vue de permettre la mise en place d’une transition qui devra aboutir à des élections libres et transparentes dans un délai maximal de nonante jours." En une phrase, le président du Burkina Faso venait de mettre un point final à vingt-sept années d’un règne dont ses concitoyens n’ont pas supporté l’idée qu’il puisse encore se prolonger cinq, dix ou quinze ans. Pour la première fois en Afrique subsaharienne, la pression populaire a précipité la chute d’un chef d’Etat. Ce vendredi 31 octobre 2014, la rue burkinabée, qui lui criait "dégage !" depuis mardi, tient son "automne noir". Elle dévisage sa hardiesse dans le miroir des "printemps arabes" amorcés par la Tunisie en janvier 2011.
Dans ses valises bouclées en hâte, Blaise Compaoré emporte une partie de l'énigme de sa fin de règne. Par quel mystère ce virtuose de l’anticipation, à l’intelligence politique réputée si affûtée, que tous, en Afrique de l’Ouest, chefs d’Etat et opposants venaient le consulter, a pu laisser ainsi se refermer le piège? "Il s’est laissé entraîner malgré lui dans cette spirale infernale. Blaise était fatigué, il ressentait l’usure du pouvoir. Mais son entourage, lui, voulait perpétuer le système. Là a été sa faiblesse: laisser s’installer une corruption inouïe dans son cercle rapproché", assure une personne qui le connaît depuis des décennies. Elle ajoute : "Il était parfaitement conscient de ce qui pouvait arriver en tentant de réformer la Constitution. De surcroît, il avait toutes les cartes en main pour préparer sa succession." Un pays mal gouverné Les signaux d’alerte, d’ailleurs, n’ont pas manqué, depuis les grandes mutineries militaires de 2011. En début d’année, des fidèles de toujours, Salif Diallo, Simon Compaoré et d’autres, ont quitté le parti présidentiel, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), pour passer à l’opposition. Avec la montée en puissance de l’Union pour le progrès et le changement (UPC) de Zéphirin Diabré, cette dernière, longtemps disciplinée, commençait à donner sérieusement de la voix. Même les chefs coutumiers s’étaient distanciés. En cultivant trop longtemps le secret de ses intentions à l’issue du terme programmé de son mandat, fin 2015, Blaise Compaoré a alimenté les suspicions qui ont fini par attiser le ressentiment populaire. Par deux fois déjà, en 1997 et 2000, il avait remanié la Constitution à son avantage. "C’est un fait, Blaise Compaoré a permis au pays de progresser : il a introduit le multipartisme (1991), et des infrastructures socio-économiques non négligeables, relève Labidi Oualy, du Conseil national des organisations de la société civile. Mais on retient surtout qu’il s’était refermé. En refusant de dire ce qu’il avait dans le cœur, il a perdu le contact avec le peuple. Durant toutes les manifestations, c’est toujours son entourage qui parlait," poursuit-il.
Le vent tourne L’homme, certes, a toujours été introverti. Il passait pour timide et sans grande assurance à ses débuts. Les Burkinabés se sont accommodés du péché originel, l’assassinat de Thomas Sankara, son frère d’armes, qui le porta au pouvoir un "jeudi noir" d’octobre 1987. Non pas qu’ils aient douté de son implication directe, même si la preuve n’en a jamais été apportée, mais ils étaient prêts à tourner la page sur les lubies du révolutionnaire. Le "beau Blaise" avait alors 36 ans. Sans jamais gagner en charisme, il a sans cesse étoffé son assurance au contact du pouvoir. "Il s’est métamorphosé, note sa connaissance : Il bossait ses dossiers à fond, dans son pays et à l’extérieur, il maîtrisait ses réseaux et il savait très bien gérer les situations difficiles." Jusqu’à s’imposer, au tournant des années 2000, comme une personnalité africaine incontournable. "Il a longtemps été soutenu par pas mal de monde. On le remerciait de sa capacité à stabiliser les choses, au Burkina Faso et au-delà," note Jean-Pierre Jacob, de l’Institut de hautes études internationales et du développement. Quitte à fermer les yeux sur ses collusions troubles avec les insurrections en Angola, en Sierra Leone, et ses arrangements avec le Libyen Kadhafi ou le Libérien Taylor. Comme dans tant d’autres crises, Blaise Compaoré était devenu, l’an passé, l’un des médiateurs des dissensions maliennes. Un rôle de façade, confie un acteur de ces négociations : en off, Paris et Bruxelles avaient donné à leurs émissaires la consigne de limiter au minimum les contacts avec lui. On commençait à l’utiliser autant qu’il avait utilisé les autres, preuve que le vent tournait. Aujourd'hui, le pouvoir est aux mains de l'armée.
“Les militaires ne vont pas rendre le pouvoir“
01.11.2014Historien spécialiste du Burkina Faso, Bruno Jaffré est l'invité du journal international.
