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Code du travail : de quoi parle-t-on ?

Pour la seconde fois en un an, le code du travail français est remanié dans le sens de son affaiblissement. Malgré des mois de débats et de pédagogie gouvernementale, l'opinion reste réticente à cette réforme qu'Emmanuel Macron a voulu prioritaire de son quinquennat. De quoi le code du travail est-il le nom, l'emblème et l'enjeu ?

Il sera, une nouvelle fois, le héros de l'été et la vedette de la rentrée. Il fut le cauchemar du dernier quinquennat finissant et, malgré une victoire à la Pyrrhus sur la rue et l'opinion par voie de 49.3, in fine le tombeau du gouvernement socialiste.

Le code du travail est un sujet qui fâche. Que son inflammable remaniement soit le premier combat d'un nouveau pouvoir se réclamant du consensus peut sembler paradoxal. A moins qu'il ne soit politiquement considéré, tacitement et symboliquement, comme la mère de toutes les batailles.

Une si longue histoire

Ni son édification ni son contenu ne sont pourtant une œuvre ou un projet incendiaire. Apparu sous ce nom en 1910, le code du travail n'est alors rien d'autre que la compilation et mise en forme de dispositions remontant parfois à des siècles.

Loin d'être un temps de non-droit, l'ancien régime – moyen-âge inclus - fourmille de coutumes établissant, souvent de façon minutieuse, les usages des corporations qui se renforcent et se complexifient au fil du temps.

Largement inspirée et dirigée par la bourgeoisie, la Révolution française s'efforce de réduire ce que l'on ne nomme pas encore les « conquêtes sociales », au nom – déjà - de la « liberté » et de l' « intérêt général » et … contre les blocages : « il ne doit pas être permis aux citoyens de certaines professions de s'assembler pour leurs prétendus intérêts communs », lance en juin 1791 à la tribune de l'Assemblée Isaac le Chapelier, qui laissera son nom à une loi proscrivant pour longtemps l'idée même de syndicats ou d'intérêts spécifiques des travailleurs.

L'Empire confirme sans surprise cette orientation. Napoléon institue un Code civil (1804), un Code pénal (1810) mais nul code du travail. La monarchie restaurée s'en gardera bien également.

En généralisant le travail salarié, la révolution industrielle imposera pourtant, par la force des choses parfois – nécessité de santé publique, bon sens, plus souvent luttes de ce que certains commencent à nommer « classe ouvrière » - de nouvelles codifications qui s'inscrivent dans le droit.

On met des entraves inutiles, trop étroites, nuisibles surtout aux intéressés qu'on veut défendre.Henri Schneider, évoquant en 1892 les limitations au travail des enfants

Le travail des enfants de moins de huit ans est interdit en 1841 ; les Prudhommes composés par collèges salariés-patrons institués en 1853 ; le droit de grève reconnu en 1864 ; l'inspection du travail créée en 1874 ; la liberté syndicale reconnue en 1884. Le repos hebdomadaire est arraché en 1906 à l'issue d'une crise sociale provoquée par la catastrophe minière de Courrière (1099 morts).
 

Fernand Cormon, <em>Une forge</em>, 1893, huile sur toile, musée d'Orsay
Fernand Cormon, Une forge, 1893, huile sur toile, musée d'Orsay

Vieille revendication du siècle précédent, la journée de huit heures n'est obtenue qu’en 1919, dans un contexte de pénurie de main d’œuvre. Les congés payés, la semaine de quarante heures et les conventions collectives sont légalisés en 1936 par le gouvernement de Front populaire, sous la pression d'une grève générale…

Chaque avancée fait l'objet d'une âpre résistance des possédants, relayés par leur presse. Le repos dominical entraînera, dit-on, les ouvriers dans l'oisiveté, la boisson et la dépravation. Les congés payés sont une aberration inspirant l’ironie : « ils veulent qu'on les paye pour se reposer ».

Mais le plus souvent, on oppose à ces lois jugées – déjà – génératrices de blocages la logique du progrès, la concurrence, l'intérêt général voire celui des victimes. Évoquant en 1892 la loi sur le travail des enfants, le patron des aciéries du Creusot Henri Schneider s'agace : « on met des entraves inutiles, trop étroites, nuisibles surtout aux intéressés qu'on veut défendre ».
 

Un édifice complexe

 
Le code du travail est fait de sueur, de larmes et de sang : chaque article, chaque alinéa, chaque décret, chaque arrêté résulte de combats et d’âpres négociations, d’accords minutieux ou de votes contestés au Parlement ; il a souvent été rédigé à la virgule près.Gérard Filoche, inspecteur du travail
 

Œuvre d'édition plus que révolution législative, le Code du Travail répond à l'origine au besoin croissant de juristes de retrouver dans un corpus spécifique des textes trop épars.
 

Le ministre du travail René Viviani<br />
<sub>Wikipedia</sub>
Le ministre du travail René Viviani
Wikipedia

Il est officiellement institué par la loi du 28 décembre 1910 mais ne comprend alors que son Livre I, consacré au contrat de travail et composé de 300 articles.

Encore son adoption, défendue par le ministre socialiste René Viviani– co-fondateur du journal l’Humanité – est-elle durement critiquée : « Vos lois sociales coulent une industrie déjà fragile , sindigne le sénateur de droite Eugène Touron, rapporteur de la commission des finances. (…) Les lois sociales dressent les ouvriers contre les patrons alors que les premiers ont besoin de la réussite des seconds pour vivre ».

Un siècle plus tard, le code du travail compte huit livres et, s’indignent ses détracteurs, près de 10 000 articles et sous-articles. Son objet n’en est pas moins de nature constante, précisé par son article 120~3 : donner des contreparties au « lien de subordination juridique permanent à l’égard de l’employeur » qui caractérise tout contrat de travail.

Cet édifice, souligne l’ancien inspecteur du travail Gérard Filoche représente « l’expression des rapports de force sociaux à travers des décennies, une co-construction historique exceptionnelle, salariés et patrons, propre à notre pays »(...) Il est fait de sueur, de larmes et de sang : chaque article, chaque alinéa, chaque décret, chaque arrêté résulte de combats et d’âpres négociations, d’accords minutieux ou de votes contestés au Parlement ; il a souvent été rédigé à la virgule près.».

« Co-construction » tout de même inégalement désirée, il est régulièrement brocardé par nombre d’employeurs qui en dénoncent la lourdeur, la complexité et la rigidité : « Il est insupportable de constater que la liberté de penser s’arrête là où commence le Code du travail », se plaint un jour Laurence Parisot, alors présidente du MEDEF (1). « Un monstre difforme qui fait honte à regarder » concédait un juriste aujourd’hui disparu qui ne le défendait pas moins, Gérard Lyon-Caen.

Terrain miné

Le "monstre" a bien connu plusieurs refontes, la dernière datant de 2008. Sachant le terrain risqué, les gouvernements de droite reculent devant une remise en cause rêvée par nombre des leurs. En pleine mutation économico-politique et désireuse de séduire un patronat qui s’obstine à la mépriser, la gauche s’y engage.

Début 2016, l’ancien Garde des sceaux de François Mitterrand Robert Badinter, chargé d’un rapport, propose une réforme de simplification, théoriquement à « droits constants ». Supposé consensuel, le projet est vite recouvert par le tumulte de la Loi Travail (dite aussi Loi Khomry) présentée dans sa foulée par le gouvernement socialiste de Manuel Valls.

Manifestation contre la<em> Loi Khomry </em>à Paris, juin 2016<br />
<sub>(AP Photo/Laurent Cipriani)</sub>
Manifestation contre la Loi Khomry à Paris, juin 2016
(AP Photo/Laurent Cipriani)

Au motif de favoriser l’emploi, celle-ci revient sur plusieurs dispositions considérées par les uns comme des « freins à l’embauche », par les autres comme des « acquis » sociaux. Parmi elles, la latitude de condamnation des prudhommes et plus encore la prééminence du code du travail sur les accords d’entreprises et de branches.

Une grande partie des syndicats de salariés (CGT, FO, SUD, Solidaires ...) s’y oppose vivement, organisant durant plusieurs mois une résistance émaillée de grèves et manifestations.

Le mouvement reste circonscrit mais l’hostilité à la réforme est partagée par la majorité de l’opinion, relayée par une partie des ...députés socialistes supposés la soutenir. La Loi Khomry est finalement adoptée par l’emploi du « 49.3 » (2) mais le Parti socialiste au gouvernement en sort profondément divisé. Touchant à un sujet plus sensible encore qu'il ne l'avait mesuré, le conflit sera l’un des déclencheurs majeurs de son éclatement, quelques mois plus tard.

Message

Parvenu au pouvoir sur ses ruines et particulièrement instruit du danger, Emmanuel Macron, pourtant, ne craint pas de reprendre l’offensive envers un code du travail qui « n’est fait, estime sa ministre du travail Muriel Penicaud, que pour embêter 95 % des entreprises et sanctionner les 5% qui ne se conduisent pas dans les règles» (3).

Emmanuel Macron lors de son entrée au Congrès de Versailles, le 3 juillet 2017<br />
<sub>(Etienne Laurent/Pool Photo via AP)</sub>
Emmanuel Macron lors de son entrée au Congrès de Versailles, le 3 juillet 2017
(Etienne Laurent/Pool Photo via AP)

Sa réforme, – par ordonnances, qui permettent d’accélérer la procédure – figurait au programme du nouveau chef de l'Etat. Sa large majorité parlementaire – dans laquelle les chefs d’entreprises sont particulièrement représentés - lui en donne les moyens même si l’affaire n’est toujours pas dépourvue de risques.

L’abstention majoritaire des Français laisse, pour  le moins, planer un doute sur leur adhésion totale aux approches macroniennes et un sondage récent confirme leur attachement – croissant - aux droits sociaux (4).

Si l’on connaît aujourd'hui les contours de la réforme qui en font une accentuation de la loi Khomry – nouvelle dévaluation de la loi au profit des accords d’entreprises et de branches, en particulier ; plus de souplesse de licenciements ... -, son contenu exact n’est pas encore officiellement finalisé. S’agira t-il d’une révolution complète ? La situation de l’économie et de l’emploi en sera t-elle transfigurée ? Là n’est peut-être pas l’essentiel.

Une récente enquête de l’INSEE (institut national de la statistique) souligne que les « rigidités » de la loi sont loin d’être le premier souci des chefs d’entreprises ni le premier frein à l’embauche. La facilité accrue de licencier a donc peu de chance de réduire spectaculairement le chômage. A l'inverse, certaines catastrophes prédites par les adversaires de la réforme peuvent paraître exagérées dans le court terme. Les salariés français ne se retrouveront pas subitement à l’automne prochain dans un far-west social, brutalement privés de toute protection légale.

Le code du travail, qui avait jusqu’alors constamment étendu sa protection des salariés n’en reculera pas moins dans son champ et son universalité, au nom de considérations (« réalités ») locales, économiques ou subjectives désormais prééminentes. Nul « acquis » n’est plus acquis, pas même … ce que la loi garantissait.

Au delà des effets immédiats incertains de cette remise en cause, le message – éminemment politique – de la première mesure emblématique du quinquennat apparaît à cet égard considérable en lui-même.

Sa fermeté même, contre une grande part de l’opinion voire une frange de l'électorat macronien, donne pour les années à venir la tonalité d’une approche inversée des rapports sociaux. Là réside sans doute l'« urgence » de la réforme et son caractère, du point de vue du nouveau pouvoir, non-négociable dans son principe.

                                                                                ♦

(1) Organisation patronale. Assemblée générale du 18 janvier 2005.

(2) Le 49.3 est une procédure constitutionnelle française de la Vème République qui permet l’adoption d’une loi sans majorité parlementaire si aucune motion de censure (impliquant la chute du gouvernement) n’est adoptée à la majorité absolue.

(3) Le Club de l’économie du Monde, le 30 juin 2017

(4) 48 % des Français (+ 5 points en un an) estiment qu’il faut renforcer la protection des salariés contre 44 % ( - 7 points) qui assurent qu’il faut donner plus de flexibilité au marché du travail. Enquête Sopra-Steria-Ipsos publiée par le Monde du 3 juillet 2017.