
Comment définir l'anarchisme ?
Qui se charge de définir la légitimité d’une autorité ?
L’anarchisme est un courant large. Il y a toujours eu plusieurs mouvements. Mais pour beaucoup, le point commun c’est le rationalisme. Nous sommes des rationalistes. Comme Bakounine, nous estimons que la liberté humaine n’est pas au début de l’histoire comme Rousseau pouvait le penser, mais elle est à la fin de l’histoire. Par la raison, au fur et à mesure, les êtres humains parviennent à comprendre le monde, à comprendre leur propre condition. Il y a donc un progrès historique qui se manifeste et la liberté humaine s’accroît. Par conséquent, les formes illégitimes d’autorité, nous les découvrons progressivement dans l’Histoire. Je vous donne un exemple concret : dans les rapports homme/femme, depuis cinquante ans, des progrès immenses ont été réalisés. Là où l’on ne percevait rien d’autoritaire il y a un demi-siècle, on constate aujourd’hui qu’il s’agissait de rapports contenant des formes illégitimes d’autorité et on s’attache à les combattre.

Quelles sont, en 2012, les principales autorités illégitimes ?
Il y en a deux principales. Il y a l'Etat d'abord. Pour les anarchistes, l’Etat a toujours été l’incarnation du pouvoir illégitime. Et puis du point des relations économiques, le fait que les gens ne soient pas au contrôle de leur vie économique, c’est à dire production et consommation. Cela constitue des formes d’autorité qui exercent une influence extraordinaire sur la vie des gens et qui limitent leur liberté et leur possibilité de vivre des vies égalitaires. Les anarchistes tentent de concilier liberté et égalité. Cet amour de la liberté se conjugue parfois avec une critique très acerbe de l’injustice dans la mesure où elle conduit à des formes d’inégalité inacceptables. Concrètement, dans l’histoire récente des mouvements sociaux, l’anarchisme portait ces valeurs-là en revendiquant la démocratie sur le plan de l’économie, en pensant que si les gens ne sont pas au contrôle de l’économie, alors il n’y a pas de véritable démocratie, pas de véritable égalité. D’où la passion des anarchistes pour la recherche de modèles économiques alternatifs. Ils estiment que notre fonctionnement économique non seulement génère de profondes inégalités mais porte une atteinte grave à la liberté des gens.

Concrètement, comment tout cela s’organise-t-il ?
Par des mouvements sociaux très importants notamment en Europe et aux Etats-Unis.
En France, par exemple, il y a un mouvement dont je me sens très proche qui est l’anarcho-syndicalisme. Ce mouvement a été fondé par un français,Fernand Pelloutier . Pelloutier a inventé les Bourses du travail. C’étaient des lieux où, en plus d’un engagement syndical lié à leur profession, les gens pouvaient échanger avec des gens d’autres professions sur ce que Pelloutier appelait « la science de leur malheur ». C’est à dire qu’ils parlaient de leur exploitation, des moyens d’en sortir. Jusqu’au milieu du 20è Siècle, nous avions donc avec ces bourses du travail des lieux où il y avait des musées du travail, des cours du soir, les gens pouvaient s’entraider. Voilà une incarnation de cette vie meilleure à laquelle aspirent les anarchistes.
Vous êtes québécois, vous enseignez à Montréal, alors, par exemple, quelle part d’anarchisme y'a-t-il dans un mouvement social comme celui des étudiants québécois ?
L’anarchisme qui était virtuellement inconnu au Québec il y a encore vingt ans est un mouvement avec lequel il faut compter aujourd’hui. Le groupe d’étudiants qui a été en pointe s’appelle la CLASSE. Ce groupe là pratique la démocratie directe et ça c’est profondément libertaire : on ne délègue pas notre pouvoir. C’est ce que font les anarcho-syndicalistes. Et à Québec , le gouvernement a été très perturbé. Il ne comprenait pas que cela prenne du temps, il ne comprenait pas que ses interlcouteurs ne soient que des porte-parole. On voit aussi tout cela dans les mouvements comme Occupy Wall Street.
Quelle part de romantisme dans l'anarchisme ?
La réponse à écouter de Normand Baillargeon.

Quelle est la différence entre anarchiste et libertaire ?

Selon Normand Baillargeon, ce sont des mots qui sont à peu près synonymes. La distinction naît d'une théorie baptisée "la propagande par le fait". De quoi s'agit-il ? En France mais aussi dans d’autres pays d’Europe ou aux Etats Unis, des gens ont pensé qu’il suffisait d’assassiner quelques têtes dirigeantes pour mettre le feu aux poudres et faire surgir une transformation sociale. Quand ces anarchistes ou assimilés ont lancé cette idée, d’autres, pour se démarquer, ont changé le nom de l’anarchisme pour dire « libertaire » à la place. Aujourd’hui, l’anarchiste le plus célèbre est un américain, c’est Noam Chomsky, et lui se présente comme un socialiste libertaire.