
«Nous allons convaincre le président Hollande et le gouvernement socialiste qu’il est absolument indispensable qu’il accepte enfin d’admettre que la compétitivité de la France est un objectif majeur» affirmait le président de l’UMP Jean-François Copé, il y a quelques jours. Alors que le tour de France bat son plein, la compétitivité n’a jamais été aussi présente dans les discours de l’opposition. On imagine facilement chaque pays sur son vélo de course, l’Allemagne en maillot jaune et la Grèce en sueur sur sa bécane usée, suivie de près par la voiture balais. C’est sûr, la compète, ça parle. Mais en économie, ça veut dire quoi ? A l’origine, la notion de compétitivité s’applique exclusivement aux entreprises. Elle désigne la différence des prix de revient de produits comparables entre les entreprises. Deux entreprises se battent pour des parts de marché au détriment l’une de l’autre, et leur compétitivité se mesure en fonction de leurs coûts - en capital, en travail, en impôts etc. Entre deux entreprises, tout autre facteur constant, la plus compétitive sera donc celle dont la main d’œuvre est la plus flexible et la moins chère.

La concurrence des nations

Si c’est bon pour l’entreprise, c’est bon pour tout le monde L’idée selon laquelle la logique entrepreneuriale s’applique aussi bien aux nations qu'aux individus n’est pas nouvelle. Elle est l’héritage direct des théories évolutionnistes de l’un des fondateurs du libéralisme, Herbert Spencer. Le philosophe anglais du XIXème siècle opère une extension du principe de la division du travail à l’ensemble des réalités physiques, biologiques, et humaines, et il en fait un principe de la marche universelle de la matière et de la vie elle-même. On connaissait le "conflit père de toute chose", Spencer impose la concurrence comme principe vital. Partant de cette idée, il réinterprète la théorie darwinienne de la sélection naturelle à sa manière et l’intègre dans sa synthèse évolutionniste. Ce parallèle le conduit tout droit à une déformation profonde de la théorie de la sélection, dans la mesure où ce n'est plus l’héritage sélectif des caractères les plus adaptés à la survie de l’espèce qui importent, mais la lutte directe entre races et entre classes qui était interprétée en termes biologiques. D’où l’assimilation de la concurrence économique à une lutte vitale générale, qu’il faut laisser se développer pour ne pas arrêter l’évolution. Ce naturalisme extrême a fait passer la conception du moteur du progrès de la spécialisation à la sélection. Entendez par sélection, la « survie des plus aptes » (survival of the fittest).
L’évolutionnisme spencérien conclut abruptement que le progrès de la société et, plus largement, de l’humanité, suppose la destruction de certaines de ses composantes. Une idée sur laquelle s'est largement appuyé le néolibéralisme, alors même que l’évolutionnisme biologique a été abandonné depuis longtemps. Et c’est bien dans l’idée de compétitivité, intrinsèquement liée à celle de concurrence, que se joue aujourd’hui l’évolutionnisme spencérien. Malheur aux vaincus de la compétition économique !

Une autre compétitivité Investir publiquement dans le soutien à l'innovation, dans une éducation de qualité, sont autant de facteurs qui pourront réconcilier les intérêts de nations et ceux de leurs entreprises. Au contraire, sacrifier certaines règles de protection de l'environnement ou des salariés risque de voir se creuser le fossé entre les nations et les entrepreneurs au profit, de court terme, des seconds.
En fait, la compétitivité est avant tout une affaire de facteurs. Reste à accepter que ceux qui alimentent la compétitivité d’une entreprise ne sont pas les mêmes qui enrichissent une nation. La commission Stiglitz , du nom de son président, le prix Nobel d’économie (2001) Joseph Stiglitz, a élaboré de nouveaux indicateurs de richesse, avec l'appui de l'OCDE qui tente aujourd'hui de les développer et de les appliquer. A cet égard, un territoire, un pays, peut être compétitif en mettant en avant les énergies renouvelables, l’accès à la culture, la qualité des services publics, le respect des personnes… Ces facteurs qui renouvellent la manière dont on évalue le bien-être peuvent être des soutiens actifs de nouvelles formes de concurrence entre les entreprises. En effet, le recours au travail des enfants, la contribution à la pollution sont autant de "décotes" pour la compétitivité de certaines entreprises alors même que leurs coûts sont très compétitifs. Ils inscrivent un renouvellement de la pensée de la concurrence et la nécessité de "voir plus loin" que les simples profits à court terme. Une revanche finalement, des théories Darwinistes pour lequel la prévalence d’ « instincts sociaux » capables de neutraliser les aspects éliminatoires de la sélection naturelle, et le sentiment de « sympathie » était appelé à s’étendre indéfiniment.
