Plus de 200 entrées avec un seul dénominateur commun : aucun des mots du Dico des mots qui n’existent pas ne figurent dans les sacro-saints Robert, Larousse et autres dictionnaires de référence. Un petit livre bleu qui démontre avec un humour qui frise parfois la dérision que le français n’est pas figé et que la langue est aussi un processus évolutif.
Au départ, il y a eu un dîner entre copains. "Tu reveux du pain ?" s'entend demander Gilles Vervisch, professeur de philosophie à Rouen. "Du verbe 'reveuter' ?" ne peut s'empêcher de rétorquer l’agrégé. A force d’en lire et d’en entendre chaque jour au lycée, il a développé une hypersensibilité à ces fautes de français qui, à force d’exister, n’en sont plus vraiment. "J’ai tout d’abord songé à tous ces mots en re- que l’on met à toutes les sauces - revoter, redensifier, réjuvénation... Peu à peu, je me suis intéressé à cette langue somme toute assez pratique, mais qui n’est répertoriée nulle part," explique l'agrégé de philosophie.
Puis arrive 2008 et Nicolas Sarkozy 'se représidentialise' et Gilles Vervisch trépigne. Avec son vieux copain de lycée Olivier Talon, il décide de passer à l’action. "Ça a commencé par un blog, qui a suscité beaucoup de réactions positives. Et puis plutôt que de continuer à ricaner au café du coin, nous avons voulu faire du concret," se souvient-il. Le Dico était né. Pendant six mois, tous deux épluchent les journaux, fouillent sur Internet, zappent sur toutes les chaînes de télévision et partent à la pêche aux perles auprès de leurs amis…
Un choix ciblé, un emballage humoristique
Défacebooker (se), v. réf. - cesser d'informer ses amis virtuels qu'on est content qu'il fasse beau aujourd'hui, et se priver réciproquement de l'information capitale selon laquelle leur poule aurait pondu ce matin (prononcer "défessebouquer").
Résultat : une sélection de plus de 200 mots assortis de définitions et de contextualisations édifiantes. Certains méritent d’exister, d’autres moins, mais tous restent exclus des références habituelles, ou quand ils sont répertoriés, c’est avec une autre définition.
Si des entrées aussi évidentes que 'liker' ou 'older' manquent à l’appel, c’est que les auteurs voulaient "éviter de multiplier les anglicismes. L’objectif n’est pas de formaliser les anglicismes, mais de montrer que le français est bien plus ouvert et mondialisé qu’il n’y paraît. En outre, certains termes sont contenus dans d’autres," précise Gilles Vervisch. De fait, s’ils ont fait l’impasse sur 'facebooker', les auteurs ont retenu 'défacebooker'.
Crucification, nf, accrochage malveillant de Messie.
Le tri s’est fait aussi au feeling : "Il fallait pouvoir proposer une définition et une mise en contexte percutante," explique Gilles Vervisch. Au vu de l’humour caustique et érudit qui transpire des textes, l’inspiration était forcément au rendez-vous, avec parfois un nuage de dérision.
Une philosophie du langage en situation
Plus que d’une réflexion sur l’origine du langage, le Dico part du constat que les dictionnaires traditionnels n’évoluent pas assez vite pour une langue qui se réinvente en permanence. Car bien malin qui connaît le sens exact d’un mot ! "En réalité, il est forgé par ceux-là même qui l’emploient, et c'est ainsi que les locuteurs se réapproprient leur langue. Il y a du Wittgenstein derrière notre démarche, même si ça ne se voit pas : nous sommes partis du principe que les mots prennent sens en situation," explique Gilles Vervisch.
Les ouvrages de référence proposent une photographie de la langue à un moment donné. Or pour Gilles Vervisch : "Les mots ne sont pas des étiquettes que l’on colle sur une chose que l’on veut nommer. La langue n’est pas un système fermé qui s’impose aux locuteurs, c’est un processus ouvert, empirique, tâtonnant." Un processus qui, avec Internet et la télévision, est aujourd’hui beaucoup plus rapide.
Berlusconisation : voici un mot dont la signification s'avère particulièrement floue, volatile et changeante. Globalement, il véhicule un jugement négatif envers un dirigeant qui pratique une mauvaise politique. Plus précisément, il évoque, selon les personnes interrogées, les notions de sexisme, vulgarité, mauvaise conduite, scandale sexuel, abus d’autorité, souci excessif de l’image... Alors les auteurs ont choisi d’élaguer les éléments subjectifs pour formuler un phénomène lié à une situation antidémocratique concrète : "l'atteinte à la séparation des pouvoirs, puisque Berlusconi possède les médias tout en étant président du Conseil."
Le salon des refusés
Un jour, peut-être, les Robert et Larousse puiseront dans le corpus du Dico pour enrichir leurs rééditions annuelles. "Pour l’instant, nous n’avons aucun retour, ni de l’un ni de l’autre, témoignent les auteurs." Revu et augmenté chaque année, le Dico pourrait-il faire office d’antichambre des ouvrages de référence établis ? "Alain Rey refuse 'zlataner' sous prétexte que le mot ne durera pas, explique Gilles Vervisch, mais il a fait entrer 'vuvuzela' dans le Robert du jour au lendemain dans la foulée de la Coupe du Monde de football. Après tout, leurs critères ne sont peut-être pas plus arbitraires que les nôtres."

Son Dico, il l’imagine comme ça : "Autrefois, à l’époque des salons de peintures, le salon des refusés accueillaient tous les recalés de l’Académie. Aujourd’hui, c’est de ceux-là que l’on se souvient, alors que les peintres académiques sont tombés dans l’oubli."
Les mots qui n'existent pas mais…
Comme dans un dictionnaire classique, chaque entrée est suivie d'une catégorie grammaticale, d'une ou plusieurs définitions et contextualisations, ainsi que d'indications phonétiques. On y trouve pèle-mêle :
· Les mots qui n’existent pas, mais qui le mériteraient parce qu’il n'y en a pas d'autres pour désigner la même chose, comme chronophage, attachiant ou patientèle ;
· Les mots qui n’existent pas, mais qui le pourraient tant leur emploi grammatical est simple comparé à celui de leur synonyme, comme prioriser pour 'donner la priorité à', radariser pour 'contrôler au moyen d’un radar' ou conspirationniste pour 'adepte de la théorie du complot' ;
· Les mots dont on croit qu’ils sont des créations récentes, alors que ce sont des trésors de la langue française, comme l’abracadabrantesque de Jacques Chirac, emprunté à Arthur Rimbaud, ou acté qui, sous ses faux airs d’anglicisme, vient tout droit de l’ancien français ;
· Les mots qui décrivent un phénomène de société récent, souvent lié à la crise : colocatrice, covoiturage, adulescent ou encore célibattante ;
· Les contrepèteries involontaires, comme aéropage ou omnibuller ;
· Les barbarismes indécrottables, comme aujourd'aujourd’hui ;
· Les mots qui ne servent à rien parce qu'il en existe déjà un qui veut dire la même chose, comme solutionner ou bouiller ;
· Les interjections auxquelles on ne peut plus échapper : aplusse ou merki ;
· Les mots qui existent, mais que personne n’utilise car ils sont imprononçables, et qui donnent lieu à une digression intéressante, comme microcochliarmaphilie.
· Les anglicismes francisés : délivrable, implémenté ou overbooké ;
· Le vocabulaire des nouvelles technologies, comme beuguer ou dézoner ;
· Les dérivés mercantiles, comme stabiloter ou karcheriser ;
· Les fantaisies médiatiques, comme représidentialiser ou premier-ministrable ;
· Les néologismes bien pratiques, comme inentendable ou clivant
· Les mots qui reflètent l’air du temps : zlataner, horsegate et autres -leaks ou -gate.
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