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Economie mondiale : de quoi est faite la reprise ?

La politique monétaire expansionniste américaine fait tourner la planche à billets et relance l'économie (Photo AFP)
La politique monétaire expansionniste américaine fait tourner la planche à billets et relance l'économie (Photo AFP)

Les prévisions des grandes institutions d'analyse financière soulignent une accélération de la croissance économique mondiale en 2014. Quels sont les effets concrets de cette reprise ? De quoi est-elle constituée et qui va en bénéficier ? Deux économistes, Christophe Blot, de l'OFCE, et Jean-Luc Schneider, de l'OCDE, livrent leur analyse sur le sujet.

Janet Yellen, présidente de la la banque centrale américaine (FED) depuis novembre dernier
Janet Yellen, présidente de la la banque centrale américaine (FED) depuis novembre dernier
Le FMI revoit ses prévisions à la hausse pour l'économie mondiale en 2014 : pourquoi cette reprise de la croissance, plus particulièrement dans certains pays développés ? Christophe Blot : La première chose, c'est que la reprise en 2014 concerne avant tout la zone euro, qui était en récession. Les Etats-Unis, eux, n'ont pas été en récession cette année, ni l'année dernière, comme les pays émergents. Le redémarrage a eu lieu en 2010-2011, après la crise de 2009, mais il a été freiné par la récession européenne. La question est plutôt : est-ce qu'il y a reprise en Europe et accélération dans le reste du monde ? La réalité de la zone euro est qu'elle sort d'une récession et reste en quasi stagnation, avec une croissance très inégalement répartie. On peut penser que l'année 2014, au niveau européen, s'annonce mieux que 2013, mais avec un rebond de l'activité qui est très très faible. Côté américain, il y a une accélération de la croissance liée à une faible austérité et à une politique monétaire très expansionniste qui permet d'avoir des taux d'intérêts très bas, d'alimenter en liquidités le système financier et de desserrer les contraintes en matière de crédit, de logement et d'investissement. Mais avec des facteurs de risques qui ne sont pas négligeables. Jean-Luc Schneider : A l'OCDE, nous prévoyons une accélération progressive de la croissance mondiale pour 2014 et 2015 dans toutes les zones, excepté au Japon, mais avec quand même pour ce pays un retour de la confiance, et une activité sous-jacente. Le retour de la croissance est inégal, mais c'est aux Etats-Unis qu'il y a une accélération importante, comme au Royaume-Uni - une bonne surprise pour ce dernier. La zone euro progresse lentement, mais sort de la récession. La politique monétaire porte ses fruits aux Etats-Unis, et le stimulus de la politique de la FED (Banque centrale américaine, ndlr) va être réduit. L'ajustement budgétaire américain va être bien moindre cette année, ce qui va encore accélérer la croissance. La confiance revient progressivement, et c'est très important. C'est une confiance des consommateurs, des entreprises : le marché immobilier américain va bien et le chômage baisse. Tout ça va dans la bonne direction.
La FED a fêté ses 100 ans le 23 décembre dernier (Photo AFP)
La FED a fêté ses 100 ans le 23 décembre dernier (Photo AFP)
Le Japon a une politique monétaire très agressive, comme les Etats-Unis, mais il n'y a rien d'équivalent en Europe. Comment l'Europe peut-elle entamer une reprise économique ? J-L.S : Il y a plusieurs conditions à réunir en Europe pour permettre de faire baisser le taux de chômage, puisque c'est le fond du problème. La première condition, qui est en passe d'être réalisée, c'est que les besoins d'ajustements budgétaires se réduisent peu à peu, après des efforts importants effectués depuis 2011. Les dettes sont désormais sur des trajectoires qui paraissent soutenables, bien qu'il faille les ramener à des niveaux inférieurs, mais l'urgence est moindre. Donc, cela va moins peser sur la croissance de la zone euro. Le deuxième point est plus problématique : l'assainissement des institutions financières dans la zone euro est encore loin d'être achevé. La BCE et l'UE le savent puisque la revue de la qualité des actifs des institutions financières va être faite en 2014. Il faut qu'elle soit plus rigoureuse que ne l'ont été les deux opérations de "stress test" (test de la solidité financière des banques, ndlr) effectuées auparavant, de sorte que la confiance soit ramenée dans le secteur financier et que le crédit recommence à être distribué de façon plus normale qu'actuellement. Pour une vraie reprise, il faut de l'investissement, du crédit, un chômage peu élevé, et ces conditions ne sont pas encore réunies en Europe. C.B : Il faut voir les résultats pour le Japon, qui doit sortir de la trappe déflationniste dans laquelle il est enfermé, et vérifier que l'inflation devient régulièrement positive, pour savoir si cette politique marche vraiment. Dans l'Union européenne, il y a quand même un soutien monétaire qui tient au fait que la Banque centrale maintient son taux d'intérêt au plus bas possible à 0,25 %. L'idée est d'envoyer un message pour que cela joue sur les taux longs, pour les faire baisser, en annonçant qu'elle pourrait racheter de la dette. L'annonce seule a déjà aidé. Un levier est aussi d'atténuer l'austérité budgétaire. Des pays appuient sur le frein en faisant des réductions budgétaires, comme l'Espagne, le Portugal, la Grèce, et ces politiques freinent la demande, la consommation et  l'investissement. Les taux de chômage sont encore très élevés dans les pays de l'Union : une reprise économique est-elle obligatoirement signe de baisse du chômage ? C.B : C'est le bon point : pour parler de reprise, il faut qu'il y ait un mécanisme de reprise de l'emploi et de baisse de chômage. Pour cela, il faut une croissance suffisante. En 2014, la croissance ne sera pas assez forte pour qu'il y ait une baisse du chômage : les entreprises ont comprimé leurs marges, et quand la croissance reviendra, elles vont plutôt essayer de rétablir leurs marges. Elle réembaucheront donc progressivement, mais il faudrait qu'il y ait une croissance plus forte que celle que l'on attend. Il est prévu 1 % de croissance en 2014 en Europe. Ce n'est pas suffisant. J-L.S : Il faut des taux de croissance d'au moins 1,5 % dans la zone euro. Pour l'instant, on n'en est pas encore là. Il faudra une bonne année pour y parvenir, à mon sens.
La Chine, le “plus grand atelier du monde“, après un ralentissement en 2013 reprend des couleurs avec des exportations en hausse. (Photo AFP)
La Chine, le “plus grand atelier du monde“, après un ralentissement en 2013 reprend des couleurs avec des exportations en hausse. (Photo AFP)
Qu'est-ce qui tire aujourd'hui la croissance mondiale vers le haut ? J-L.S : Les Etats-Unis sont un moteur important. La reprise dans le secteur de l'immobilier américain joue beaucoup. Le Japon a aidé, après des années d'atonie, et le Royaume-Uni, lui aussi, a contribué à cette progression de la croissance, même si c'est moins important. La Chine a eu un trou d'air, mais elle en sort, et on attend que d'autres pays émergents viennent tirer la croissance vers le haut, après la faiblesse qu'ils on eu cet été. Il faut voir si la politique du "tapering" (réduction de la politique de la planche à billets, ndlr) aux Etats-Unis se fait calmement, et si c'est le cas, cela devrait bien se passer. C.B : Certaines zones de pays émergents, et les Etats-Unis. La Chine aussi, mais avec la politique monétaire américaine, on a vu, cet été, des craintes pointer, avec des mouvements de fuites de capitaux quand la Banque fédérale américaine a annoncé qu'elle allait limiter sa politique monétaire expansionniste. Certains pays peuvent être fragiles avec de forts déficits courants, comme l'Inde, ou avec l'alimentation de bulles, comme en Chine.
Le taux de croissance moyen de l'eurozone ne devrait pas dépasser les 1% en 2014 (Photo AFP)
Le taux de croissance moyen de l'eurozone ne devrait pas dépasser les 1% en 2014 (Photo AFP)
Les dettes publiques des pays de l'Union, comme l'Espagne, la France, l'Italie, ou encore le Portugal et la Grèce, continuent de croître malgré les politiques d'austérité : si reprise il y a, peut-on espérer une baisse des dettes publiques et un assouplissement des politiques d'austérité ? C.B : Pour l'austérité, non, puisque ces politiques ont été votées pour 2014. Mais ce qu'il peut se passer, c'est qu'un certain nombre de mesures ne soient pas mises en œuvre si l'on a des bonnes nouvelles. S'il y a une dépréciation de l'euro, un surcroît d'activité, plus de croissance aux Etats-Unis, avec plus de rentrées fiscales dans les pays de l'Union, on peut imaginer que des mesures de restrictions budgétaires soient annulées. Ce qui est important, c'est l'écart entre les taux d'intérêt pour rembourser la dette et le taux de croissance : si les taux d'intérêts sont supérieurs à la croissance, la dette augmente toute seule, plus vite que vos rentrées fiscales. Ce qui oblige à toujours plus d'austérité, comme en Italie ou en Espagne. Ce qui fait défaut dans la construction européenne, c'est ce manque de coordination entre ce que fait la BCE et les gouvernements de la zone euro pour amener des taux d'intérêts au niveau voulu. J-L.S : La réduction des déficits qui a eu lieu ces dernières années, dans tous les pays européens, et les mesures qui ont permis de l'obtenir doivent rester en place, être permanentes. Si la reprise survient, nous nous attendons à ce que la dette cesse d'augmenter dans la zone euro. Mais il faudra d'autres mesures de réduction des dépenses, d'efforts budgétaires pour faire baisser cette dette, la mettre sur une pente descendante. Ces efforts seront de moindre ampleur par rapport aux années précédentes, si toujours, la reprise envisagée survient. Si l'économie repart en 2014 en Europe, qui en profitera en premier lieu, et de quelle manière ? J-L.S : Quand on regarde les moteurs de croissance grippés, on sait que, côté ménages, ça peut prendre un peu de temps. Le niveau des investissements est encore bas, si ce niveau augmente on pourra alors penser que la confiance revient. Pour autant, il y a des risques : comment sera traité le système financier, et donc les banques en Europe, la fin du "quantitative easing" (l'assouplissement quantitatif, ndlr) aux Etats-Unis et les turbulences que cela pourrait provoquer ou non sur les marchés financiers, les pays émergents et leurs fragilités peu connues… Tout ça implique que des politiques très prudentes soient appliquées, avec des assurances contre ces risques. C.B : Si on regarde les ressorts de cette reprise, elle sera tirée plutôt par l'extérieur avec, pour conséquence, de l'exportation. Soit parce qu'un certain nombre de pays ont mis en place des stratégies de compétitivité avec des mesures précises, ou soit parce que le chômage est tel qu'il comprime les coûts salariaux. Donc au départ, ce seront les entreprises qui bénéficieront de la reprise. Les ménages, eux, sont contraints par les ajustements budgétaires, le niveau du chômage, et l'endettement. Particulièrement dans certains pays, comme l'Espagne ou l'Irlande, pour ce dernier point. Il faudra attendre un peu pour que les ménages en profitent. La seule exception, c'est l'Allemagne.