«Je suis ici aujourd'hui pour présenter des excuses officielles pour la gestion par le gouvernement fédéral de l'épidémie de tuberculose dans l'Arctique, des années 1940 aux années 1960». C'est un Justin Trudeau, ému aux larmes, qui a demandé pardon aux Inuits du Nord québécois.
Au cours de cette épidémie, un bateau-clinique canadien, le C.D. Howe, était chargé de se rendre dans les communautés autochtones du Nord québécois afin d’y soigner les personnes atteintes de la tuberculose. Forcés de monter sur le bateau pour être emmenés dans des villes plus méridionales, sans pouvoir dire au revoir à leurs proches, plusieurs malades sont morts en chemin ou dans des hôpitaux canadiens spécialisés dans le traitement de la tuberculose. Plus de 5000 d'entre eux ont été forcés de se rendre dans les sanatoriums de l'Ontario ou du Québec. L'hospitalisation pouvait durer plusieurs années et s'apparentait de fait à une séquestration. Les patients etaient obligés de rester couchés et de subir des électrochocs.
« Colonialisme destructeur »
« Ce furent des années d'isolement, de confusion et de douleur », a reconnu le Premier ministre canadien. Malheureusement, la politique pernicieuse du gouvernement à l'égard de l'épidémie de tuberculose s'inscrit dans une longue histoire de colonialisme destructeur. Des familles séparées à jamais. Des vies brisées qui ne seront jamais réparées, a poursuivi le premier Ministre. Ce sont des torts que nous ne pourrons jamais effacer. Et le Canada doit porter cette culpabilité et cette honte ».« Ces excuses prouvent une chose », analyse Jean-François Savard, chez nos confrères de Radio-Canada. « Pendant toutes ces années, les Inuits avaient raison de trouver ce traitement injuste, discriminatoire, voire raciste », pour ce professeur à l'Ecole nationale d'administration et spécialiste des questions autochtones.
De nombreuses familles ont ainsi perdu des proches sans savoir ni où ni comment ils étaient morts. Les dépouilles des Inuits étaient identifiées par un simple chiffre, et mises en terre à des milliers de kilomètres de chez eux. D’autres patients, guéris, ont été renvoyés dans la mauvaise communauté.
Pour ces survivants, cette séparation fut un véritable arrachement culturel et linguistique. «Les enfants qui rentraient chez eux revenaient parmi des proches dont ils ne se souvenaient plus, et qui parlaient une langue qui leur échappait, dans une région dont ils ne gardaient aucun souvenir. Ce furent des années d'isolement, de confusion et de douleur », a confessé Justin Trudeau.
Le Canada doit porter cette culpabilité et cette honte
Justin Trudeau, premier Ministre du Canada
Le Premier ministre canadien a toutefois indiqué que « de simples excuses ne suffisaient pas ». Il a ainsi annoncé que le gouvernement fédéral allait investir 27 millions de dollars canadiens sur cinq ans pour mettre sur pied un programme afin que les familles puissent tenter de retrouver les quelques 900 proches disparus au cours de la crise de la tuberculose.
Réparation et prise de conscience

Cette volonté de réparation s'inscrit dans une redécouverte récente des souffrances subies par les Inuits, et les peuples des Premières Nations, par l'opinion publique canadienne et le gouvernement fédéral. Le film de Benoît Pilon, "Ce qu'il faut pour vivre", réalisé en 2008, a participé à cette prise de conscience au Québec des maltraitances subies par les Inuits dans la gestion de l'épidémie de tuberculose. Cet épisode n'est pas le seul traumatisme des Inuits.
Des années 1880 aux années 1990, plus de 150 000 enfants métis, inuits et des Premières Nations sont arrachés à leur famille et envoyés dans des pensionnats indiens (ndlr : écoles religieuses financées par le gouvernement dans le but d'assimiler les enfants autochtones).
Beaucoup d’élèves souffrent alors de négligence et d’abus. Des milliers d’enfants perdent la vie. En 2008, le Premier ministre canadien de l'époque, Stephen Harper, avait présenté des excuses aux peuples des Premières Nations pour les 139 pensionnats recensés au Canada, dont 12 au Québec. Justin Trudeau avait renouvelé, au nom du gouvernement fédéral, une demande de pardon en 2015.

Il faudra du temps pour retisser un lien de confiance entre les Inuits et le gouvernement fédéral canadien. « Le Canada n'est pas encore sorti de sa relation paternaliste avec les peuples autochtones. Il faudra du temps pour que la confiance s'instaure », estime Jean-François Savard, interrogé par Radio-Canada.
Le Canada n'est pas encore sorti de sa relation paternaliste avec les peuples autochtones.Jean-François Savard, spécialiste des questions autochtones au Canada
Au Canada, la tuberculose n’existe quasiment plus. Sauf dans le nord, au Nunangat, où vivent les communautés inuits. Ces populations sont largement touchées par la maladie en raison du manque d’accès aux soins, des logements surpeuplés et de la méfiance désormais envers le personnel de santé canadien. Le gouvernement a promis d'éradiquer ce fléau d'ici 2035, en soignant les malades sur place.