"Depuis des années, l'Education nationale interdisait l'utilisation officielle des services des GAFAM par ses services. Elle soutenait le développement d'espaces numériques du travail (ENT) sécurisés avec l'utilisation d'un pseudonyme pour accéder aux services des industriels (ressources numériques en ligne par exemple). Plus récemment encore, le ministère lançait le GAR, un service permettant d'anonymiser les usages des élèves. La lettre de M. Jeandron invite à utiliser des services comme Office 365 ou Google Classrooom et même à leur transférer les annuaires après déclaration à la CNIL."
La CNIL instrumentalisée ?
Je tiens à vous confirmer qu'il n'y a pas de réserve générale sur l’usage des outils liés aux environnements professionnels chez les grands fournisseurs de service du Web Mathieu Jeandron, délégué du numérique éducatif
Pour Mathieu Jeandron, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ne verrait pas de problème à ce que les données des élèves soient aspirées sans anonymisation par les géants du net. Son courrier le souligne, en évoquant les "CGU éducation" (Conditions générales d'utilisation propres à l'éducation nationale) : "Je tiens à vous confirmer qu'il n'y a pas de réserve générale sur l’usage des outils liés aux environnements professionnels chez les grands fournisseurs de service du Web (GAFAM et autres) dans la mesure où ils rentrent bien dans les services couverts par les conditions générales d’utilisation CGU "éducation"... Par ailleurs, je vous confirme qu’il n'y a pas de blocage juridique de principe à la connexion d'un annuaire avec l’un de ces services professionnels".
La précision sur cette "nouvelle compatibilité" des géants du net avec la CNIL a été confirmée par l'intéressé aux administrateurs du Café pédagogique : "Le contrat passé avec l'entreprise est protecteur au sens de la CNIL (…) On est protégé vis à vis des GAFAM quand on créé un compte sous le régime éducation. Celui qui crée le compte signe un contrat explicite qui est protecteur (…) Mais ces données sont conservées dans des conditions de sécurité acceptées au niveau d'un règlement européen".Isabelle Falque-Pierrotin, la présidente de la CNIL ne semble pourtant pas entièrement acquise à cette cause de CGU éducation, laissant les GAFAM stocker les données scolaires. Interviewée par l'etudiant.fr moins de deux semaines avant le mail de Mathieu Jeandron, Isabelle Falque-Pierrotin déclarait ainsi que "Le dossier scolaire n'est pas un dossier médical, mais il révèle énormément de choses sur les personnes et sur leur tempérament (…) Les acteurs de l'Éducation nationale sont dans une situation inconfortable vis-à-vis de ces grands acteurs économiques (les GAFAM, NDLR). Ils sont fortement sollicités, n'ont pas d'instructions extrêmement précises de la part de leur hiérarchie et sont donc largement laissés seuls face à leurs propres décisions. Le tout dans une situation de pénurie budgétaire très forte. Ce qui pousse certains enseignants à utiliser de façon spontanée certaines applications, certains outils, dans un vide juridique total."
Visiblement, les instructions de la hiérarchie viennent d'arriver, et elles laisseraient désormais toute latitude aux enseignants pour aller utiliser les applications des multinationales californiennes, connues pour leur gourmandise en terme de traitement et de revente des données personnelles. Même si celles-ci ont tenté de montrer patte blanche sur ce dernier sujet en améliorant leurs CGU éducatives, ouvrant potentiellement la voie de la destruction des ENT (Espace numériques de travail). Le rempart français contre la capitulation de mise à disposition des données scolaires aux multinationales, les ENT, ont-ils vécu ?
Les ENT et GAR sont morts, vive les GAFAM ?
On ne doit sûrement pas leur donner l'annuaire qui leur permettra de tracer les usages et les parcours ou encore de savoir combien il y a d'élèves arabes ou turcs et dans quels établissements.Un fonctionnaire anonyme du ministère de l'Education nationale
Cette surveillance et l'utilisation des données personnelles scolaires peut mener à des abus qui inquiètent les fonctionnaires de l'Education nationale, dont certains se sont confiés au journal en ligne : "On ne doit sûrement pas leur (les GAFAM, ndlr) donner l'annuaire qui leur permettra de tracer les usages et les parcours ou encore de savoir combien il y a d'élèves arabes ou turcs et dans quels établissements. On ne doit pas plus savoir ce qu'utilisent les professeurs en classe. Il faut lancer une alerte citoyenne."
L'affaire du partenariat public privé passé par l'Education nationale en 2015 avec Microsoft, sans appel d'offre, avait déjà fait grand bruit. La destruction des ENT et des GAR au profit de l'utilisation — sans garde-fous — des outils des géants du net, par les enseignants et les élèves, risque donc d'enfoncer le clou d'un traitement massif des données personnelles éducatives. Si ce mail devient une circulaire qui devient elle-même la règle, la souveraineté numérique éducative risque d'en prendre un coup, comme la protection de la vie privée…