Les effets de la politique économique de la zone euro ne sont pas très positifs en 2015, malgré les annonces d'une meilleure croissance du PIB (Produit intérieur brut) qui signerait un début de reprise.
La dette des pays membres de la zone euro se situe autour de 92% du PIB, et a augmenté de 1% d’une année sur l’autre. La moyenne des déficits, quant à elle, a baissé.
La Commission de Bruxelles se félicite de cette dernière annonce, et pourtant, la situation des pays les plus touchés par la "crise des dettes souveraines" ne s’améliore que très peu, quand elle ne se détériore pas. De l'Allemagne au Portugal, en passant par la France, la Grèce et l'Italie, bilan des économies les plus sensibles de la zone euro.
Allemagne : le géant aux pieds d'argiles
Si la Chine éternue, l'Allemagne s'enrhume. C'est ainsi que l'on pourrait résumer le problème économique actuel de "l'atelier de l'atelier du monde", comme certains s'amusent à appeler la première économie d'Europe.
Les comptes publics allemands sont positifs, et la dette se situe à "seulement" 74,7% du PIB, avec une balance commerciale extérieure excédentaire de 18 milliards d'euros (0,6% du PIB), une croissance supérieure aux autres pays en 2014. Pourquoi donc s'inquiéter du colosse germanique ? Parce que l'économie allemande repose pour une part bien trop grande sur ses exportations, et plus précisément, vers des pays hors-zone euro, comme la Chine. Si des pays "clients" de l'Allemagne ralentissent, celle-ci ralentit avec eux. C'est ce qu'il est en train de survenir.
Les investissements publics ont été sacrifiés pour atteindre les critères de Maastricht (déficit inférieur à 3%) et les salaires sont gelés depuis des années. La nécessité de relever les salaires se fait sentir, doublée de gros problèmes d'infrastructures trop vieilles (routes, ponts, chemin de fer) qui pénalisent les investissements, la productivité — et à terme — la compétitivité allemande.
La croissance est donc entièrement dépendante des exportations en Allemagne, et c'est là son talon d'Achille. L'année 2015 révélera-t-elle que le géant germanique tant envié, avait des pieds économiques d'argiles ?
Espagne : reprise artificielle ?
Malgré une croissance de 1,4% — bien meilleure que de nombreux autres pays de la zone euro — l'Espagne a vu sa dette augmenter en 2014, pour atteindre 97,7% du PIB. Pour mémoire, la dette publique espagnole était de 36% en 2007. Le chômage recule un peu sur la péninsule ibérique à 23,7% (contre 25,7% en 2013), mais reste l'un des plus hauts de la zone euro et de l'Union européenne, juste derrière la Grèce.

L'Espagne a plongé très bas avec l'éclatement de sa bulle immobilière, l'écroulement de ses banques et leur renflouement. La reprise tant vantée par le chef de l'Etat espagnol est à prendre avec des pincettes : les crédits à la consommation sont de retour, annonçant un endettement privé qui pourrait de nouveau générer une bulle. Les banques espagnoles sont de plus en plus généreuses grâce à l'assouplissement monétaire (Quantitative easing, QE, lire notre article) de la BCE, ce qui fait dire à de nombreux analystes que le début de reprise espagnole n'est pas d'une solidité à toute épreuve.
La majorité d'entre eux s'accorde aussi pour dire "qu'il faudra une décennie à l'Espagne pour retrouver son niveau d'avant crise", tant du côté du chômage que du dynamisme économique.
Italie : réformes et dette en augmentation
L'Italie, fait partie du club des pays "à plus de 100%", c'est-à-dire avec… 132% de dette publique en 2014. Celle-ci était de 128,5% l'année précédente. Le ministre de l'Economie italien se félicite pourtant, que du côté de la Commission européenne, on reconnaisse la "mise en place d'une stratégie de réduction de la dette qui tient compte des circonstances exceptionnelles, de la crise, en faisant en même temps un effort significatif sur les réformes structurelles".
L'année 2014 reste en tout cas très négative pour l'économie italienne, en récession (-0,4% du PIB), et avec un chômage en augmentation à 12,7%. Il y a un début de création d'emplois en Italie après ce premier trimestre 2015, mais il est avant tout fait de contrats à durée déterminée et de temps partiels non-choisis.
Le déficit italien s'élève à 3%, juste dans la limite exigée du pacte de stabilité. L'économie italienne semble toujours à l'arrêt, et hormis la baisse des dépenses publiques, que Bruxelles approuve et incite à continuer, tous les autres indicateurs sont dans le rouge. Les réformes structurelles ne semblent pas — pour l'heure— aider à relancer l'emploi, la croissance et faire baisser la dette publique.
Portugal : une économie post-récession moribonde
L'austérité portugaise a été très forte depuis 4 ans, comme en Grèce. Si l'année 2014 a vu la croissance économique revenir un peu au Portugal, c'est de façon aléatoire, par à-coups. A peine 1% au final, avec des trimestres négatifs et d'autres positifs. La perte de croissance économique a été dramatique entre 2010 et 2013 : -5,8% du PIB.
La Commission européenne exigeait un déficit de 4% en 2014 (en échange des prêts accordés au pays), mais elle a dû se contenter de 4,5%. Le chômage baisse, de 17 à 14%. Mais avec un fort taux d'émigration, c'est un exode des travailleurs qui est à l'œuvre plutôt qu'une reprise économique réelle par la création d'emplois.
La dette portugaise est, elle, toujours très élevée : 130,2%, alors qu'elle était de 129,7% en 2013 et de… 68,4% en 2007. Le Portugal est très certainement en "rattrapage intérieur" comme le soulignent des économistes. Après plusieurs années d'austérité, le rattrapage signifie que lorsque l'austérité diminue, les populations se mettent à consommer de nouveau un peu plus. Reste que le désinvestissement massif de ces dernières années ne laisse pas encore entrevoir un retour de l'activité économique passée.
Grèce : bras de fer pour une autre politique économique
La Grèce sort de 4 années d'austérité et de récession sans commune mesure en Europe. Les réformes voulues par Bruxelles de baisse des retraites, de coupes budgétaires dans les services publics, de réduction des salaires, laissent le pays dans une situation économique et sociale excessivement délabrée.
En 2014, la Grèce a renoué avec une croissance de 0,6% mais en comptant le recul cumulé de 25% de son PIB en 5 ans, cette embellie est mineure. La dette grecque est toujours la plus élevée de la zone euro atteignant 177,1% du PIB (pour 175% en 2013).
Le déficit a lui, été ramené de 12,3% à… 3,5%. Pour le chômage, à 25,7%, il reste le plus élevé de la zone euro. Le nouveau gouvernement d'Alexis Tsipras cherche une autre voie que celle des réformes demandées par Bruxelles (via des privatisations et de nouveaux efforts et des coupes dans les dépenses pour redresser le pays), mais le manque de liquidités bancaires joue en sa défaveur.
Ce que l'économie grecque doit devenir dans les années qui viennent reste difficile à envisager pour les économistes, avec la possibilité d'un défaut sur la dette menant potentiellement à une sortie de l'euro du pays. Ou bien une annulation, au moins partielle de cette même dette, comme le souhaitent certains économistes ? (Lire l'interview en fin d'article de Dany Land, du Collectif des économistes atterrés).
France : chômage, dette, et croissance faible
Le déficit français baisse un peu en 2014, à 4% du PIB, au lieu de 4,1% du PIB en 2013 — ce qui est moins bien que ce qui est demandé par la Commission européenne — mais la dette ne cesse pour autant de grimper : 95% du PIB.
Le chômage continue lui aussi d'augmenter : de 10,1% fin 2013, alors qu'il était à 10,5% en décembre 2014 et de 10,6% en fin de premier trimestre 2015.
La croissance en 2014, à 0,4% revient très lentement en France, mais elle semble plus entraînée par la baisse du pétrole et de l'euro que d'une véritable reprise économique.
Les investissements des entreprises sont toujours très faibles, et les mesures de relance par la baisse des charges, de rigueur budgétaire ne semblent pas agir sur la dynamique générale. Les prévisions pour 2015 s'établissent entre 1 et 1,2% de croissance. La reprise n'est pas encore pour cette année…
Entretien avec Dany Lang, maître de conférences en économie à l'Université de Paris 13, et responsable du groupe de travail "Analyses et modélisations Post-Keynésiennes" du Centre d'Economie de Paris Nord (UMR CNRS).

De quoi est faite la reprise, faible, de croissance dans la zone euro, à quoi est-elle due ?
Dany Lang : Cette croissance, même faible, est une bonne nouvelle parce que vues les politiques menées, on pouvait plutôt s’attendre à une déflation. Mais il faut voir qu’ailleurs dans le monde, il y a d’autres ensembles qui ont mené des politiques bien plus expansionnistes. La Chine, les Etats-Unis particulièrement.
Il faut regarder plus précisément quelle est la part liée aux exportations dans cette reprise de croissance, particulièrement les exportations, vers les pays hors de l’Europe, qui ne pratiquent pas cette politique d’austérité. Si on parle de l’Espagne, avec une croissance tirée par la consommation des ménages qui s’endettent plus, on est reparti dans des schémas d’avant crise. Si la consommation des ménages repart avec de l’endettement, c’est un endettement qui est en réalité fait pour compenser la faiblesse des salaires. Avant la crise, les pays du sud profitaient des bas taux d’intérêt pour s’endetter et consommer, et c’est quelque chose qui n’est absolument pas durable.
Si une reprise de croissance se confirmait dans la zone euro, à au moins 1,5%, pourrait-on compter sur un redémarrage de l’emploi, d’une baisse conséquente du chômage, de la précarité, de la pauvreté, etc… ?
D.L : Il faut déjà dire que la relation croissance-emploi est une relation de court terme. Pour le moyen terme, c’est plutôt une relation croissance-productivité et temps de travail qui apparaît. Le chiffre de 1,5% ne me paraît pas très sérieux, ça me paraît extrêmement bas pour voir de la création d’emplois se faire. Mais, il est vrai que quand la croissance dépasse un certain seuil, il y a des créations d’emploi, et ce seuil est beaucoup plus bas aujourd’hui qu’il n’a été autrefois. Je dirais plutôt 1,7 ou 1,8%, mais il faut regarder aussi quelle est la qualité des emplois. Il ne suffit pas de créer n’importe quels emplois, comme des contrats 0 heure, du temps partiel contraint, pour dire que la situation des individus s’améliore.
D.L : Il y a des choses un peu absurdes dans ces calculs, parce que la dette c’est un stock, accumulé depuis le départ, et le PIB, c’est un flux sur une année. Donc, ce calcul n’a pas de sens pour moi, parce qu’on divise un stock par un flux. Un peu comme si on disait à un ménage parisien qui gagne 36 000 euros par an et qui achèterait un appartement à 200 000 euros : « on divise 200 000 par 36 000, et on dit que vous êtes endettés à 550% » !
Le ratio déficit sur PIB a un peu plus de sens parce que c’est un flux sur un flux. Pour la dette, il y a un problème de recettes. Le gouvernement, lorsqu’il est arrivé au pouvoir a augmenté les impôts et comptait recueillir plusieurs milliards en plus, mais il en a recueilli nettement moins que prévu, ce qui est normal, puisqu’en récession les ménages consomment moins, les entreprises ferment, et donc il y a moins de rentrées fiscales.
Certains parlent de "bulle obligataire", accentuée par le "quantitative easing" de la BCE, pouvant mener à un nouvelle crise bancaire, pouvez-vous nous dire ce qu’il en est ?
D.L : Le Quantitative easing est allé essentiellement sur les marchés financiers plutôt que vers l’économie réelle, parce que les entreprises n’investissent pas. Ceci dit, baisser les taux d’intérêt a du sens en période de récession, et nous avons beaucoup attendu pour le faire par rapport aux Américains. Mais rien n’a été réglé sur les marchés financiers, et tout peut repartir en « bulle » et exploser comme ça s’est produit avec la crise de 2008. On a l’Union bancaire, mais ça ne résout rien. Il y a quatre banques systémiques en France, on n’a pas séparé les banques de dépôt des banques d’investissements, on n’a pas résolu tous les mécanismes qui peuvent mener à des crises majeures. A un moment ou un autre, le système va craquer quelque part. Il n’est pas certain, par contre, qu’on vienne nous avouer ensuite que c’est à cause du Quantitative easing.
Les économistes atterrés, dont vous faites partie, préconisent une autre politique économique que celle menée par les instances européennes. Quelle serait-elle aujourd’hui ?
D.L : Notre nouveau manifeste des économistes atterrés propose plusieurs chantiers, mais pour résumer, le premier point est qu’il faudrait une politique qui tienne compte du fait qu’il y a une vraie crise écologique et qu’il faut la prendre au sérieux. La transition écologique n’est pas un luxe mais une nécessité. Le gouvernement le fait un toute petit peu, mais il faudrait le faire massivement : isoler les logements sociaux, aider les ménages qui en ont les moyens à isoler leur logement, favoriser le ferroutage, etc…
Nous pensons que le plein emploi est possible, pas avec des petits jobs ou des emplois précaires mais des emplois de qualité. C’est possible en mettant le paquet sur la transition écologique qui créera des milliers d’emplois, ainsi qu’avec la réduction du temps de travail.
Ça peut paraître étrange pour quelqu’un comme moi qui est keynésien, mais il faut avouer qu’en 30 ans c’est la seul politique qui ait véritablement créé des emplois, de 350 000 à 500 000 emplois. Mais ça ne passe pas forcément pas une baisse de la durée légale du travail, puisqu’on sait que malgré une durée légale de 35 heures en France, nous travaillons plus que les Allemands ou les Néerlandais.
Cela passe donc par la formation tout au long de la vie, l’extension des droits des jeunes parents pour s’occuper de leurs enfants, une retraite à 60 ans pour les gens qui ont travaillé 40 ans : toutes ces mesures sont une manière de réduire le temps de travail. Il n’y aurait pas besoin d’investissements publics démesurés pour financer ou accompagner ces mesures, puisque plus « ça va mal », plus les multiplicateurs sont élevés.
On peut penser qu’actuellement dans un certain nombre de pays ce multiplicateur est de 1,5 : pour un euro investi, il y a 1,5 euros qui rentre. Nous sommes donc dans une période où l’investissement public serait parfaitement adapté. Et puis, si l'on veut vraiment sortir de cette crise, il y a des pays comme la Grèce, dont la dette doit être au moins partiellement annulée, comme cela a été le cas de nombreuses fois par le passé pour d'autres pays européens.