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Etat islamique en Irak : quel rôle joue le pétrole ?

La raffinerie de Baïji, dans le nord de l'Irak, en 2003 (photo AFP)
La raffinerie de Baïji, dans le nord de l'Irak, en 2003 (photo AFP)

L'intervention militaire américaine débutée le 8 août dernier a pour objectif de protéger les minorités religieuses du Kurdistan irakien, massacrées par les djihadistes de l'Etat islamique. Cette intervention américaine tardive —au moment où les forces terroristes djihadistes parviennent dans cette partie de l'Irak très riche en pétrole —oblige au questionnement sur les enjeux pétroliers —centraux dans cette région du monde. Entretien avec David Rigoulet-Roze, chercheur rattaché à l'Institut français d'analyse stratégique (IFAS).

Le Kurdistan, province autonome depuis 2005 de la Fédération irakienne, possède de très importantes ressources énergétiques, dont le deuxième plus gros champ pétrolier irakien. Alors que la réunion des pays membres de l'Union européenne à Bruxelles a conclu que chacun d'entre eux pouvait ou non fournir de l'armement aux combattants kurdes, la question pétrolière semble laissée de côté, comme si cette contingence ne rentrait pas en compte dans le conflit. Pourtant, l'"or noir" a une importance sensible dans les enjeux en cours, ce que souligne David Rigoulet-Roze, spécialiste des questions énergétiques au Moyen-Orient, chercheur rattaché à L'IFAS et chercheur associé à L'IPSE (institut prospective et sécurité en Europe).

David Rigoulet-Roze : “La Turquie pratique un double-jeu en commercialisant du pétrole du Kurdistan comme de l'Etat islamique“

13.08.2014Propos recuillis par Pascal Hérard
David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Institut français d'études stratégiques
David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Institut français d'études stratégiques
Les ressources pétrolières du Kurdistan irakien rentrent-elles en compte, selon vous, dans l'intervention militaire américaine ? David Rigoulet-Roze : Il faut spécifier les différentes variables qui peuvent se superposer, mais qui ne sont pas forcément exclusives les unes des autres. Pour les États-Unis, c'est avant tout l'impératif affiché de la protection des ressortissants américains qui pourraient être menacés, notamment au Consulat général d'Erbil qui rentre en ligne de compte. Il y a ensuite les justifications morales, lesquelles ne sont pas négligeables, parce qu'il faut garder à l'esprit qu'il y a comme un syndrome du Rwanda qui joue dans l'administration d'Obama. Notamment pour la conseillère à la Sécurité nationale Susan Rice, très proche du président. Ce dernier a d'ailleurs déclaré que 'les États-Unis ne pouvaient pas détourner le regard dans une situation pré-génocidaire, notamment pour les Yézidis'. Cela n'empêche pas l'existence d'intérêts, et la question demeure posée de savoir si l'on interviendrait si ces intérêts n'existaient pas. Il existe en tout cas une ligne rouge pour les États-Unis qui a poussé Obama à intervenir, contraint par la situation : c'est la protection du Kurdistan. Ce n'est donc pas uniquement une question pétrolière, c'est la question stratégique de l'allié kurde au Moyen-Orient avec lequel les relations sont étroites et anciennes. Le Kurdistan est considéré comme un pôle de stabilité régionale pour les Américains. Il existe au Kurdistan un complexe fortifié américain de la CIA, le deuxième plus important d'Irak. Il est en développement et c'est un JSOC (Joint Special Operations Command, commandement des unités des forces spéciales des différentes branches de l'armée américaine, ndlr). Que représente le pétrole du Kurdistan irakien dans la région ? D.R-R : La question de l'autonomie du Kurdistan, de la viabilité d'un État kurde à long terme, voire à moyen terme, passe bien sûr par le contrôle de la ressource pétrolière au nord de l'Irak. Il y a une stratégie pétrolière kurde. Depuis janvier, il y a une exportation du pétrole du Kurdistan via des camions citernes vers la Turquie. Le gouvernement a décidé d'octroyer des concessions pétrolières à des entreprises étrangères (Exxon Mobil, Chevron, Total, ndlr) sans l'aval de Bagdad, avec l'ouverture d'un oléoduc partant de Tak tak [raffinerie dans la région d'Erbil, ndlr] avec une capacité de 100 000 barils jour vers la Turquie et pouvant monter jusqu'à 400 000 barils jour. Le deuxième pôle exportateur d'Irak, c'est le Nord, donc le Kurdistan. L'Irak unitaire est le deuxième pays de l'OPEP en terme de réserves pétrolières, après l'Arabie saoudite, avec une sous-utilisation de ce potentiel en raison de l'embargo de plus d'une décennie contre Sadam Hussein. La Turquie est impliquée commercialement avec le Kurdistan d'Irak : quel est son rôle, sa volonté aujourd'hui ? D.R-R : La Turquie a l'ambition de se présenter comme le "hub" (nœud central, ndlr) d'exportation de toutes ces ressources hydrocarbures, dont elle ne dispose pas en propre, pour les distribuer de façon multi-régionale. On peut noter d'ailleurs que les relations entre le gouvernement turc et les Kurdes d'Irak qui n'étaient pas excellentes, ne sont pas mauvaises aujourd'hui, justement pour des raisons pétrolières. La Turquie entretient des relations très ambigües avec plusieurs partenaires, voire joue une sorte de double-jeu : elle fait transiter du pétrole kurde à très bas prix (55$, soit presque deux fois moins cher que le prix mondial, ndlr), sans l'accord de Bagdad, mais laisse passer également du pétrole de contrebande par camions provenant des champs contrôlés par l'Etat islamique, autant ceux de Syrie que d'Irak ! Ce pétrole du Daesh (nom arabe pour l'EI, ndlr) est bradé, à 30$, et certains parlent même de 18 ou même 12$. L'Etat islamique est donc très intéressé par le pétrole dans la région ? D.R-R : Il y a clairement de la part du Daesh une stratégie pétrolière à double détente. D'abord pour assurer un certain nombre de ressources financières et payer les soldes des combattants et les salaires d'une pseudo administration, puisqu'il peut se présenter comme un "califat pétrolier". C'est assez net quand on regarde les zones qui ont été conquises du côté syrien et irakien. Certaines études anglo-saxonnes estiment à 1 million de dollars pour le pétrole irakien et 2 millions côté syrien. Ce serait l'équivalent de 100 millions de dollars par mois. La question qui se pose n'est pas seulement le montant de ces ressources, mais aussi la gestion qui en est faite et du 'management' qui en découle. Il y a une redistribution des cartes au niveau du pétrole, dans la région ? D.R-R : C'est incontestable, mais ça bouge en fonction des réalités militaires sur le terrain. Les frontières Sykes-Picot se sont effacées. Il y a un territoire de l'EI qui est en train de se mettre en place, qui est très problématique, mais qui a les moyens de ses ambitions. Entre les rackets, les impôts sur les minorités comme le jizya, la collecte auprès des croyants, le zakat, il y a là quelque chose de très important. L'EI a mis, en plus, la main quasi gratuitement, sur l'armement lourd militaire de l'armée irakienne et ils peuvent reconstituer leur stock sur le marché noir de l'armement. Il y a donc une stratégie du Daesh pour le pétrole, et qui n'est pas seulement économique, parce que pour faire rouler des tanks, il faut de l'essence et donc du pétrole raffiné. Et là, on touche à un autre problème, qui n'est pas uniquement la ressource, mais celui du raffinage. Ce qui permet de comprendre les objectifs militaires de raffineries de Tikrit et Baïji. Tikrit a été prise par l'EI, mais ce n'est pas le cas de Baïji qui est défendue bec et ongles par les Peshmergas (combattants kurdes irakiens, ndlr) et l'armée régulière. Cette raffinerie de Baïji, c'est plus de 300 000 barils-jour, ce qui correspondrait à peu près à un tiers du raffinage irakien…

Pétrole en Irak

L'homme qui voulait devenir calife

En terme iconographique, il semble bien moins pop star que son prédécesseur Ben Laden, et l'on ne connaît de lui que deux photographies d'identité. Relevant en grande partie du mystère, sa biographie même n'est que très partiellement connue. Son nom de guerre, Abou Bakr al-Baghdadi est un programme : Abou Bakr est le nom du beau-père du Prophète mais surtout premier calife de l'histoire, al Baghdadi (le Bagdadi) une référence implicite à la splendeur abbasside. Sans doute âgé d'environ 42 ans, le nouveau « calife Ibrahim » est né Ibrahim Ali al-Badr dans la ville de Samara, au nord de Bagdad. Radicalisé sous Saddam Hussein, il se rapproche dès avant sa chute de la mouvance d'Al-Qaïda et rejoint l'insurrection en Irak peu après l'invasion conduite par les États-Unis en 2003. Arrêté à cette époque, il aurait passé quatre ans en détention avant d'être remis en liberté pour une raison inconnue. Donné pour mort un moment, il réapparaît bien vivant en Syrie en mai 2010 à la tête de l’État islamique en Irak (ISI), la branche irakienne d'Al-Qaïda. Il élargit ses activités à la Syrie voisine, rejetant l'ordre du chef d'Al-Qaïda Ayman Zawahiri de se concentrer sur l'Irak et de laisser la Syrie au Front Al-Nosra, un groupe jihadiste combattant contre le régime de Damas. En avril 2013, Baghdadi annonce une fusion entre l'ISI et les combattants d'Al-Nosra pour former l'EIIL, mais ces derniers ont refusé d'adhérer. Les deux groupes ont commencé à opérer séparément, avant de s'affronter directement à partir de janvier en Syrie. Au sein de l'EIIL, il est salué comme un commandant et un tacticien présent sur le champ de bataille, contrairement à Zawahiri, son ancien supérieur et actuel rival, sur qui il prend de plus en plus l'avantage dans les sphères jihadistes.